La peinture haïtienne nous paraît un phénomène nouveau et l’on se réfère à l’étude de Malraux sur l’intemporel. Les choses sont plus complexes. La peinture a accompagné l’histoire de l’île, comme le montre la thèse de Ph. De Rebours Peinture bourgeoise et aristocratique avec des portraits historiques et des anecdotes guerrières. Faute de musée, les destructions ont été fréquentes avec les révolutions ou les incendies, mais cette veine est toujours vivante.
Des peintres ont suivi les courants internationaux ou imaginé avec une totale liberté. D’autres ont abordé le paysage. Pas de recherche de perspective, pas de profondeur. Les différents plans du tableau sont marqués par une superposition de scènes, comme dans une vue cavalière. Cette vision de la perspective est aussi celle de certains plasticiens africains : pour respecter la hiérarchie sociale, les Rois étaient représentés plus grands que leurs sujets dans les bronzes du Bénin.
D’autres peintres créent un espace purement irréel avec des volumes arrondis présentés comme des îles. Les sujets animaliers sont fréquents : l’imagination des artistes est peuplée de toute une faune équatoriale, généralement africaine, mais parfois asiatique : lions, tigres ou girafes. La luxuriance de la végétation est évoquée dans des tableaux où éclate la douceur du paradis terrestre. Le lion et l’agneau s’y lient d’amitié… Ces visions optimistes révèlent une fascination pour l’état de nature. Hors du réalisme, les artistes expriment les voeux d’un peuple malheureux.
L’influence de la clientèle est évidente. La clientèle américaine va modifier l’histoire de l’art haïtien : » Depuis toujours, écrivait Jakovsky en 1989, les Américains seront grands amateurs de peinture naïve. Pendant toute la durée de la colonisation, ils n’en connurent pas d’autre. Privés d’enseignement artistique, forcés de tout inventer à chaque instant, ils se sont comportés en véritables primitifs, ce qui explique leur engouement pour la peinture naïve française puis l’Haïtienne. » En 1943, Dewith Peders, mis à la disposition de la coopération culturelle, va se consacrer à un centre artistique.
A plusieurs reprises, au cours du XIXe siècle, des projets d’école ou d’académie avaient été esquissés puis abandonnés. Les Noirs, dont le rôle dans la sculpture est essentiel, n’avaient pas de peinture. Ici, ils en ont créé une, faisant des Haïtiens, hors de toute tradition, » un peuple de peintres « . Les exportations de tableaux pèsent lourd dans les recettes financières. Des dynasties d’artistes se transmettent le flambeau de la création.
L’art vaudou forme une catégorie à part. Peinture sacrée, elle ne cherche pas le réalisme. Peinture inspirée, elle est au-dessus des règles communes de vraisemblance et incite les auteurs à mobiliser les tréfonds de leur inconscient. Peinture naïve, elle ne tient pas compte des conventions, des expériences ou des traditions. La fantaisie mystique peut se donner libre cours.
Comment expliquer cette floraison artistique inattendue ? Faut-il davantage rapprocher cette effervescence de l’intensité imaginative des écrivains d’Amérique centrale ou souligner la fécondité du métissage culturel ?
L’exposition d’art contemporain qu’organise du 28 avril à la fin juillet la galerie Antoinette Jean, haut-lieu de l’art haïtien à Paris, donnera des éléments de réponse.
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