« Ma caméra est un personnage »

Entretien d'Olivier Barlet avec le chef opérateur Michel K. Zongo

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Michel K. Zongo a travaillé en tant que caméraman et chef opérateur sur des films comme Ceux de la colline et Mokili de Berni Goldblat, La Tumultueuse vie d’un déflaté de Camille Plagnet, Poussière de femmes de Lucie Thierry. Il a été assistant cadreur sur des tournages avec Christian Lelong dont Justice à Agadez, Amour, sexe et mobylette, Damouré Zika un acteur au pays de nulle part, ainsi que Bon séjour qui sortira prochainement. Il présente Sibi, l’âme du violon, un documentaire sur un violoniste aveugle, en compétition au Fespaco 2011. Rencontre sur la question du regard avec un technicien de la caméra.

Comment cela se passe-t-il en tant que technicien ? Est-il difficile de tourner sur des films régulièrement, est-ce qu’il faut souvent sortir du Burkina ?
C’est d’abord toujours un plaisir de travailler sur les films d’autrui parce que ça m’apporte toujours quelque chose. Mais il reste tout de même difficile de travailler au Burkina comme technicien de cinéma, surtout que je suis plus axé sur le documentaire. Il n’y a pratiquement pas de production de documentaires de création. Cela commence à venir avec les résidences de formations d’Africadoc ou de jeunes talents commencent à émerger. Je suis d’ailleurs présentement en tournage en tant que cadreur et coproducteur du jeune réalisateur Simplice Ganou. Le film traite des enfants de la rue.
Du coup, j’ai plus travaillé avec des réalisateurs étrangers, qui viennent tourner en Afrique et qui préfèrent travailler avec des techniciens africains. Ce qui me donne très souvent un rôle à la fois d’assistant-réalisateur, de cadreur et de traducteur ! En dehors du Burkina, j’ai déjà tourné plusieurs fois au Niger avec Christian Lelong et récemment au Togo avec Gentille Assih sur son film documentaire La Folle, le rite et moi. Ce fut une très belle expérience !
Tu assistes un réalisateur dans son regard : comment le conçois-tu ?
Je vis dans une société et forcément je porte un regard sur cette société. Bien sûr que celui qui vient d’ailleurs a un regard différent de moi. Ce n’est pas péjoratif. Ce sont donc deux regards croisés, ce qui est une richesse pour un projet de film ! Cette confrontation est importante aussi bien pour saisir que pour traduire les envies, les émotions de la personne en images. Une même image peut être interprétée différemment, tout dépend de la personne qui la conçoit ou qui l’interprète.
C’est intéressant quand on me fait confiance et qu’on sollicite mon regard Que ça soit au Burkina ou même ailleurs. En étant au Togo pour un tournage, j’apporte clairement un regard extérieur, même si on est en Afrique qui n’est pas un pays mais un continent. Le regard de la réalisatrice Gentille et le mien se croisent et cela crée certainement des énergies et des émotions.
Donc ce regard se traduit par des choix dans le cadre, dans la manière de penser l’image, dans la lumière, etc…
Oui ! Ce regard m’oriente sur les aspects esthétiques, le choix de personnages à filmer et la manière dont je les filme.
Aurais-tu un exemple ?
Bon, j’ai par exemple filmé un rite au Togo et je n’avais jamais assisté dans ma communauté au Burkina à de tels rites. Je me suis retrouvé à filmer des filles qui devaient se mettre presque nues. Comment je dois regarder ces jeunes filles qui se déshabillent en public, cela joue forcément sur mon cadre. J’ai mon propre regard et je pense que cela se ressent dans le cadre et même la distance à laquelle je pose ma caméra
Avec un réalisateur éventuellement étranger, mais je dis éventuellement, quelles tensions sont à l’œuvre ?
Ces tensions existent, je les ressens. Ce sont ces moments que j’aime et préfère car cela devient un jeu. C’est la confrontation entre deux cultures, entre deux mondes ; chacun cherche sa place et en même temps on est tolérants. On est obligés d’être tolérants car on doit sortir un film, qui devient alors le symbole de cette tolérance. C’est vrai que quand ça arrive à quelque part, cela me plaît car au final, c’est le film qui gagne… Il arrive que je trouve des choses banales alors que le réalisateur qui a un regard complètement extérieur les trouve totalement importantes ! Alors qu’est-ce qui est important pour moi, et pour lui ? Il faut que l’on se comprenne, il faut que l’on se tolère. On finit par trouver un juste milieu et c’est naturellement enrichissant pour le film. En gros l’enjeu est d’arriver à canaliser ces tensions pour qu’elles soient positives.
Comment cela se passe-t-il en général ? Le réalisateur te dit ce qu’il veut et tu lui proposes des images et il y a ensuite négociation ?
Tout dépend des réalisateurs. Certains savent exactement ce qu’ils veulent, sont pointus dans leur démarche et pointus aussi côté technique. C’est plutôt quand le réalisateur est juste un bon écrivain qui a envie que ses phrases soient mises en images que le chef opérateur a plus de place. J’ai eu affaire à tout. Mais toujours est-il que je joue toujours sur les expériences des uns et des autres pour trouver un terrain d’entente. Il est plus aisé de travailler avec quelqu’un qui sait les images qu’il cherche ! Il arrive que je fasse attention aux raccords des plans, de penser un peu au montage, etc. Et là aussi c’est intéressant. Si ça marche, à la fin je suis fier.
Arrive-t-il d’être en tension avec le réalisateur sans arriver à un accord ?
Oui, sur des projets vite écrits ou vite pensés. Bon, je comprends que parfois, quand on a un projet, on bouillonne, on veut vite le réaliser et on ne maîtrise pas la portée des choses, on est un peu naïf. Mais il faut être réaliste : des fois ça ne marche pas. C’est surtout lorsque ça a trait à des clichés. Je dis ceci souvent à certains réalisateurs : « si tu veux que ton film marche ici et que les gens l’aiment, pense à ces personnes que tu vas filmer, comment tu les filmes. Si tu t’en fous d’eux et que tu veux juste montrer des images d’ailleurs, alors vas-y comme tu veux ! ». Mais je pense que la plupart des réalisateurs ont le souci de resituer leur travail.
C’est quand même la question de la dignité des personnes qui est en cause.
Bien sûr ! C’est toute la dignité d’une communauté et des personnes, donc ce n’est pas que le film qui compte. Ce n’est pas le film pour le film, c’est aussi le film et après le film.
Est-ce que bon an mal an tu arrives à vivre de ton métier ?
Je suis toujours satisfait quand je travaille. J’ai commencé à faire ce métier il y a une dizaine d’années mais je n’ai pas encore une autonomie financière. Si je fais une année sans faire de film, je ne vis pas. Et cela arrive. Un film documentaire a une économie très précaire : il ne se vend pas, il n’a pas d’entrées en salles. On n’a pas de cachets officiels, ça se négocie à la carte, en fonction du budget du film. C’est donc un métier qui reste assez aléatoire. Mais n’empêche que pour l’instant je m’en sors. J’ai aussi mes projets personnels sur lesquels je m’appuie et qui font passer le temps. Je vis donc de mon métier, mais si je passe un an sans travailler sur un film, je ne pourrais pas vivre.
Est-ce que tu travailles parfois pour la télévision ou pour des projets audiovisuels ?
Oui, quand je suis au Burkina il m’arrive parfois de travailler sur des projets qui n’ont rien à voir avec des projets à long terme. Je travaille souvent pour des boîtes de production sur des films institutionnels, de la publicité, etc. Cela m’est arrivé pour pouvoir vivre et aussi parce que c’est mon métier de faire des images !
Aujourd’hui, tu t’orientes en parallèle vers la réalisation. Qu’est-ce qui te pousses après dix ans de métier de technicien à passer à la réalisation de documentaires ?
C’est en forgeant qu’on devient forgeron. A force de passer du temps à raconter les histoires des uns et des autres, j’en ai maintenant des histoires à raconter ! J’ai toujours cherché à faire des films où ma caméra est un personnage. Elle est intégrée à moi et ma manière de raconter donne place à ce style. Sa mobilité tient au fait qu’en filmant, je parle aux gens et j’intègre tous ces aspects. C’est une nouvelle démarche pour moi d’être réalisateur. J’ai des projets de films mais j’ai déjà réalisé deux films (Ti-Tiimou ou Nos sols et Sibi, l’âme du violon) et un dernier est en postproduction. Son titre provisoire est Espoir voyage.
Quelle question pose-t-il ?
En gros, il pose la question de l’immigration Sud-Sud, Afrique-Afrique. Cela part de l’histoire de mon grand frère qui est parti quand j’avais à peine quatre ans, que je n’ai pas connu. J’ai juste l’image de quelqu’un qui était plus grand que moi. J’ai toujours attendu qu’il revienne. La Côte d’Ivoire était l’Eldorado des jeunes Burkinabés. Pour un jeune de son âge, partir était un comme un rite : il fallait partir et revenir, s’affirmer et gagner un peu d’argent pour se marier, acheter un vélo, se construire une maison. Pour être un homme en gros. Il est parti comme beaucoup de sa génération et il n’est plus revenu. On est restés dans cette attente et moi, gamin, j’ai toujours eu un grand frère absent. Et vingt ans après, j’ai grandi évidemment, et j’apprends par l’intermédiaire d’un neveu qu’il est décédé il y avait deux ou trois ans. Je n’ai jamais digéré. Il y a eu des funérailles, ce n’était donc pas une rumeur. J’ai essayé de faire ce voyage pour retrouver ses traces en suivant le même itinéraire. Je filme donc depuis Koudougou qui est ma ville natale jusqu’en Côte d’Ivoire où je retrouve la ville où il a vécu, son ancien employeur parce qu’il a travaillé dans les plantations. Le film se construit autour de mes rencontres, le voyage, la recherche de son histoire. Cela fut l’occasion de rencontrer pas mal de gens, notamment des compatriotes burkinabés qui travaillaient dans la forêt. J’ai pu partager des moments de joie, de peine, de rêve comme à vécu mon grand frère. Le film s’est construit en filigrane entre lui et moi qui refais le voyage sur son chemin.
C’est donc très personnel.
Oui, mais c’est surtout l’absence, la rupture de liens. Je me suis demandé pourquoi un jour on coupe les liens avec ses proches, comme au cinéma on quitte le cadre. Je ne sais pas comment il a vécu ça. C’est cette question qui m’a amené à faire ce voyage et qui explique ma peur de partir. J’ai toujours eu peur de partir !
C’est embêtant ça dans le cinéma !
Oui, mais pourtant je suis toujours là ! (rires) Ce film était aussi initiatique pour moi, j’ai accepté sa démarche, j’ai appris à le connaître en faisant le film. C’est en Côte d’Ivoire que l’on m’a parlé de lui. Je ne le connaissais pas. On m’a décrit sa personnalité. D’un coup, j’ai compris son choix.
C’est donc aussi une démarche thérapeutique.
Sans doute, parce que même si je n’étais pas cinéaste, j’aurais fait ce voyage. C’est une chance d’être réalisateur et de pouvoir utiliser ses propres histoires et les partager avec les autres. Pour moi le cinéma, ce n’est que ça ! Si ton histoire peut être un sujet de film, c’est génial parce que c’est plus proche de toi !

Lussas (France), août 2010, relu et actualisé par Michel K. Zongo en février 2010///Article N° : 9942

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