La bande dessinée malienne est peu connue et peu diffusée en dehors de ses frontières. Le milieu du 9ème art local pourrait pourtant, à bien des égards, servir d’exemple à d’autres pays du continent en matière de solidarité et de structuration associative. Au fil des années, un petit groupe de talents s’est forgé et est arrivé à développer un art en profitant notamment des commandes des ONG et autres organismes de coopération, à la recherche de talents locaux pour illustrer leurs diverses campagnes de prévention dans le pays. Et si la BD africaine pouvait se développer loin du miroir aux alouettes occidental, en profitant des opportunités locales ? Rencontre avec l’un des acteurs clés de cette révolution tranquille, le dynamique et entreprenant Massiré Tounkara.
Pouvez-vous nous parler de vos débuts dans le métier ?
Mes vrais débuts remontent à l’année 2000. À l’époque, j’écrivais beaucoup de textes. J’avais envie de les mettre en image car je dessinais comme beaucoup d’enfants, avec de la craie, sur les murs. C’est ainsi que j’ai réalisé ma première BD. Intitulée Yoona, la nouvelle planète, elle comptait 60 pages en noir et blanc. Je m’étais inspiré d’un fait réel, la découverte dans ces années-là d’une nouvelle planète derrière Pluton. J’avais imaginé que des astronautes qui s’y étaient rendus en étaient revenus contaminés. C’était du noir et blanc, en 60 pages. Puis, j’ai réalisé Alpha une BD qui se passe à Tombouctou au Nord dans le désert malien. Alpha est une sorte de Gaston Lagaffe africain a qui arrivait un tas d’aventures.
Avec le recul, quel regard portez-vous sur ce travail ?
Je n’avais aucune idée des techniques. J’avais le scénario en tête et j’improvisais d’une page sur l’autre. Par la suite, j’ai découvert le Magazine Spirou, la technique de la couleur
Avec l’avènement d’internet, j’ai contacté les éditions Dupuis vers la fin 2001. Ils m’ont répondu en me demandant de leur envoyer une copie en couleur du projet Yoona, la nouvelle planète. Tout cela coûtait très cher, je n’avais pas les moyens. Environ 750 FCFA la page couleur à l’impression. Je suis allé voir le CCF où j’ai été reçu par une dame qui a présenté le projet à son directeur. Celui-ci m’a dit qu’il trouverait les fonds si je lui montrais le résultat colorisé de mon travail deux mois après. Je suis donc allé voir un gars de l’INA qui s’intéressait beaucoup à la BD. Il m’a parlé des aquarelles et a fait les premiers tests sur les photocopies. J’ai pu présenter le projet dans les délais et le CCF a soutenu financièrement l’envoi du projet chez Dupuis. J’ai par la suite reçu une lettre standard me disant que le projet n’était pas passé.
Ce refus ne vous a pas découragé, visiblement
Non, absolument pas, cela fait partie du parcours de tout individu ! Et puis, j’ai eu une chance incroyable. Il se trouve qu’en 2002, à peu près à la même époque, le festival d’Amiens, Couleurs du monde, avait décidé de se focaliser sur le Mali. Ils ont donc contacté le CCF par l’entremise de Lilian Wolfeslberger, en son temps responsable de la salle multimédias, afin d’organiser un atelier sur les techniques de BD, encadré par Barly Baruti et Nicolas Dumontheuil et financé par la ville d’Amiens. À l’époque je ne connaissais pas d’autres personnes intéressées par la BD, à part mon copain de l’INA, Modibo Sissoko. Je ne connaissais même pas Kays, du magazine Grin-gris (1). On a rencontré Julien Batandéo, bédéiste Togolais, par hasard, puis, par le bouche à oreille, on est arrivé à six jusqu’à ce qu’arrive le seul dessinateur professionnel du groupe, les autres étant surtout des peintres, le caricaturiste Papa Nambala Diawara, qui avait une formation en réalisation de dessin animé.
Est-ce à partir de cet atelier que tout s’est enchaîné ?
Après le stage, on a décidé de former un club. C’est ainsi qu’est née la BDB, La Bande des dessinateurs de Bamako, nom suggéré par l’auteur congolais Barly Baruti. On se réunissait chaque samedi au CCF. Trois d’entre nous ont été retenus pour participer à l’exposition Mali
Les cases de la BD africaine à Amiens en 2003. Nous avons travaillé sur une BD d’une dizaine de pages : Horizon Amiens, puis nous sommes partis en stage à Amiens, 10 jours avant le festival, pour nous initier aux techniques du coloriage avec l’auteur Jean Denis Pendanx. La découverte d’un festival, l’engouement, la compréhension de beaucoup de choses
Tout cela nous a fortement impressionné. On a alors décidé à notre retour de créer un atelier, l’atelier BDB.
Quels furent vos premiers travaux ?
On devait faire une affiche pour l’édition amiénoise de 2003. On a mis un an pour la faire ! On pouvait la voir sur le site : www.bddumonde.com, consacré à la bande dessinée de pays non occidentaux comme le Mexique, la Turquie, la Chine, le Mali, ou l’Algérie, qui, hélas, n’existe plus. Notre affiche a donc été exposée en 2003, sans que nous ayons pu être présents. En 2004, nous sommes retournés à Amiens et nous avons également été invités à tenir un stand au festival de Décines, près de Lyon. Entre-temps, j’avais eu l’opportunité de publier un conte, Les Jumeaux à la recherche de leur mère Tome1, grâce à ma rencontre avec un jeune réalisateur malien qui m’a présenté Lassana Igo Diarra, fondateur de Balani’s, une boîte d’événementiel et de production de groupes rap. Il voulait se lancer dans la production de bandes dessinées et de livres de jeunesse. Le premier tome ayant pas mal marché, on a sorti le tome 2 en 2005.
Vous avez également créé un fanzine
Le fanzine est également né d’une rencontre, celle avec Georges Foli au festival Étonnants Voyageurs de Bamako. On avait, depuis 2002, obtenu du CCF un local pour pouvoir travailler et donc on y était souvent. Au fil des rencontres, Georges s’est progressivement consacré à nous avant d’intégrer le groupe définitivement. En 2004, on a autoproduit deux numéros d’Ébullition vendus 200 Fcfa à l’unité. Mais on a eu un problème de distribution, dans laquelle on ne s’est pas assez investi. On avait misé sur les collèges, les lycées par le biais des enseignants, mais les numéros se sont surtout écoulés auprès des copains et des connaissances. Après le numéro 2 nous avons suspendu la publication en attendant de trouver d’autres solutions. Nous avions d’abord pensé que le problème venait de la qualité de l’impression, mais il était bien lié à la distribution et aussi aux thèmes abordés qui étaient peut-être trop humoristiques, trop décalés par rapport à l’environnement immédiat, comme souvent
Le temps nous a également manqué, car nous exerçons tous en parallèle une autre activité professionnelle. Je suis infographiste dans une boîte de communication et je ne peux consacrer du temps à mes planches qu’après ma journée de travail et le week-end.
L’interruption de la publication d’Ébullition ne vous aura pour autant pas empêché de persévérer dans l’univers de la BD
Non. Au cours de l’année 2005, j’ai parcouru de nombreux sites et blogs. Il y avait en particulier le site de l’ADABD, ex MDABD, Maison des auteurs de bande dessinée, l’association des auteurs de BD. Ce site, extrêmement intéressant, proposait des conseils, des annonces, des contacts
Il y avait en particulier une annonce de Jean Luc Thouvenin portant sur un projet de la section française d’Amnesty International qui souhaitait illustrer les 30 articles de la déclaration Universelle des droits de l’Homme sous forme de bande dessinée. Je suis rentré en contact avec lui et lui ai fait parvenir mon travail. J’ai choisi l’article 14 sur le droit d’asile. L’ensemble des planches a, je crois, été exposé fin 2006 lors du Festival de Paris qui a aujourd’hui disparu. Puis un album collectif a été édité chez Glénat. L’année 2006 fut également prolifique puisque j’ai participé à l’exposition Bulles d’Afrique à Bruxelles avec Africa e Mediterraneo. J’ai également été présent dans le catalogue du Harlem Museum de New York ainsi qu’à l’exposition consacrée à une cinquantaine d’auteurs africains à la fin de l’année 2006 et au début de 2007. Enfin, j’ai illustré La Princesse capricieuse, un livre pour les enfants, toujours chez Balani’s. Le conte est écrit en français. Il est couplé d’une cassette audio sur laquelle il est conté par un conteur en français et en bambara. On avait fait la même chose pour Les jumeaux à la recherche de leur mère.
Quand avez-vous publié votre premier album individuel ?
Entre juin 2007 et juin 2008, j’ai travaillé sur une série, Issa et Wassa. Les deux tomes sont sortis en même temps. Le tome 3 doit sortir incessamment. Il s’agit de deux ouvrages tournant autour de l’écologie, pour une collection BD verte. J’ai beaucoup travaillé dessus. Au Mali, nous avons plusieurs réserves, chaque tome se déroule dans un endroit différent. Le volume 3 traitera du barrage de Sélengué. L’ensemble de la collection, édité par Balani’s, est financé par Pro Helvetia et le PNUD.
L’atelier BDB que vous avez co-fondé semble être très structuré
L’atelier BDB est vraiment monté en puissance avec l’arrivée de Georges Foli. C’est lui qui a pris en main nos activités. On a d’abord travaillé sur des illustrations sur la santé avec Julien Batandéo. Puis on a créé un festival de BD sur la santé en 2005. Cette même année, on a créé l’association « Esquisse » qui chapeautait toutes les activités et ce festival. Celui-ci est devenu une biennale. En 2007, on a donc organisé le 2ème salon de la BD de Bamako qui n’était plus du tout thématique et le troisième a suivi en 2009.
Vous semblez très solidaires, ce qui est plutôt rare dans le milieu du 9ème art africain. Comment l’expliquez-vous ?
Effectivement et je dirais même qu’on est comme une famille. Cela découle du fait qu’à un certain moment, on est resté un groupe restreint qui était très soudé et puis sur les conseils des uns et des autres, on a constitué le Club de BD sur des bases d’atelier de travail et de critique des uvres et donc il n’y avait aucun enjeu économique, chose qui aurait pu pourrir nos relations dès le début comme c’est le cas de beaucoup d’associations et de groupements. Il existe entre nous une relation de confiance qui nous a permis jusque-là de faire ensemble beaucoup de choses dans le domaine de la bande dessinée au Mali même si j’avoue qu’il reste toute une montagne de choses à faire. Je pense aussi qu’il y a cette envie, cette volonté de faire avancer la BD malienne, de la rendre beaucoup plus professionnelle. C’est ensemble qu’on peut mieux faire les choses.
Le secteur de la BD est en effet peu développé au Mali, avez-vous une explication ?
Il y a un tas de facteurs qui font qu’elle n’arrive pas à se développer. D’une part le Mali est un pays pauvre où les gens n’ont pas les moyens de se payer un livre. Par exemple, un livre au-delà de 2 euros coûte cher pour un lecteur. Ensuite, il y a ce traditionnel problème de lecteur chez nous ; les gens ne lisent pas, ce n’est pas trop un réflexe chez eux. D’autre part, il y a un problème d’auteurs. Très peu sont ceux qui ont une volonté de passer à un stade professionnel. Beaucoup de bédéistes refusent de remettre en cause la qualité de leur travail. Souvent les thèmes abordés ne collent pas à la réalité locale et certaines productions peuvent être assez médiocres. Le milieu manque également de scénaristes professionnels. De facto, la plupart des dessinateurs sont scénaristes et dessinateurs. Il existe aussi un manque de formation pour les auteurs et un manque d’éditeurs de bande dessinée même si quelques-uns résistent comme Balani’s et Edis. On peut ajouter à tout cela d’énormes difficultés dans la distribution du livre. Cependant, aujourd’hui il existe un festival de BD qui a lieu tous les deux ans, qui en est à sa 3ème édition. C’est déjà un gros progrès dans un certain sens. Il y a quelques années on n’aurait pas pu imaginer cela. Mais la tenue d’autres festivals BD ou en tout cas des animations BD dans toutes les villes du pays pourrait contribuer à l’essor de la BD malienne. Néanmoins, il y a beaucoup d’espoir pour la suite à venir.
En 2007, vous aviez monté un projet avec l’association » L’Afrique dessinée » basée à Saint Ouen
Oui, il s’agissait de Yana, femme de Bamako lors du festival de 2007. On avait monté un atelier de production de BD avec Mendozza (Côte d’Ivoire), Sylvestre Kwené (Allias Gringo) (Burkina Faso), Julien Kossi Batandéo (bédéiste togolais résident au Mali), Samba N’dar Cissé (Sénégal) et Aly Zoromé, un ancien qui travaille toujours pour le journal L’essor, qui avait intégré l’atelier entre-temps. Des artistes africains venus de France s’étaient agrégés à nous : Christophe Ngallé Edimo, Simon Pierre Mbumbo, et, à distance, Adjim Danngar, Didier Randriamanantena. Il y avait aussi deux photographes, Aminata Djegal et Fatoumata Diabaté qui est malienne. Mais malheureusement, il y a eu mésentente et incompréhension. Le tout devait être édité par l’éditeur Sary 92 mais le projet est resté en stand-by. Ce fut très frustrant. Heureusement, en 2007, j’ai fait mon dernier voyage en France, aux rencontres BD de Marly qui m’avait invité avec Georges Foli et Julien Batandéo.
Pour l’édition de 2009, votre programme tournait autour de quelle thématique ?
Pour le 3ème salon, le pays invité était la Côte d’Ivoire avec en particulier l’album collectif On va où là ? qui était présenté sous forme d’exposition. Plusieurs artistes et entrepreneurs culturels étaient invités : Olvis Dabley, l’organisateur de Coco Bulles, Éric Dago dessinateur ivoirien, Mamadou Diarra
On a, à cette occasion, présenté des projets : la série des anciennes voitures de collection de Julien mais aussi une série de BD animée ou BD Vidéo. On appelle cela « L’Animatic » et le titre était Black. Il y avait aussi des animations BD, des concours et des ateliers de dessins pour les plus jeunes. Et pour la première fois, on avait donné gratuitement des stands à deux éditeurs de BD.
Quels sont vos projets à venir ?
L’atelier est devenu le Centre de BD de Bamako depuis fin 2008 (2). En 2007, on a quitté le CCF qui n’avait plus d’espace pour nous accueillir. On devait voler de nos propres ailes, ce n’était donc pas plus mal. On a loué des locaux dans un immeuble de la ville et on a commencé à proposer des outils de vulgarisation sur des sujets de santé ou sociaux sous forme de BD. On travaille dans le cadre de programmes de sensibilisation à la santé. On fait, par exemple, des boîtes à images. Cela nous permet d’être plus autonomes. Julien vit du dessin. J’ai, pour ma part, plein de projet de scénarios. Je collabore avec un scénariste français, Sébastien Lalande, qui travaille sur un scénario sur les 50 années d’indépendance du Mali. L’album devrait sortir courant 2010. Ensemble, on a aussi le projet de l' »Animatic », Black, à développer et un autre projet BD beaucoup plus personnel pour nous deux qui raconte l’histoire d’un médecin africain aimant bien jouer les détectives.
Avez-vous été influencé par certains auteurs ?
Oui, bien sûr, Bilal, Boucq, Mezzière, Hermann que j’ai eu l’honneur de rencontrer à Marly en 2007 et Moebius. Je m’en suis inspiré pour le coloriage. De manière générale, je m’inspire beaucoup de ces auteurs qui sont pour moi une source de motivation et d’encouragement. Quelqu’un comme Bilal, par exemple, c’est un monsieur au talent énorme
(1)Grin-grin était une revue pour la jeunesse créée par la maison d’édition Jamana de l’ancien président Alpha Oumar Konaré. Elle a cessé de paraître dans les années 90.
(2) [http://esquisse.over-blog.org/] Depuis octobre 2009 :
Massiré Tounkara a sorti en décembre Le Mali de Madi, une histoire du Mali en BD, scénarisée par Sébastien Lalande pour les éditions Princes du Sahel. Il devrait sortir en 2011 les deux tomes suivants (3 et 4) de la série Issa et Wassa, chez Balani’s.
Blog de Massiré Tounkara : [http://lesbullesdemass.illustrateur.org/] ///Article N° : 10246
Un commentaire
Vraiment tu es la meilleure tounkara