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De Daniel Taye Workou

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Seul film africain à être sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes 2006, où il était présenté en première mondiale, ce sympathique court métrage largement applaudi faisait événement : voir à Cannes un film éthiopien alors que cette cinématographie est pratiquement inexistante était déjà étonnant, mais en plus il signifiait une prometteuse relève qui devait combler d’aise le vétéran éthiopien Hailé Gerima (résident aux Etats-Unis depuis 1967), lequel présentait lui-même dans la section Cannes Classics son chef d’œuvre La Récolte de 3000 ans (Harvest 3000, Mirt sost shi amit), récemment restauré par la Cinémathèque de Bologne.
Le jeune réalisateur Daniel Taye Workou, d’origine éthiopienne mais né en 1969 à Berlin, revient dans le village de son grand-père pour tourner son premier court métrage de fiction, après une formation universitaire en relations internationales puis en cinéma à la Columbia University. Cette double appartenance se reflète dans le film, adaptation traversée d’ironie moderne d’un conte traditionnel permettant de traiter d’une problématique globale à partir de son ancrage culturel.
La simplicité du récit concourre à la réussite du film : un père et son fils, à dos de mulet, traversent la campagne éthiopienne. Sur le long chemin qui mène au marché, ils font la rencontre de personnages étranges et typés, chacun leur donnant des conseils contradictoires. Sous un arbre solitaire, un prêtre demande une obole pour l’église et reproche au père de trop gâter son fils en le laissant sur le mulet alors qu’il devrait marcher pour se fortifier. Un négociant leur dit de monter tous les deux sur le mulet pour arriver plus tôt au marché et faire de bonnes affaires. Trop fatigué, le mulet refuse d’aller plus loin et le père se met à le battre quand arrivent deux Italiennes de l’ONG « Food for Work » (!) qui se plaignent de l’inutilité des aides et l’accusent de maltraiter le pauvre animal. Voilà notre homme qui porte le mulet sur son dos… Lorsque le fils essaye de comprendre les volte-face de son père, il lui répond que chacun a sa vision : on peut essayer d’autres points de vue, mais mieux vaut marcher sur les traces de nos pères et grands-pères. Voilà une amusante façon d’opposer les traditions culturelles aux pouvoirs religieux, économiques et politiques (l’Eglise, le Commerce, la Coopération), imposés et souvent insensés, et à toute forme d’intégrisme. Métaphore de la diversité culturelle, Workou met en perspective filiation africaine et rapports Nord-Sud. Une superbe photographie et une belle mise en musique orchestrent un savoureux équilibre entre la beauté de la campagne éthiopienne et l’ironie burlesque de ce Don Quichotte des temps modernes.

///Article N° : 4519

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