Mitchala signifie la panthère douce en arabe tchadien. La diva Mounira Mitchala porte bien son nom. Féministe sereine elle sort avec Chili Houritki un album singulier qui pousse la femme africaine à se prendre en main.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Mounira Mitchala, de mon nom d’artiste. Mounira Khalil Alio pour l’état civil. Je suis une artiste tchadienne. J’ai trente-deux ans. Je suis aussi actrice. J’ai fait deux films de cinéma. Et en parallèle je suis aussi greffière.
Chili Houritki, Prends ton indépendance en arabe tchadien. De quelle indépendance s’agit-il ?
Je parle de l’indépendance de la femme tchadienne et de la femme africaine dans cette chanson qui donne le titre de l’album. Je les appelle à prendre leur indépendance, à gagner leur autonomie et leur liberté. Aujourd’hui, dans certains cas, il y a toujours la tradition et la religion qui pèsent beaucoup. Cette chanson me permet de réveiller mes surs. Avec l’école et ce qui se passe dans les médias, il y a des filles qui certes, se réveillent, mais ça n’a pas encore atteint le niveau que j’aimerai. Je veux juste booster pour dire à mes surs africaines, et tchadiennes en particulier, de se battre. L’indépendance ça ne se donne pas, ça se mérite. Il faut se battre pour l’avoir.
Comment êtes-vous arrivée au chant ?
J’ai commencé à l’école au collège lycée Thilam-Thilam en 1996 avec les concours entre les établissements. J’ai représenté mon établissement et c’est comme ça que j’ai été remarquée. Un journaliste de la télévision tchadienne a invité quelques artistes pour une émission qui célébrait la fin de la fête du Ramadan. Ça m’a permis d’être assez connue à partir de 1999. Un an plus tard, le Centre culturel français m’a invité pour faire un titre. C’est à ce moment que j’ai chanté avec ma propre voix. J’ai décidé de travailler et d’écrire mes chansons. Entre-temps, j’ai fait une année d’université. J’ai étudié le droit. Ça n’a pas marché. J’avais fait les écoles privées avant et subitement me retrouver dans une salle avec de plus de deux mille personnes, ça me dépassait. Il y avait beaucoup plus d’étudiants que prévu dans l’amphi. J’ai décidé de changer de voie. Heureusement, six mois après, l’ENAM (école nationale d’administration et de magistrature) a lancé le concours. Je l’ai passé. J’ai fait deux ans de formation jusqu’en 2004. L’année suivante j’ai rencontré Michel Lhopiteau, une Française, professeur de chant et chef d’orchestre qui vit au Tchad. J’ai travaillé avec elle. Elle m’a mis en contact avec le dj et producteur Frédéric Galliano. Elle m’a aidé à faire le disque que j’ai enregistré en 2006. Elle m’a mis en contact avec Christian Mousset (1). Et lui-même m’a présenté José Da Silva (2).
Quelle a été votre expérience de greffière ?
Je n’assistais pas aux audiences. J’étais dans une documentation de recherche juridique. Mais c’est vrai que d’avoir été dans ce milieu m’a permis de voir beaucoup plus ce qui se passe dans la société. C’est ce qui me donne envie d’écrire, d’être proche de la société, de connaître ses besoins. Savoir ce qui ne va pas et éventuellement apporter des solutions, donner mon point de vue, partager mon expérience avec les autres.
Quels sont les cas qui vous ont le plus marqué ?
Il y a un mari qui a brûlé sa femme avec de l’acide. La jeune fille a carrément perdu la moitié de son visage : un il, une moitié du nez et de la bouche. Ça m’a beaucoup touché. Je me suis dit qu’il est grand temps que les femmes se réveillent et se défendent. Il faut vraiment qu’on arrête la domination. Ça suffit. Ce sont ce genre d’histoires qui m’inspirent pour écrire une chanson sur l’indépendance des femmes.
Est-ce que la victime obtient le plus souvent gain de cause ?
Elle a eu gain de cause. Le problème c’est qu’il y a l’influence de la famille qui joue ici et là. La justice applique le droit. Mais il y a certains cas comme ceux de cette pauvre dame qui n’arrivent pas à la justice. Tout est réglé à la maison. Parfois les femmes sont battues par leur mari, mais la famille fait de telle sorte que la femme reste dans son foyer. Dans ces cas-là, on dit que c’est pour son honneur ou pour celui de la famille. Si elle divorce, on va considérer qu’elle n’a pas d’honneur, qu’elle ne vaut rien et qu’elle jette le discrédit sur la famille. La femme souffre énormément dans son être. Sa liberté, sa reconnaissance ne peut pas venir de l’extérieur. C’est à elle de se battre pour construire sa liberté, son autonomie, son indépendance.
Comment vous êtes vous émancipée vous-même ?
J’ai eu la chance d’avoir des parents ouverts, qui ont été à l’école, qui ont voyagé. Je n’ai pas grandi au Tchad. Je suis allée dans mon pays dans les années quatre-vingt-dix. J’avais déjà treize ans. J’étais déjà une grande fille. Mais arrivée au pays il y a toujours l’influence de la grande famille : les oncles, les tantes, les parents qui ont toujours leur mot à dire. Heureusement j’avais des parents tolérants. Par exemple, le fait de chanter, au début dans la famille ils n’étaient pas d’accord. Mes parents ont dit que j’avais le droit de faire ce que je voulais à condition d’étudier. Comme j’étais l’aînée de la famille il fallait que je donne l’exemple. C’est aussi bien pour moi. Aujourd’hui grâce aux études, je compose mes chansons et je sais ce que je veux dire. Avoir des parents ouverts, une maman compréhensive, qui m’aide et qui me soutient toujours, cela m’a donné la force et l’espoir.
Vous évoquez le thème de l’excision. Cela reste un problème dans votre pays ?
Oui, car le gouvernement a dû mettre en place un programme pour appeler les gens à comprendre le danger de l’excision. Dans la réalité il y a certaines pratiques qui continuent. Il y a certaines personnes qui refusent de lâcher leur tradition. La campagne continue. C’est aussi ma responsabilité d’apporter ma part de développement. Je parle de l’excision dans une chanson. Mais je ne le fais pas violemment car je ne veux pas blesser les gens. Mais il faut qu’ils comprennent que cette pratique est dépassée. Ça date de milliers d’années. Aujourd’hui à notre époque on sait que c’est très dangereux pour la fille, pour la femme en devenir. Il faut arrêter ça.
Quels sont les autres thèmes que vous abordez ?
Le partage. Par exemple dans Antina, je demande aux Tchadiens, aux Africains – nous avons presque tous les mêmes problèmes – de s’entendre, d’accepter nos différences et de vivre ensemble. Haguina parle de notre droit – décidément je reviens toujours vers le droit. J’ai un peu voyagé dans le Tchad profond et j’ai remarqué qu’au fond des villages, il y a des gens qui n’ont pas d’eau. Je ne parle même pas d’électricité. Mais l’eau, c’est la vie et ces gens n’en ont pas. Il y a des gens qui sont mal habillés, qui n’ont rien du tout. En ce moment, il y a aussi la famine qui frappe à la porte. J’appelle les gouvernants à vraiment faire leur travail et à apporter leur aide à ces populations. Quand on dit « l’État », c’est d’abord le peuple et après ceux qui sont maintenant au pouvoir.
En parlant de gouvernance, que pensez-vous d’un président qui change la constitution en sa faveur. Par exemple, au hasard, Monsieur Déby ?
Je suis une artiste. Je préfère ne pas trop rentrer dans les détails politiques. Je vois certaines choses qui ne me plaisent pas. Je le dis dans mes chansons. Mais je ne pointe personne du doigt. Ça ne m’empêche pas de vouloir que les choses changent dans mon pays et en Afrique.
Est-ce qu’on peut parler de démocratie au Tchad ?
Vingt ans de démocratie, c’est encore jeune. En France on a mis plus de cent ans. Avec le temps, ça va aller. Nous, au Tchad, avons eu un passé très difficile, de la dictature. Ça ne peut pas changer d’un jour à l’autre. Ce n’est pas par un coup de baguette magique que ça va changer. C’est vrai qu’il y a toujours des choses qui traînent mais j’espère que ça changera.
La musique tchadienne est très méconnue. Comment l’expliquez-vous ?
Comme le Tchad a connu tous ces moments difficiles, pour certaines personnes c’est secondaire de mettre en valeur la culture. Je pense que l’identité d’un peuple, c’est sa culture. Du côté des artistes on fait de notre mieux, le ministère de la culture aussi. Mais ce n’est pas suffisant. Dernièrement le ministère a fait des projets pour aider des artistes. J’espère que ça va marcher et que ça ira mieux, s’il y a la volonté de progresser.
Pouvez-vous présenter les rythmes traditionnels tchadiens présents dans cet album ?
Dans Haguina je chante sur le rythme Guissesse. C’est un rythme de ma région du Guéra, dans le centre du Tchad. Dans Hourra c’est un rythme Kidi Kotoko du sud du Tchad. Saboura est basée sur un rythme de Kidi Gourane. Dans Choukrane il y a un rythme Saï du sud du Tchad, de l’ethnie Sara.
Vous utilisez un instrument typique, la garilla. Qu’est-ce que c’est ?
La garilla, c’est une petite guitare à deux cordes, un instrument des Peuls du Tchad, les Peuls étant un peu partout. Les Peuls de Guinée par exemple jouent d’instruments différents de ceux du Tchad. Je l’aime bien. Je l’ai utilisé dans mes deux albums.
Y a-t-il d’autres instruments ?
Non. Juste la garilla. Au début on a voulu enregistrer au Tchad mais ça n’a pas été possible. Il y a eu des problèmes financiers. La maquette a été faite au Tchad mais l’enregistrement s’est fait à Paris. Pour jouer des instruments traditionnels il faut que le musicien soit là. On ne pouvait pas amener les instrumentistes traditionnels ici donc on les a remplacés par la guitare.
C’est toujours compliqué d’obtenir un visa même pour des musiciens ?
C’est partout en Afrique. Ça se complique presque chaque année. J’ai l’habitude. Ça fait sept ans que je viens en France trois à quatre fois par an pour faire des spectacles, pour mes activités culturelles. Mais à chaque fois quand je renouvelle mon visa, il y a toujours des difficultés. Déjà pour une personne ce n’est pas simple alors amener trois ou quatre musiciens, c’est un vrai problème.
Comment encouragez-vous la femme africaine pour qu’elle s’émancipe ?
Dans le troisième couplet d’Indépendance, je conseille à la petite fille d’étudier car il n’y a que ça qui peut la sauver. En étudiant elle peut savoir ce qu’elle est, connaître sa valeur et savoir quels sont ses droits, s’affirmer, ne pas avoir honte d’elle et être maître de sa vie, maître d’elle-même sans que quelqu’un décide à sa place ou qu’on lui impose n’importe quoi. J’ai créé une association artistique et culturelle il y a un an pour permettre de mettre en valeur beaucoup plus mes chansons et les thèmes que je développe. Le but est de pouvoir faire des colloques, des réunions, des discussions entre femmes. J’ai l’ambition de faire une caravane et de rencontrer des femmes au village pour discuter avec elles. Dans ce cadre, j’ai un projet de tournée nationale. J’ai réussi à avoir le financement du Service d’action et de coopération culturelle de l’Ambassade de France et du ministère de la Culture. Quand je vais retourner au Tchad je vais chercher le financement pour la deuxième partie de la tournée. Ça me permettra d’être en contact avec des gens hors de N’Djamena.
J’ai d’abord commencé par une tournée nationale. Ça m’a pris plus d’une année pour avoir le financement. Les choses vont très lentement mais je ne me décourage pas. J’explique aux gens que même si dans notre pays nous avons des ressources, du pétrole, il faut aussi de la volonté. Je ne baisse pas les bras. Je vais me lancer dans d’autres projets et on va voir ce que ça va donner.
Est-ce que vous pouvez introduire la scène tchadienne ?
Il y a Mandwoé qui était dans le groupe de rap burkinabé Yeleen avant. Il vient de sortir un nouveau disque que j’aime beaucoup. Il y a aussi le groupe Aissao dont les membres vivent au Canada depuis de nombreuses années. Il y a un bon chanteur qui s’appelle Abdoulaye. Diego aussi se bat bien pour valoriser la culture tchadienne.
Comment comptez-vous valoriser l’album ?
Ce n’est pas facile à cause du problème de piratage. Je n’ai pas pu lancer le premier album en bonne et due forme à cause du piratage. Ce n’est distribué qu’en Europe. Je vais voir avec José Da Silva si l’on peut faire d’autres duplications pour le Tchad et l’Afrique. Je veux bien faire circuler ma musique là-bas.
Comment voyez-vous l’avenir du Tchad ?
Je le vois positivement s’il y a la participation des femmes. L’Afrique tout entière a besoin de développement. Ce développement ne peut se faire qu’avec la femme et l’homme et non l’homme tout seul. Il faut que la femme s’y mette, qu’elle se batte. Ce n’est pas facile. Si je suis arrivée là où je suis, c’est parce que j’ai lutté, je ne me suis pas laissé faire. Les femmes doivent se battre pour gagner leur liberté, leur indépendance. Ne pas laisser leurs conjoints, leurs pères, différents décider à leur place.
1. fondateur du festival des Musiques métisses
2. créateur du label LusafricaPour en savoir plus : [www.myspace.com/mouniramitchala]///Article N° : 10695