Voici le Fespaco 2011 terminé : le bilan est-il positif ? Est-ce que la dynamique Vision 21 se met en place ?
Ce n’est pas à nous de dire que notre bilan est positif, mais nos invités et les festivaliers. Les échos nous disent que les choses se sont bien passées mais nous savons qu’il y a encore des choses à améliorer. Les gens de cinéma ont une véritable complicité avec les organisateurs du festival. Si par contre ils jouent solo, c’est là que commencent les difficultés. Mais nous travaillons à ce que le meilleur soit fait et que nos festivaliers soient reçus dans la dignité et je crois que cette année elle a été respectée.
Vous évoquez ceux qui aiment le Fespaco et c’est vrai qu’il y a comme une histoire d’amour avec le Fespaco. Qui dit amour dit aussi exigence et des critiques fusent comme toujours. Y a-t-il des choses que vous voudriez développer, mettre en perspective ?
Ceux qui sont exigeants vis-à-vis du Fespaco doivent être honnêtes et objectifs car ce sont les mêmes qui nous critiquent quand nous sommes exigeants.
Pourriez-vous donner des exemples ?
Je ne vais pas donner des exemples : certains se reconnaîtront dans nos propos. Nous ne cherchons pas à répondre à X ou à Y. Nous disons simplement que ceux qui veulent s’attaquer au Fespaco doivent réfléchir vingt fois avant de le faire. En 2009, nous avons apporté des changements fondamentaux que le Fespaco n’avait pas connus depuis sa création. Nous avons été attaqués car certains ne les ont pas compris, mais quand on veut changer les choses, on ne demande pas l’avis de qui que ce soit, on le fait dans l’intérêt du festival. Nous écoutons les critiques et en tenons compte, mais ceux qui ont critiqué sont à nouveau ceux qui critiquent ce qu’ils ont eux-mêmes proposé. Je demande donc à tous ceux qui visitent le Fespaco d’être objectifs et honnêtes.
J’ai été frappé par ce que disait Stanislas Meda dans Fespaco News : « La délégation générale du Fespaco a mis en place une approche très originale de sélection des films dès la fin de l’édition 2009 ». Pourriez-vous détailler cette approche ?
En 2009, nous avons posé quelque chose qui a été combattu mais nous pensions être dans le droit chemin en fixant la date limite des inscriptions au 31 décembre. Cela ne nous permettait pas objectivement d’avoir un catalogue dans les temps. Nous avons ramené la date limite au 31 octobre, au plus tard 31 novembre, ce qui nous a permis d’avoir un catalogue et un programme dans les temps comme tout festival responsable. Nous devons faire le choix entre un Fespaco professionnel et la volonté des réalisateurs, et avons choisi la professionnalisation. A eux de nous suivre dans cette voie.
Des bruits de couloir disent que le film de Yousry Nasrallah aurait pu avoir l’étalon s’il n’avait pas été disqualifié pour des raisons de format de la copie. Cette question de format revient de façon récurrente dans les critiques formulées. Le cinéma en Afrique est aujourd’hui plus numérique qu’en 35 mm mais le Fespaco tient à ce format pour la compétition longs métrages. Quelles en sont les raisons ? Peut-on espérer un changement ou bien est-il important de conserver ce format ?
Les bruits sont ce qu’ils sont mais les personnalités choisies ne nous ont pas fait cette remarque. Chacun a son étalon dans sa tête. Certains déçus ont attaqué le jury mais chacun doit être modeste. Ce n’est pas parce qu’un film a eu le prix du jury à Cannes qu’il doit avoir l’étalon. C’est moi qui ai découvert Un homme qui crie à Angoulême et l’ai proposé pour la sélection. Nous sommes allés chercher six films de la sélection sans qu’ils nous aient été proposés. Ces six films sont des films majeurs et ils sont tous au palmarès. Nous sommes dans un axe professionnel et n’avons de leçon à recevoir de personne. Nous allons de plus en plus vers les films et les réalisateurs. Nous avons mis en place un jury de professionnels que personne ne peut attaquer. Son choix est libre et nous n’avons aucune influence sur le jury, aucune. Je n’ai su son choix que quatre heures avant la proclamation officielle.
Je crois que le Fespaco est le seul festival au monde à accorder autant de flexibilité au niveau des films retenus. La situation politique a compliqué la question du format pour Sheherazade. Nous avions été au festival du Caire et avions apprécié les films présentés. Cela faisait plus de vingt ans que l’Egypte était absente de la sélection du Fespaco. Nous avons donc fait une démarche spécifique. On nous a assuré que nous aurions les films à temps et nous avons ramené une copie de travail comme pour tous les films, à la condition que nous recevions les films en 35 mm à temps. Nous ne les avons pas reçus. Les clauses du Fespaco datent de 1969, nous ne les avons pas inventées et nous devons les respecter. Si évolution il doit y avoir, ce sont aux professionnels du cinéma africain de le décider.
Vous voulez dire la Fepaci ?
Oui. Le Fespaco ne décidera pas à leur place. Mais aujourd’hui la Fepaci ne représente rien. Il faut qu’il y ait une réflexion au niveau de tous les professionnels du cinéma africain. Mais le Fespaco est bien placé pour dire que les cinéastes ne partagent pas la même idée sur les formats. Il faut trouver une position unanime et consensuelle, et ce n’est pas encore le cas. Nous appliquons donc encore la position qui fut unanime et consensuelle à l’époque. Il faut donner le temps au temps et réfléchir ensemble sans précipiter les choses.
Cela doit-il passer par une commission spéciale ?
Non, on n’en a pas besoin : la Fepaci existe. Il faut que les cinéastes reconsidèrent la Fepaci pour arriver à une décision. C’est un fait : le Fespaco est en relation avec la Fepaci mais la Fepaci a toujours été absente des activités du Fespaco. Ils attendent qu’on les invite. Il faudrait qu’ils comprennent pourquoi ils sont élus. Je suis en train d’amener le Fespaco à un certain niveau. Si les autres acteurs ne suivent pas, ils seront largués, et ce serait dommage. La Guilde a tenu durant la 20ème édition (2007) une réunion avec tous ses membres : nous les avons soutenus. Le Fespaco souhaite avec tous ceux qui font avancer le cinéma africain avoir des relations fermes et solides, mais ceux qui traînent la patte, nous allons avancer sans eux.
Jeune Afrique avait publié un article il y a près d’un an indiquant que vous vous faisiez du souci quant à la qualité de la sélection. Est-on en panne de bons films ?
Nous recevons à 100 % des félicitations sur la sélection 2011 qui est considérée comme solide, forte, diversifiée et de bonne qualité. Un réalisateur peut être malhonnête quand il pense être sorti de la cuisse de Jupiter et devoir remporter l’étalon. J’attends une critique responsable de notre sélection mais n’en entends pas. Toutes les cinématographies majeures sont représentées : l’Algérie, le Maroc, l’Egypte, l’Afrique du Sud, le Burkina, le Mali, le Nigeria, etc. Sur la sélection 2009 comme 2011, aucun professionnel ne nous critique. Ceux qui le font sont ceux qui sont en compétition, c’est normal, mais le jury est souverain. Sur nos sites, nous n’avons que des félicitations sur ce jury. Ce n’est donc pas un cinéaste qui peut nous ébranler, fut-il sélectionné à Cannes.
Il est rare de voir un jury présidé par un universitaire. Mbye Cham est certes reconnu dans le milieu mais ce n’est pas une personne médiatique. Votre volonté était-elle une caution intellectuelle ?
C’est ce qui est le plus important. Il faut voir le palmarès sur les trois films remportant un étalon : je félicite le jury car il a équilibré son choix entre une volonté scientifique et des bases plus populaires. On nous reproche souvent de prendre des gens qui ne connaissent rien au cinéma et si l’on prend des intellectuels, on nous le reproche aussi. Mais personne ne peut attaquer la portée scientifique, l’intelligence et la compétence des personnalités du jury 2011.
Si je comprends bien, le Fespaco veut accompagner la tension à l’uvre au sein des cinématographies africaines entre un cinéma plus exigeant qui s’inscrit dans la tradition des cinémas africains et un type de cinéma qui emporte la réception du public en reflétant avec humour le quotidien des gens.
Tous les festivals sont confrontés à cela : même Cannes a donné sa palme en 2008 à un film français, Entre les murs, auquel les médias n’avaient jamais donné une chance. Ce n’est pas nouveau. Il faut laisser le jury souverain et chacun juge.
Vous-même, avez-vous envie d’accompagner cette tension dans votre sélection ?
Nos critères sont scientifiques, mais aussi d’équilibre pour ouvrir à toutes les provenances et dessiner le panafricanisme à travers la sélection. On trouve ainsi 28 pays en compétition, donc la moitié de l’Afrique, et une soixantaine de pays dans toute la programmation. Nous voulons que le Fespaco soit un festival ouvert sur le monde tout en respectant l’esprit panafricain dans la compétition. Cela doit préserver et conforter notre festival car nous sommes le seul festival africain à travailler sur cet axe.
Lors de notre entretien de bilan du Fespaco 2009, vous aviez insisté sur votre volonté d’obtenir davantage d’autonomie de gestion vis-à-vis du ministère. Avez-vous pu progresser en ce sens ?
Il y a dans ce sens un progrès, mais il faut poursuivre. On ne peut pas tout acquérir en deux ans mais l’essentiel est que notre message a été compris, pas seulement par l’Etat burkinabé mais aussi par les partenaires. Le ministère français des Affaires étrangères a par exemple bien compris notre souci et nous a versé le montant intégral du budget alloué. L’Organisation internationale de la Francophonie par contre est restée sur les bases traditionnelles. C’est regrettable mais il faut travailler. Sur une subvention de 75 millions, ce qui est un effort énorme, nous n’avons que 12 millions. L’Etat burkinabé l’a compris en versant la totalité des 500 millions de subvention à une semaine de l’ouverture du festival contrairement à 2009 où ce n’était que deux jours avant. Il faut continuer à sensibiliser. Nous avons eu la subvention de l’Union européenne au mois de novembre : tout ce qui était émargé sur cette subvention s’est bien déroulé. D’ici quelques éditions, tout cela rentrera dans l’ordre mais il faut que les partenaires comprennent notre démarche. Nous avons encore des arriérés de 2009 avec l’OIF, qui vont s’ajouter à ceux de 2011 ! Où allons-nous ? Nous aider, c’est nous donner les financements à temps ! Sinon, ça a le temps de nous faire mal, avec les hôteliers, les agences de voyages, les restaurateurs. Nous voulons travailler en temps réel pour donner une bonne image du Fespaco.
La Fédération africaine de la critique a de nouveau produit durant ce Fespaco le bulletin critique quotidien Africiné. Comment recevez-vous cette voix critique, ce travail de journalistes africains issu d’un atelier à la fois de formation et de prise de parole ?
J’ai soutenu cette idée. Autant je salue ce que les journalistes africains ont fait, autant que voudrais présenter toutes mes excuses au président de la Fédération internationale de la critique. Nous voulions qu’il vienne avec son jury au Fespaco et avons tout fait pour qu’il vienne mais nous avons eu des difficultés liées à la situation politique dans les pays arabes qui a retardé la question des transports. Nous avons même payé leur billet et allons en perdre le coût, mais je demande leur compréhension, leur tolérance et leur indulgence. Nous ferons tout pour que le prix de la Fipresci puisse avoir lieu en 2013, car le cinéma ne peut avancer sans la critique, non seulement africaine mais aussi internationale. Nous nous étions engagés et je suis peiné car nous voulions sceller avec la venue de la Fipresci à Ouaga une relation forte entre la critique internationale et notre festival.
Comme le cinéma, le Fespaco a lui aussi besoin de la critique. C’est vrai que certaines sont parfois excessives et ont influencé nos partenaires, mais ceux-ci savent les difficultés qu’ils engendrent au Fespaco. Nous devons bien sûr cajoler nos partenaires mais ils doivent aussi savoir que nous avons des limites. S’ils dépassent les bornes, nous devrons dévoiler leur irresponsabilité par rapport à certaines situations. Si cela se répète, nous allons mettre à nu les carences de certains partenaires quand ils ne respectent pas les cahiers des charges. Nous devons lutter contre les difficultés engendrées non par le Fespaco mais par les partenaires, et cela n’est pas facile. Nous savons qu’il peut y avoir des lenteurs mais il ne s’agit pas de charger le Fespaco car nous allons répliquer et ce ne sera pas à leur avantage.
Voilà qui est net !
Effectivement, je n’ai pas la langue de bois !
Ouagadougou, le 7 mars 2011///Article N° : 10007