Dans le troisième roman d’Amin Zaoui, la dédicace annonce les deux sujets du livre : » Ouvrez mon cur, vous y trouverez Rabia et Oran, une femme et une ville « . Au centre de La Razzia, des femmes et une ville. Et un bordel. Celui-ci entretient la face joyeuse de la vie, dans un monde qui prend trop goût au sang et aux massacres. Dans la demeure de Washma ne coule que le vin. Massaoud y fait son apprentissage d’homme : alcool et femmes. Et puis tout change. Massaoud n’y comprend pas grand chose, réfugié dans une abbaye française, hanté par ses recherches sur les écrivains persécutés, les souvenirs de sa vie avec Nouba, la femme aimée, et l’éternelle question : » Pourquoi est-ce que je pense, moi et moi seul, à ce bordel que tout le monde a enterré dans le cimetière de l’oubli ? » Alors, Massaoud ressasse l’histoire de la maison de joie : nationalisé ( » Accès gratuit à tous les appelés ! « ), puis islamisé ( » Epouses à tous les fidèles ! « ), le bordel perd son parfum, sa musique et son histoire qui ne vit plus que dans la tête du narrateur. Quand une amie lui demande : » A quoi penses-tu, au bordel ou à ton pays ? « , on est tenté de répondre à sa place : » Mais n’est-ce pas la même chose ? » T.T.
Ce livre est un véritable enchantement pour les yeux. Les photographes font ressortir l’importance de l’éventail des couleurs dans ce pays de lumière qu’est le Royaume Chérifien. Blancheur écarlate des cités historiques que le soleil contribue à rendre encore plus « neigeuse » : « Murs d’une neigeuse blancheur » et « rues étroites ensevelies sous la chaux blanche » comme l’écrit Pierre Loti à propos de Tanger ; blancheur qui habille toutes les cités de la côte atlantique à l’image d’Essaouira dont la création remonte à l’ère des Phéniciens, blancheur du gebs (stuc) dont les constructeurs font une grande consommation. Bleu pur du ciel au printemps, bleu plombé en été lorsque la canicule impose sa lourde chape, bleu reposant de l’Océan ou de la mer, bleu du tatouage des femmes, bleu des magnifiques turbans et des vêtements en cotonnades des hommes du désert, bleu envahissant qui habille toute la ville de Chefchaouen dans le Rif. Du bleu, couleur de la fraîcheur à l’ocre, couleur de la sécheresse, il faut souvent le battement d’une aile d’avion qui fait rejoindre au voyageur les mystérieuses terres du sud pour y découvrir les imposants remparts de médinas séculaires. L’ocre pas si éloigné que cela du vert des Oasis et des palmeraies. Le vert, cette couleur sacrée, étendards de l’Islam et couleur préférée du Prophète Mohamed. Ainsi, sur 160 pages abondamment illustrées, les auteurs passent en revue onze couleurs principales (blanc, bleu, ocre, brun, vert, orange, rouge, rose, jaune, gris et noir) qui font du Maroc « une gigantesque palette aux mille peintures qui puisent ses racines dans la nature comme dans la créativité des hommes. F.C.
Ce premier roman de Cécile Oumhani est le récit d’un déni. Déni d’un sort trop lourd à porter, trop étouffant, trop injuste. L’héroïne, Kenza (« trésor » en arabe) se retrouve au sortir de son adolescence face à un dilemme : faut-il accepter de se plier aux coutumes ancestrales et par-là même s’assujettir aux mâles (père, frères, futur mari) ou combattre ces mêmes traditions et refuser de devenir objet ? Kenza choisit pendant longtemps de contourner les obstacles sans jamais vraiment les affronter ou les fuir. Fuite que la mènera en France pour finir ses études et ce malgré l’opposition de sa famille. Elle comprendra bien plus tard que ce n’était peut-être pas la solution idéale, et se rendra compte qu’elle a le droit de vivre pour elle-même au lieu de se prosterner tout en acceptant la loi des autres.
Le plus frappant dans ce roman est que le message de liberté et d’émancipation se transmet grâce à une écriture d’une rare délicatesse, témoignant de la sensibilité à fleur de peau de l’auteur. La société méditerranéenne y est décrite sans clichés ni stéréotypes. Y transparaît, au contraire, une rare objectivité et une clairvoyance sans complaisance mais tout de même dénuée de brutalité. L’on oublie presque (nous disons bien presque…) qu’il s’agit d’un procès fait au machisme et aussi au rôle joué par la majorité des femmes dans l’asservissement de leurs soeurs.
Ce roman est une description détaillée de ce que peut ressentir une femme assoiffée de liberté, des dédales par lesquels elle passe avant de comprendre qu’elle peut et se doit de s’affranchir, même s’il lui faut pour cela souffrir atrocement des déchirements provoqués du clan familial. F.C.
» Les nègres, tout stupides qu’on les dise, font grand cas de l’esprit » écrivait Victor Schoelcher. L’abolitioniste français a lui-même traduit du créole des proverbes chargés de sens, et publié un texte intitulé L’intelligence de l’homme noir. Ce sont ces documents que publie l’historien Jean-Marc Laleta Ballini qui avait déjà permis au grand public de lire le Code noir de l’esclavage. C’est à la source que sont allés Liliane Prévost et Barnabé Laye pour rassembler en un guide thématique la sagesse séculaire véhiculée de bouche à oreille par les proverbes. Il n’est pas toujours aisé de saisir le sens des mots et les auteurs non seulement les traduisent systématiquement mais accompagnent le lecteur par de nombreuses citations d’écrivains renommés ou de livres érudits, si bien que ce recueil profitable se compulse comme référence ou bien, sans marque page, sur la table de nuit. O.B.
A la fois étude rigoureuse et pamphlet, ce livre invite à une plongée dans l’univers audiovisuel africain. Collusion des télévisions nationales avec les pouvoirs politiques, désinformation, acculturation, invasion du sport et des émissions occidentales : le constat est édifiant. Mais il est argumenté : statistiques et analyses des programmes légitiment une colère qui se veut constructive, puisque le livre se termine par une série de suggestions pour l’avenir. O.B.
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