O Fim Do Mundo, incursion dans les bidonvilles de Lisbonne 

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Sorti au cinéma le 6 avril dernier, O Fim Do Mundo raconte l’histoire de Spira, un jeune adolescent de retour dans son quartier d’enfance après huit ans passés en maison de correction. À Reboleira, bidonville de Lisbonne, il retrouve ses amis, sa famille, la fille qu’il aime et surtout beaucoup d’ennuis… Le dealer du quartier a tôt fait de lui faire comprendre qu’il n’est plus le bienvenu. Entre la difficulté de se réadapter dans ce milieu et la recherche de repères, le film raconte la vie de ce quartier riche de ses histoires et des rivalités qui l’animent. Mais aussi d’une réalité politique et sociale qui rattrape la vie du jeune homme avec la destruction de ce monde aux mille histoires. Inspiré du vécu du réalisateur, Basil Da Cunha nous révèle les subtilités de son film.

Fils d’immigrés d’origine portugaise, Basil Da Cunha a vécu en Suisse pendant une bonne partie de son enfance où il se passionne d’images et de cinéma. À 20 ans,il part vivre au Portugal dans le quartier populaire de Reboleira à Lisbonne au sein duquel il fait la rencontre de la communauté capverdienne, à laquelle il s’attache. Il dit y avoir partagé des moments forts en découvrant la « magie » de cette culture et les réalités auxquelles les habitants sont confrontés au quotidien. En 2019 il se décide à poser sa caméra pour faire parler ce quartier et les habitants qui le font vivre avec ce long-métrage de 107 minutes.

Basil Da Cunha a souhaité faire un film « dur », qui n’est pas là pour adoucir la réalité mais bien pour parler de « vraies choses » pour reprendre ses termes. Le réalisateur présente la politique de destruction, depuis une dizaine d’années, des quartiers populaires de Lisbonne dans le but de construire des logements adaptés à la nouvelle offre de tourisme de masse dans la capitale. Les conséquences sont de laisser pour compte des centaines de personnes qui se retrouvent du jour au lendemain sans logement, livrés à la rue et à tous les vices qui l’accompagnent.

Dans ce film, on suit l’histoire de, Spira, adolescent qui sort d’un séjour en maison de correction et redécouvre les conditions de vie de sa cité. « Nous ne sommes pas tous nés dans les mêmes conditions, nous n’avons pas tous les mêmes possibilités » évoque le réalisateur, qui met en lumière les tabous de la société portugaise tels que le racisme, la drogue, la pauvreté, la délinquance, entre autres. Le but n’étant pas de porter un jugement sur les personnages, mais bien de dénoncer un problème de fond qu’il identifie comme provenant des « banques et des politiques, ceux qui nourrissent les inégalités et la pauvreté ». Parmi les thématiques abordées il y a aussi la fin de l’innocence pour les jeunes qui font une entrée brutale dans la vie d’adulte. « C’est plus compliqué de s’en sortir quand on vient de ses quartiers, obligé de grandir plus vite ». Rite de passage obligatoire pour les adolescents du film, symbolisé par un baptême du feu assez violent où malheureusement certains se brûleront les ailes.

Un cas de conscience pour le réalisateur

Si le réalisateur évoque des thèmes forts et difficiles à aborder, cela a aussi été pour lui un cas de conscience. Parler des quartiers dans un film c’est « porter une responsabilité », celle de véhiculer des stéréotypes et des préjugés sur un milieu déjà emprunt à beaucoup de fantasmes. Pour autant, c’est un positionnement assumé de sa part : « c’est une question que je me suis posée tous les jours en allant filmer, mais j’ai aussi un devoir d’honnêteté ». Quand il parle de réalité qu’on ne peut plus cacher c’est aussi cette réalité, « dure », des quartiers. Celle décriée dans les médias et par certains mouvements politiques. Basil Da Cunha laisse transparaître une forme de fatalisme, celle dont on pense qu’elle est liée à un environnement et à une génération. Il tient quand même à rappeler qu’on ne peut pas essentialiser tout un quartier, toute une population et toute une génération à travers des personnages de fiction. Il assure avoir voulu tout montrer avec « honnêteté, amour et respect », notamment pour la communauté qu’il met en avant.

« Je n’ai pas choisi la communauté capverdienne, c’est elle qui m’a choisi » 

En s’installant à Reboleira 15 ans plus tôt, il ne s’imaginait pas qu’il trouverait un second chez soi. Pourtant, au milieu des conditions de vie difficiles, ce qui le marquera le plus c’est sans doute l’accueil des plus chaleureux dont il a bénéficié de la part des capverdiens du bidonville de Lisbonne. Intégration plutôt facile et rapide « qui donne de la force », ils ont appris l’un de l’autre. Au fil du temps, il a vu « les petits du quartier » grandir et la chance que ces jeunes ont de partager deux cultures : celle de leurs parents et celle du pays dans lequel ils vivent où certains même ont vu le jour. Et puis, comme un flash ou une vision inattendue, c’est en écoutant une musique capverdienne des années 1970 que lui vient l’idée d’une séquence du film. Il souhaite alors mettre à l’honneur ce peuple à travers ce quartier et sa culture, qu’il mettra en images quelques années plus tard.

Le marqueur fort du film restera sans doute les voix originales tournées en majeure partie en créole capverdien. Une langue pourtant peu connue du grand public mais un choix symbolique pour le réalisateur : « le créole est une belle langue pour mettre en idée certaines expressions et il faudrait être fou pour ne pas l’exploiter ». Un choix essentiel mais semé d’embûches nous confie-t-il, car cela n’a pas été simple de trouver des financements pour la réalisation du film avec « des personnages non blanc, une langue très peu connue et des acteurs débutants ». Un choix audacieux et pleinement revendiqué qu’il explique en affirmant « on ne peut pas toujours penser en termes commerciaux ». Un acte fort et une manière singulière de ne pas céder aux codes imposés par l’industrie culturelle et cinématographique. Da Cunha a aussi eu la volonté de partager la richesse musicale du Petit Pays. Pas seulement celle connue de tous comme les chansons de Mayra Andrade ou celles de la diva aux pieds nus Cesária Évora, mais aussi les musiques du terroir, des années 80/90. Celles qui méritent d’être découvertes ou redécouvertes. 

« Il n’y a pas de misère, seulement des difficultés ». 

Le film  véhicule un message de résilience sans tomber dans le sentimentalisme ou la dramatisation. La force du quartier et des personnes incarnées par les personnages de la fiction réside dans leur capacité à ne pas se lamenter sur leur sort. Elles dégagent une force de survie face à l’adversité, accompagnée d’une joie de vivre toujours au rendez-vous, même dans les moments les plus sombres ou inopinés. Cela donne d’ailleurs à la narration une touche d’humour en décalage avec la réalité présentée.

Le but était aussi de lever le voile sur ces espaces trop souvent diabolisés en emmenant les spectateurs à découvrir le quartier de l’intérieur. Notamment avec l’utilisation de gros plans sur les visages des personnages qui donne un sentiment de proximité. Le spectateur vit et existe aux côtés des protagonistes, il observe également leur évolution ou leur dégradation. Finalement, peu importe les moyens utilisés pour s’en sortir, qu’ils soient bons ou mauvais, réprimandables ou acceptables, n’est-ce pas au spectateur d’en décider ? C’est cette place qui est laissée à ceux qui regarderont le film, cette liberté de penser et de se faire sa propre opinion. Même si le réalisateur nous assure qu’on ne peut pas sortir de la salle sans s’attacher à l’un des personnages. Il nous affirme de même qu’un spectateur lui a dit « ton film m’a donné envie de m’asseoir avec ses jeunes dans le quartier et de discuter autour d’un bon barbecue ».

La Fin d’un Monde ?

Le film parle de la fin d’un monde autant dans la fiction que dans la réalité. Le projet de démolition est toujours en cours dans le quartier de Reboleira à Lisbonne et prendra fin d’ici quelques années. Mais au moins ce qui restera c’est l’empreinte laissée par ce film : « On est sur la carte et maintenant on doit le graver », comme une trace indélébile qui doit rester pour témoigner de ce qui appartiendra bientôt au passé. Le récit d’une génération, pour apprendre à la connaître et mieux la comprendre, ce film est la mémoire de ce monde à travers le cinéma. C’est l’âme du quartier qui réside dans le scénario, c’est le visage figé de ces habitants « doux et chaleureux » comme le décrit le réalisateur. Mais ce sont aussi les sales histoires qui l’ont fait vivre, tant dans le bon que dans le mauvais. Un film écrit pour eux, les « petits du quartier », pour la mémoire, pour la culture. Une manière aussi de faire parler une communauté dont on a beaucoup à apprendre. Une façon de montrer que le vivre ensemble est possible et qu’il mérite d’être pris en exemple.  Un monde qui est amené à disparaître mais qui subsistera dans l’imaginaire des gens, dans les souvenirs et gravé à tout jamais par cette production cinématographique. 

Aujourd’hui Basile souhaite amener son long-métrage le plus loin possible. Que ce soit dans les cinémas associatifs ; culturelles et commerciaux ; dans les festivals ; les écoles, afin de prolonger les débats autour du film. Une autre production de comédie musicale est en cours où la musique traditionnelle cap verdienne sera mise à l’honneur.

Emilie BORGES

O fim do Mundo – Basile Da Cunha

Therra Productions, 2019


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