Dans une compétition officielle du festival de Cannes 2006 peu ouverte aux productions africaines, à l’exception du film Indigènes du franco-algérien Rachid Bouchareb qui a remporté un prix collectif pour les acteurs du film Ongeriewe du Sud-Africain Robin Kleinsmidt, est le seul film africain à avoir été sélectionné dans la Compétition courts métrages. Sans doute est-ce grâce à sa force visuelle et son rythme soutenu, avec une caméra très mobile et proche des acteurs. Formé à la réalisation à l’AFDA, la célèbre école de cinéma de Cape Town, Kleinsmidt a choisi, pour ce court métrage de fin d’études, un sujet très délicat : le malaise (traduction en français du titre du film) d’un trio d’adolescentes qui flânent pour les bidonvilles et HLMs de Hout Bay à la recherche de » tik » (le nom donné en Afrique du Sud à la méthamphétamine, devenue un véritable fléau dans le pays).
Le jeune réalisateur fait preuve d’une bonne maîtrise du langage cinématographique, avec une mise en scène qui dérange et désoriente le spectateur, en phase avec le sujet choisi. On est précipité sans préambule dans une des journées type de Charlie, le protagoniste du film, qui semble ne penser qu’à trouver de quoi se » shooter » avec ses deux copains. Il reste insensible aux reproches de sa mère, inquiète de la disparition de son frère aîné, autant qu’aux demandes de la fille-mère qui cherche elle aussi ce frère qui lui doit de l’argent pour le soutien de son enfant. Le réalisateur évite avec bonheur les clichés, à travers une construction narrative qui suggère plutôt qu’explique : le spectateur doit se confronter à un personnage dont il ne saisit ni les motivations ni les causes de son malaise. Charlie semble quant à lui ne savoir se confronter ni avec sa vie ni avec celle de ses proches. C’est dans ce dédoublement dans l’écriture aussi bien que dans les personnages qui donne au film sa vitalité et son originalité.
Toutes les rencontres de Charlie lui rappellent son frère, figure absente qui devient peu à peu son double : l’apparente banalité d’un récit centré sur le quotidien de Charlie se transforme en un mécanisme d’horlogerie qui explose dans l’événement tragique avec la découverte de la mort du frère aîné. Le suicide de celui qui semblait devoir être la face positive de Charlie révèle un malaise plus diffus et profond, un déracinement existentiel évoquant la quête d’identité d’une Afrique du Sud qui elle aussi digère ses chocs. Une quête qu’on retrouve dans d’autres films sud-africains récents, comme le docudrame Conversations on a Sunday Afternoon de Khalo Matabane : à la dernière édition du Durban International Fim Festival (14-25 juin 2006), ces deux films ont gagné les prix du meilleur film et du meilleur court métrage sud-africains.
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