à propos du Balcon

Entretien de Sylvie Chalaye avec Greg Germain

Avignon, juillet 1999
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Après L’Esclave et le Molosse que vous avez mis en scène l’an dernier d’après le roman de Chamoiseau (cf Africultures n°10) et que vous reprenez d’ailleurs à la Chapelle, pourquoi avoir choisi de monter une pièce de Genet ?
Il y a au moins quatre ou cinq raisons. C’est d’abord pour moi un des plus grands auteurs de ce siècle. C’est un peu terre à terre, mais je compare souvent son théâtre à une boîte de Vache qui rit. Sur la boîte de Vache qui rit, il y a une Vache qui rit qui a une boucle d’oreille qui est une boîte de Vache qui rit sur laquelle il y a une Vache qui rit qui a une boucle d’oreille qui est une boîte de Vache qui rit…. Le théâtre de Genet recèle tellement d’images, tellement de tiroirs, de facettes et de reflets différents. J’ai aussi un amour particulier pour Genet parce qu’il fait partie des auteurs que j’ai joués, Le Balcon. tout particulièrement. Et j’avais toujours imaginé de monter cette pièce de cette façon.
Mais il y a également une raison politique : prouver que les acteurs noirs sont des acteurs qui peuvent tout jouer et les sortir de ces rôles estampillés  » Noirs « , dans lesquels on les cantonne encore trop souvent en France.
Mais vous avez une distribution en noir et blanc…
Justement il s’agit de dépasser la question de la couleur. D’ailleurs le public a vite fait de l’oublier. Et la fréquentation de la Chapelle l’a démontré chaque jour, le public n’est ni hostile, ni fermé à une expression théâtrale différemment française. Et c’est bien encore là l’enjeu de ce choix. Je tenais aussi à montrer que Genet peut m’appartenir, comme Kwahulé m’appartient, comme Césaire m’appartient, comme Chamoiseau m’appartient. C’est ce que je considère comme étant la créolité. Montrer qu’il peut y avoir des metteurs en scène noirs en France qui puisent dans un imaginaire autre, qui fassent d’une oeuvre une lecture caribéenne, puisque c’est de là que je viens, sans la trahir pour autant, et en révèlent au contraire une autre dimension.
Genet est aussi l’auteur des Nègres
Bien sûr, ce n’est pas innocent. Un critique a écrit :  » Maintenant je comprends mieux Les Bonnes « . Et c’est pour moi un grand compliment. Il y a dans ce théâtre un imaginaire différent de l’imaginaire occidental habituel, un univers qui me parle avec force.
Le théâtre de Genet joue beaucoup avec le rite, le cérémonial, et c’est précisément cette dimension que vous vous êtes réapproprié et à laquelle vous donnez du sens.
Ma mise en scène est résolument caribéenne, ce qui signifie pour moi de puiser dans ce qui est sans doute au coeur de la culture Caraïbe : le rite vaudou. C’est pourquoi la cérémonie se passe dans un sanctuaire. Les clients qui se rendent dans la maison d’illusions de Madame Irma sont chevauchés pas des dieux, qu’ils soient Général, Evêque ou Juge ; par des allégories qui entraient parfaitement dans l’imagerie du rituel vaudou.
Vous avez fait des recherches sur le vaudou, vous avez travaillé avec une spécialiste. Cependant le néophyte ne perçoit pas toute la symbolique, la référence au vaudou lui parvient de manière un peu lointaine. Et vous n’en faites jamais un matériau exotique ou un artifice esthétique.
C’était en effet le piège à éviter. Le vaudou s’est imposé comme une évidence. A chaque page du Balcon, il y a une référence à la mort, au rituel, au simulacre. Toute chose que l’on trouve dans le panthéon vaudou. Le Balcon est habité par une religion, religion de la mort, religion de l’image. A l’extérieur gronde la révolution où un chef des révoltés va prendre le pouvoir. Et très curieusement, il y a une soixantaine d’années en Haïti, un grand prêtre vaudou s’est justement emparé du pouvoir. C’était Duvalier.
J’ai voulu montrer qu’en-dessous de l’oeuvre de Genet s’ouvre une espèce d’abîme, celui des gens qui veulent atteindre le pouvoir et qui se hissent au plus haut. Mais une fois, qu’ils ont le pouvoir, il n’y a rien d’autre que la postérité à conquérir. D’où les mausolées monumentaux que se font construire tous les dictateurs.
On finit par oublier que la maison de Madame Irma est une maison close.
Je n’ai pas considéré la maison de Madame Irma comme un de ces bordels dont l’imagination populaire veut que ce soit simplement un lieu où les gens viennent assouvir un désir sexuel. Une maison comme celle de Madame Irma n’est pas un hôtel de passe, on vient y chercher quelque chose que l’on ne trouve pas chez soi. D’où l’interrogation de Carmen :  » Dans une vraie maison il doit tout de même faire bon, pourquoi viennent-ils ?  » Parce qu’ils viennent chercher chez Irma quelque chose qu’on ne peut leur donner chez eux. L’illusion. C’est une pièce d’une telle poésie ! Il n’y a jamais une vulgarité, jamais une grossièreté. Le seul qui soit vulgaire est le chef de la police parce que justement sa grossièreté s’applique au pouvoir qu’il veut prendre.
En même temps vous en faites un homme très sobre dans son costume.
J’ai voulu qu’il n’ait aucune aspérité. Un de ces hommes lisses, tendus tout entier vers un seul but : prendre le pouvoir ; prêts à mourir pour l’atteindre. Je crois que quand vous êtes habité par le désir de domination, il ne vous reste plus rien. Plus aucune sexualité, aucune sensualité, et j’ai voulu le noir pour qu’il soit le plus uniforme possible.
Il y a aussi le personnage de Carmen dont on a l’impression qu’il est le seul personnage marqué par la culture caraïbe.
En lisant la pièce de Genet, on s’aperçoit que le seul personnage qui soit vrai, le seul personnage authentique, même si elle se cherche, si elle se pose des questions, c’est Carmen. Tout le rôle de Carmen, que Christine Sirtaine a parfaitement cerné, est le rôle d’un personnage qui se pose des questions. Elle aime Madame Irma, elle ne se voit pas ailleurs que dans la maison. Quand l’Envoyé lui demande  » Et vous ? Que fera-t-on de vous ?  » Elle répond :  » Je suis là pour l’éternité « . C’est le voeux pieux que j’essaie d’imaginer pour le monde noir, qui est là pour l’éternité, qui observe, qui regarde, qui imite quelque fois aussi, mais qui n’en demeure pas moins à l’extérieur et qui pense qu’il doit y avoir une troisième voie. Elle ne comprend pas ce jeu du pouvoir.
C’est pourquoi aussi, Carmen introduit la cérémonie du Chef de la police. J’ai repris la figure de l’esclave avec un masque argenté, parce que c’est avant tout ce qu’a représenté l’esclavage pour l’Occident : l’argent. Et j’ai tenu à ce que Carmen joue ce personnage, car elle pouvait dire aussi à cet endroit ce qui nous est arrivé.
Carmen est toute entière dans le questionnement. C’est pour cela que j’en ai fait un personnage qui dans ses vêtements, dans sa gestuelle, dans sa façon de parler, son phrasé, se fait le porteur de ma créolité.

///Article N° : 2046

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