« Quand je rentre de Haïti, je me tiens droite ! »

Entretien de Jacques Binet avec Antoinette Jean

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Pourquoi vous être spécialisée en art haïtien ?
Voilà huit ans que la galerie est ouverte ! Au départ, ce sont des Haïtiens qui m’avaient demandé de monter une exposition. Ils m’avaient fourni des diapos mais aussi des livres. C’est par leur littérature et leurs contes que j’ai découvert leur peinture ! J’ai retrouvé l’émotion d’un Malraux qui s’était rendu en 1975 à Haïti, avait découvert l’école Saint Soleil et en rend compte dans le chapitre 11 de l’Intemporel. Tiga avait donné peintures et pinceaux à des illettrés qui ont représenté les Loas, les esprits présents dans leurs rêves – une peinture mythique reprenant l’univers des dieux de l’agriculture, de la mer, du ciel etc. C’est une peinture très dépaysante qui demande qu’on accepte de rentrer dedans. L’exposition avait été prolongée, réapprovisionnée, moralement soutenue par l’Ambassade d’Haïti près de l’Unesco. Je me suis alors rendue en Haïti et j’ai été happée ! Ce n’était pas une décision de ma part : l’art haïtien s’est imposé !
Où trouvez-vous les toiles ?
C’est surtout lorsque je rends visite aux peintres en Haïti, souvent dans les bidonvilles. C’est très important de les rencontrer chez eux, dans leur contexte, pour les écouter. Je les photographie avec leurs oeuvres, pour les authentifier (car les faux se multiplient) et aussi parce que les acheteurs aiment connaître la personne qui a peint le tableau. J’achète aussi dans les galeries de Port-au-Prince les oeuvres exceptionnelles des peintres décédés, ainsi que dans les collections privées et les ventes internationales d’art haïtien.
Les discussions autour du prix sont terribles : il faut compter au moins deux heures, même si l’on sait la valeur d’une toile. Il y a là un rite essentiel. En général, je me tais et les laisse parler. Si bien qu’une fois, alors que nous étions tous deux silencieux, Prefete Duffaut me dit :  » On est deux pas gentils ensemble « .
On n’achète pas les Haïtiens : ils ont une dignité énorme. Dans ce pays parmi les plus démunis du monde, il n’y a pas de misère dans les coeurs. Quand je rentre de Haïti, je me tiens droite ! Leur art témoigne de cette force intérieure. Leur imaginaire est une sauvegarde : il n’y a pas de lions ou de girafes en Haïti mais ils sont omniprésents dans leur peinture ! Cette dignité n’est pas une raideur : écrire ou peindre les fait tenir debout dans le plus grand dénuement. Leur univers non-matérialiste est à la fois affirmation de dignité et histoire de leur révolte.

Galerie Antoinette Jean (65, rue St André des Arts, 75006 Paris, tel 01 43 26 23 29, fax 01 46 34 73 35, tlj de 14 à 19 h, visite-conférence le dimanche à 15 h.).///Article N° : 387


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