Sous les feux de la rampe avec Milk Coffee and Sugar, Edgar Sekloka joue avec les mots en concert mais aussi dans les livres. Après deux romans, il publie un recueil de poésie ‘Tite Chose chez Carnets Livres. Rencontre avec un inconditionnel amoureux de la vie qui fait de sa naïveté une arme imparable de création.
Regard pétillant, allure de jeune ado, casquette vissée à l’envers, Edgar Sekloka nous accueille dans un café attenant à une librairie de la place Clichy. Il publie ‘Tite Chose, un recueil de poésie à découvrir chez [Carnet-Livres]. Vingt-quatre textes, où l’amour inonde chaque page, explosent comme l’essence même de la vie. Faussement naïf, l’auteur de 33 ans rappelle, avec légèreté et lucidité, que « la vie est un grand amusement ». Il évoque brièvement sa lecture du moment, Les Insurrections singulières de Jeanne Benameur. Puis, d’une voix posée, il enchaîne naturellement avec ‘Tite Chose. Connu du grand public par le hip-hop et son groupe [Milk Coffe and Sugar], il dévoile en souriant que ce n’est pas le rap qui l’a amené à ce recueil de poésies : « Je suis venu à l’écriture par la poésie. À 10-12 ans, timide, j’écrivais des poèmes d’amour un peu naïfs. J’étais bercé par un romantisme un peu ronsardien qui me ferait ronfler aujourd’hui ».
L’écriture comme moyen d’expression et de communication avec le reste du monde. Sa sur, la chanteuse Ange Fandoh, de quatre ans son aînée, l’encourage à faire un bac littéraire. Il y découvre les maîtres à penser que sont Voltaire, Shakespeare, Hugo ou Ionesco. Le jeune homme enchaîne avec une fac d’Arts de la scène, option théâtre. « J’étais à ma place. Je faisais des ateliers d’écriture. J’apprenais à manier le verbe au-delà des poèmes que j’écrivais avant », se souvient-il. Avec comme professeur Sylvie Chalaye, spécialiste Théâtre pour Africultures, une nouvelle fenêtre sur le monde artistique s’ouvre. « Le déclic a été ma rencontre avec l’écriture de [Koffi Kwahulé] à travers son uvre Jaz ». Est-ce un hasard si le héros – ou antihéros – de son premier roman s’appelle Koffi ? Il se souvient aussi de Negrerrances de [Jose Pliya] comme d’une référence dans son éducation. Découvrant l’existence même d’un théâtre d’Afrique de l’Ouest, il est fasciné par l’oralité et le dynamisme, le ludisme permis par l’écriture théâtrale.
Il se rappelle avec bonheur ces années étudiantes tout autant que ses premières expériences professionnelles, de manutentionnaire à plongeur. « J’aménageais mon temps pour écrire. Je vivais toujours chez ma mère. Elle me faisait confiance, même si à l’époque je n’avais pas de perspective d’avenir toute tracée ». Sa mère le laisse expérimenter différents chemins, avant de trouver celui de Milk Coffee and Sugar, projet musical qu’il monte avec Gaël Faye et Touia El Haouzi en 2004.
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Avec Gaël Faye, rencontré grâce au collectif Chant d’Encre créé pour les 10 ans du génocide rwandais, il trouve un frère de mots et de rimes. Dans leurs textes, et leur premier album sorti en 2010, ils s’amusent à dénoncer en toute lucidité le monde qui les entoure, tout en suscitant l’espoir. « Voir le monde en lucidité c’est essentiel. La lucidité c’est l’espoir », insiste Edgar. À l’instar de Jean Jaurès qui disait qu' »il ne peut y avoir révolution que là où il y a conscience », Edgar est persuadé que « la prochaine révolution ne sera pas un grand soir de masse. Elle sera sociale, elle appartient à chacun qui agit au quotidien en toute lucidité vis-à-vis du monde qui l’entoure »
C’est aussi Gaël Faye qui l’introduit dans l’univers des poètes et auteurs haïtiens et antillais. « Je découvre alors l’écriture de l’exil ». La poésie l’emporte, le touche une nouvelle fois. « Le bon poète est celui qui arrive à synthétiser une émotion en quelques mots ». Il est transporté par les mots d’Aimé Césaire, mais aussi de [Lionel Trouillot] ou encore de Malcom de Chazal.
Son premier roman est pleinement empreint de ses influences théâtrales et poétiques. Sorti en 2008 dans la collection Exprim de Sabarcane, Coffe s’inscrit dans la mouvance des contes dits urbains de jeunes auteurs, susceptible de renouveler quelque peu l’offre littéraire actuelle. Prenant alors confiance en son écriture solo, il publie en novembre dernier Adultes à présent. À sa lecture, on y reconnaît tout autant les jeux de mots propres aux textes de Milk Coffee and Sugar, mais aussi le rythme, les tempos issus du monde musical et de la poésie.
Et, insiste-t-il, ‘Tite Chose « est peut-être plus proche » de ce qu’il est profondément, à savoir « quelqu’un de banal, inconditionnellement amoureux de la vie, optimiste et plein d’espoir, voir un brin naïf, qui accepte ses rêves ». comme il ne manque pas de le répéter.
Avec la poésie, il touche un public différent de celui qui se déplace aux concerts de Milk Coffee and Sugar. Le regard scintillant, il souligne que l’écriture lui a permis de rencontrer des pontes de la littérature comme Ahmadou Kourouma, Boubacar Boris Diop ou encore Sami Tchak. « La musique donne déjà une interprétation des textes alors qu’avec la poésie il faut prendre le temps d’être réceptif à l’émotion transmise », remarque-t-il.
Le bonheur comme arme, Edgar Sekloka ne souffre pas de questions identitaires comme son ami [Gaël Faye], pour qui l’exil forcé est une douleur qui l’a amené à écrire. « Je fais le chemin inverse de Gaël. C’est avec l’écriture que j’ai découvert qui j’étais ». Né à Puteaux (92), Edgar avoue que son enfance dans cette banlieue parisienne cosy lui a permis de côtoyer une population « qui a le temps de réfléchir, qui n’est pas obsédée par le besoin de trouver de quoi manger ». Sa mère travaille chez Renault. D’origine camerounaise, elle lui inculque les codes d’un pays et d’une terre qu’il n’a pas foulée. « J’ai une culture africaine très prononcée dans ma manière de vivre et finalement les valeurs françaises je les ai apprises hors de chez moi. Par exemple, je trouvais cela normal de vivre à douze à la maison. La famille est dans mon éducation essentielle et partout. Mais ici, j’ai appris aussi que l’égoïsme n’est pas nécessairement mal, qu’il contribue dans une certaine mesure au bonheur de tous ».
Lucide, il reconnaît que ces valeurs communautaires ne sont pas exclusives à une Afrique idéalisée, mais selon lui « le fait d’être Camerounais par ma mère et Béninois par mon père, que je n’ai pas connu, m’a donné une ouverture sur le monde ». Une ouverture, un enrichissement perpétuel, une certaine « double-culture », même s’il n’apprécie guère ce terme galvaudé et quelque peu à la mode.
Quand je vis le pays ma mère le cuisine
Une sauce, le N’Cui que mon accent gratine
L’odeur sur mes habits effraie voisins voisines
Dont la narine nie aimer cette cantine
(
)
Quand je vis mon futur je cherche l’origine
Et ma quête perdure depuis la tétine
Des lectures j’ai eu, mais n’étant que vitrines
Sont brochures de ma terre rouge cafrine
Extrait de Quand -‘Tite Chose – Edgar Sekloka
Désormais, et en toute lucidité, Edgar s’entoure de personnes inscrites dans une démarche qui lui parle, à l’instar de Gaël et Touiai pour la musique. Quant à l’édition, c’est par heureux un hasard du destin qu’il rencontre dans les rayons d’une librairie, Daniel Besace, « un homme du livre et du mot, un artisan et un artiste », insiste Edgar. Carnets Livres, la maison d’édition qu’il porte, se donne ainsi pour mission de « faire des livres qu’une machine ne pourrait faire, y inscrire des contenus qu’une machine ne pourrait lire ». Daniel Besace propose à Edgar de s’allier à un dessinateur pour éditer ‘Tite Chose. Thibaud Tchertchian s’y attèle. « C’est un homme qui vient du rap et du graff. Un artiste complet dont les dessins sont emplis de références », explique avec admiration l’auteur.
Que souhaiter de plus à Edgar Sekloka, artiste complet et épanoui ? A-t-il encore des rêves ? À l’instar du texte Je vis de Milk Coffee and Sugar, « Je vis car je souhaite laisser des traces/Des chansons, un roman, un gosse qui porterait mon nom », Edgar avoue qu’il aimerait « écrire quelque chose qui compte ». Un uvre de théâtre ? « J’espère mais je travaille pour le moment sur un prochain roman, qui, à travers la Corée du Nord parlera des dictatures en Afrique et ailleurs. »
En attendant, dans ‘Tite Chose, ses rêves prennent corps dans son amour envers Anna. À la manière des Yeux d’Elsa d’Aragon, Anna est sa muse, sa source d’inspiration, sa création. C’est d’elle qu’il parle, elle qui l’a fait Chaviré, elle qui a redéfini son temps (Début d’années Anna), elle qu’il embrasse (Embrasse-moi), elle qui le rend simplement heureux (La Belle du coq).
Alexandrin se perdait c’était le mois d’août
Le froid d’une dépression lui venait tout shuss
Il dévalait la pente avec perte et tracas
Dégringolait, suicidaire, vers son trépas
Mais le 26 du mois devint la Saint-Sylvestre
Le déclin 2010 lui parut moins funeste
Il la rencontra, l’Autre Monde commença
– Début d’années Anna –
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