Jusqu’au 30 avril, Lamyne M. pare les reines gisantes de la Basilique de Saint-Denis (93)de tissus à l’image de sa ville-babel. Ses Grandes Robes royales relient un haut symbole de l’histoire traditionnelle catholique de France avec son cosmopolitisme culturel.
Un jeudi d’hiver, dans la Basilique de Saint-Denis, Lamyne M. observe deux reines qui reposent dans la nécropole. Persuadé qu’elles se réveilleront d’un instant à l’autre, parmi les 70 tombeaux qui font de ce chef-d’oeuvre d’art gothique la dernière demeure des rois de France. Ce créateur d’origine camerounaise, dionysien depuis 2006, s’est inspiré d’elles pour sensibiliser ceux qui, parmi les 120 nationalités qui peuplent la ville, se censurent d’entrer dans la Basilique. Parce que lieu de mémoire catholique qui ne leur appartiendrait pas. Bravant les barrières religieuses et culturelles, Lamyne M. propose une autre vision du patrimoine. Ses créations relient toujours soigneusement le tissu artistique au tissu social. Dans la Basilique, le styliste a donc imaginé une exposition restituant la mémoire de reines des VIe aux XIVe siècles en les parant de robes à l’image du creuset culturel de Saint-Denis. Huit robes de trois mètres de haut se dressent ainsi dans la nécropole, explosions de couleurs et de vie parmi les tombeaux. Si leur silhouette reste fidèle à telle gisante, si leurs drapés sont à l’image des costumes médiévaux, les tissus assemblés s’inspirent d’un métissage moderne et radical : sportswear, jersey, denim, tissu d’apparat du Maghreb, etc. La robe de Jeanne II de Bourdon symbolise ainsi, à elle seule, toute l’Afrique de l’Ouest dans une superposition de wax et de bazin chatoyants.
En étudiant leur histoire, Lamyne M. a ainsi remarqué que les reines carolingiennes aimaient, elles aussi, les jeux de superpositions en couleurs vives et tranchées. Isabelle d’Aragon illustre la gentrification du 93, toute vêtue de cravates et costards que portent les « cols blancs » qui s’empressent vers les grandes entreprises du territoire, où seulement 1% des Dionysiens sont employés selon l’artiste. La robe de Blanche de France est quant à elle tissée d’une matière utilisée par les marques Diesel et Kaporal. Capuche, blaze du 93 cousu sur sa robe, Blanche porte par ailleurs la dentelle dont jamais la reine ne se séparait, disait-on. Car le créateur, en fin observateur des sociologies de sa ville, connaît tout aussi bien les secrets de ces reines. Finement choisies par Lamyne pour leur discrétion dans la mémoire historique de France, ces femmes sont souvent restées dans l’ombre d’un mari, d’un roi. Ainsi, les grandes robes ne sont pas seulement célébration des diversités, mais aussi hommage à la femme. Rendant la beauté de ces reines, il tend aussi la main aux femmes de Saint-Denis. L’apparat de Jeanne II de France a ainsi été confectionné avec les femmes d’une maison de quartier de la ville, à partir d’un tissu qu’elles ont choisi sur un marché de Sarcelles. Une réponse poétique, à travers les détournements et l’audace que permet l’art, aux prêcheurs d’une France figée sur une identité judéo-chrétienne, fantasmée comme une citadelle.
Les Grandes Robes Royales, jusqu’au 30 avril, de 10h à 17h15, à la Basilique de Saint- Denis, 1 Rue de la Légion d’Honneur. D’autres robes sont à découvrir au musée de Saint-Denis et au théâtre Gérard Philippe. Une expo en partenariat avec le Centre des monuments
nationaux et l’association Franciane.///Article N° : 13388