Il est des peuples, les Kanaks par exemple, qui disent que l’identité est dans la terre que l’on cultive. Dans Yema (mot par lequel on appelle la mère), c’est toute la nature qui détermine le présent et l’avenir. Cette femme, Ouardia (admirablement interprétée par la réalisatrice elle-même), perd son fils préféré, Tarek, et l’enterre avec amour. Il était officier, dans la vallée. Son autre fils, Ali, se bat dans les maquis, dans la montagne. Ouardia est dans l’entre deux, à flanc de colline, cloîtrée et surveillée par un manchot délégué par Ali, pour la » protéger « . Elle est l’interface de ces deux mondes. Nous ne quitterons jamais cette maison et les champs qui l’entourent. C’est là que se joue le drame de l’Algérie, dans l’entre deux, une femme face à la folie des hommes.
Ouardia ne déteste pas Ali mais l’idéologie mortifère qui s’est emparée de lui, jusqu’à lui ravir celui qu’elle chérissait. A celui qui sème la haine et la mort, elle oppose les graines qu’elle sème obstinément dans son jardin, cette vie que son geôlier refuse au départ de lui accorder, jusqu’à ce qu’il devienne figure de fils à son tour en épousant cette logique de vie. En un plan magnifique digne d’un Chahine, leurs mains malaxent la terre enfin irriguée. Ouardia ne pardonne pas, même pour l’Aïd, elle choisit simplement de ne pas baisser les bras. Il faut du temps pour qu’une logique de vie s’instaure, au rythme des saisons, des gestes simples du travail de la terre. Le film se met dès lors au diapason de la nature, en caresse la beauté, en suit le rythme. Point besoin de musique : juste écouter le vent, lequel se fâche parfois quand la haine revient. Au rituel du 40e jour de deuil répondent ceux inchangés de la nature et du travail de la terre. C’est cet acharnement à raviver la vie qui fait que lorsque le petit-fils arrive, la grand-mère saura s’en occuper. Seule cette conscience des femmes peut briser le cercle vicieux d’une violence toujours renouvelée.
De l’histoire classique d’une mère et de ses fils aux parcours opposés, Djamila Sahraoui tire un film formidablement sensible et épuré dont les images s’enfoncent en nous pour ne plus nous lâcher. Son refus de tout effet n’empêche pas le film d’être tendu de bout en bout. Elle ne distille les détails qu’au compte-goutte, si bien que le spectateur doit lui-même en composer les tenants et choisir l’ampleur de la métaphore. Entre la lumineuse splendeur de la nature et les clairs obscurs des intérieurs de la ferme se joue la résistance d’un pays qui doit retrouver dans son actuel entre deux la féminité et les logiques de vie qui lui assureront un avenir.
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