« Il n’y a pas d’Afrique ou d’Amérique qui tienne »

Entretien de Sabine Cessou avec Zim Ngqawana

Saxophoniste
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Zim Ngqawana, 42 ans, a étudié le jazz à l’université du Natal, avant d’aller aux Etats-Unis se former aux côtés de Max Roach et Wynton Marsalis. A son retour en Afrique du Sud, il a tourné avec Abdullah Ibrahim et Hugh Masekela, tout en développant son propre style. Sa discothèque comprend d’innombrables John Coltrane, mais aussi Mozart et le musicien pakistanais Nusrat Fateh Ali Kahn. Ouvert à tout, en quête spirituelle, Zim Ngqawana se veut un homme libre. Ce musulman pratiquant se refuse aux formules toutes faites et aux étiquettes. Dans son dernier disque, Zimphonic Suites, il reprend des chants traditionnels de son ethnie, les Xhosas. Une démarche qui ne réduit pas sa musique à quelque chose de spécifiquement sud-africain. Il rejette la couleur locale tout en remettant la globalisation en question. Il ne fait pas du jazz, mais de la musique. Il n’est pas africain, mais universel.

Que pensez-vous de l’ancienne génération de musiciens jazz sud-africains, incarnée par Chris McGregor ou Winston Mankuku, morts inconnus et parfois dans la misère ?
Le système a toujours voulu supprimer le jazz comme forme d’art, parce que le jazz traite de questions sociales importantes, parce qu’il aide à raisonner et à être libre. Ces musiciens représentent pour moi un héritage.
Que répondez-vous à vos critiques qui vous accusent d’être sous influence américaine, de n’être pas assez africain ?
Il n’y a pas d’Amérique ou d’Afrique qui tienne. Les maîtres américains font partie de mon peuple. Duke Ellington est mon père. John Coltrane est mon père. Je dois me connecter avec tous ceux de la diaspora qui font la même chose que moi, qui pratiquent la même expression, basée sur les mêmes conditions sociales. Je ne veux pas faire de discrimination, ni me limiter à l’Afrique du Sud. Le monde n’est pas l’Afrique du Sud.
L’ouverture du pays après 1994 a-t-elle profondément changé le jazz sud-africain ?
Non, puisque les plus grands innovateurs étaient là avant, et qu’ils étaient souvent en exil. Depuis 1994, nous assistons à une détérioration de la musique et de la pensée, pour des raisons économiques et politiques.
A quelles raisons pensez-vous ?
Il s’agit de la façon dont la vie est prise en otage pour que les gens ne se rendent pas compte du sens de leur vie. Il s’agit d’esclavage moderne partout dans le monde, de gens programmés pour dormir, travailler et consommer. Des gens que les artistes distraient. Je ne suis pas là pour la distraction.
Etes-vous en colère ?
Je suis compatissant. Je ne suis plus en colère, sinon je ne ferais pas la musique que je fais. La colère est dangereuse, elle peut vous consumer tout entier. Il faut la canaliser, la comprendre et en faire une stimulation pour affronter la vie. On peut en tirer le meilleur de soi-même.

Pensez-vous à quitter le pays ?
Je l’ai déjà fait spirituellement. Johannesburg reste une base pour des raisons logistiques, un endroit d’où je peux planifier et accomplir d’autres choses comme la vie de famille, dont j’ai besoin pour mon équilibre. Quand je dis famille, ce sont tous les gens qui pensent et qui veulent atteindre des buts positifs.
D’autres musiciens jazz font-ils partie de votre famille ?
Il n’y a pas de communauté jazz ici. C’est frustrant. C’est pourquoi j’ai passé de si bons moments à Paris, au dernier festival de jazz de la Villette. J’ai rencontré des musiciens américains, des critiques, des gens sensibles et conscients de ce qui se passe dans le monde, des militants. Je suis aussi allé rendre visite aux morts, je suis allé sur la tombe de Frédéric Chopin et d’Edith Piaf.
Que pensez-vous de l’adaptation jazz du maskanda traditionnel ?
Il n’y a pas de maskanda ou quoi que ce soit ! La musique est libre comme l’air… Nous vivons dans un monde de technique où la tradition est perçue comme étant sous-développée. Tout cela n’a pas de sens. Il faut développer la technicalité, la technologie pour la rendre compatible partout…
Vous sentez-vous mieux reconnu à l’étranger que chez vous ?
L’Afrique, l’Afrique du Sud, il n’y a que là que j’ai des problèmes pour jouer ma musique.
Pourquoi ?
Parce que les gens continuent de parler quand on joue… L’Africain doit comprendre sa réalité et s’adapter. C’est bien beau de prêcher la renaissance africaine et de ne pas la mettre en pratique. S’il faut être primitif, pourquoi continuer à vivre dans les quartiers chics ? Il faut revêtir les peaux, les perles, l’habit traditionnel et aller au bureau avec… Il faut transformer la tradition, la retravailler pour la rendre compatible avec notre vie urbaine, notre monde, notre réalité. Nous n’avons pas le choix : je ne vais pas prendre un cheval pour aller à Paris ! Il faut tout repenser de façon générale, et pas seulement pour la musique, si nous voulons jouer un rôle dans le village global.

///Article N° : 1881

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