Mwezi Waq: la folk comorienne dans un engagement critique

Print Friendly, PDF & Email

Avec leur nouvel album, Le blues des sourds-muets, le groupe de musique porte haut la voix de son archipel de l’océan indien à travers ses rythmes authentiques.

Costaud gaillard aux multiples casquettes; journaliste, artiste, chanteur et dramaturge, Soeuf Elbadawi est le porte flambeau du collectif Mwezi Waq. Un nom en forme de mot valise qui provient de Mwezi Wa ou « Lune de » en comorien et Q du mot « Qamar » (étymologie de Comores), « la lune » en Arabe. À cheval entre Paris et Moroni et malgré ses multiples occupations qui ne lui laissent pas assez de temps, ce dernier a toujours eu comme principal souci d’interroger la mémoire ancestrale de son pays d’origine, son héritage et ses multiples trajectoires. Un territoire métissé aux peuples venus d’Oman, de Perse, d’Indonésie, du Gujarat, du Mozambique, de Zanzibar, du Portugal… Dans ce petit pays, le chant permet au peuple de se connecter à ses ancêtres et aussi à chaque individu de se projeter. Ainsi expliquait Soeuf Elbadawi au micro de nos collègues de RFI en janvier 2023 : « Le chant, chez nous, c’est le lieu de la mémoire, la source des questions. Un Comorien qui ne chante plus, c’est qu’il n’entrevoit plus aucun espoir. ».  

Le mal du pays

Soeuf Elbadawi quitte son pays natal en 1992 pour s’installer à Paris. Il n’a que 22 ans. Il choisit alors d’évoluer dans le monde des médias. Mais des années plus tard, il est rattrapé par « Les démons de l’archipel » comme il le dit lui-même sur sa page Wikipédia. La bande musicale, cette émission quotidienne, diffusée à 17 heures, sur la radio nationale lorsqu’il était enfant, est celle-là même qui n’a cessé de le hanter. « On traversait le pays en musique, des chants soufis aux rythmiques venues du Mozambique, des couleurs d’Afrique de l’Est aux influences indiennes », se souvient-il.  En 1998, il exhume, à partir d’un disque, Musique traditionnelle des Comores, qui fait partie du patrimoine national, qu’il n’avait cessé d’écouter en boucle depuis tout ce temps, quelques sonorités qu’il décide de revisiter. En 2012, il s’y investit totalement et fonde, pour la circonstance, le collectif Mwezi Waq, dont il devient chanteur par accident. Il travaille avec Baco, actuellement la plus grosse signature de la musique comorienne, et Soubi, le spécialiste des instruments de musique comorienne, sollicité partout dans le monde. Avec des créations originales, le groupe parvient à mettre sur la scène discographique internationale leur premier album ; Chant de lune et d’espérance. Onze années plus tard, le groupe apparaît avec un nouvel opus baptisé Le blues des sourds-muets. Sur quatorze titres que compte l’album, sept sont des reprises, dont une de Baco, son collègue, et une de l’artiste engagé Abou Chihabi, vu comme le Bob Marley de l’Archipel. L’originalité de cet artiste se fonde sur sa capacité à déployer sa poésie intérieure à partir du folklore comorien des années 1970 et 1980 qu’on nomme le Shinduwantsi «[Il] ramène littéralement, à l’idée comorienne de fouiller la terre pour en tirer le suc de la vie dans sa complexité, dans une joute de mots et de sons, en amplifiant son rapport au réel », une définition qu’on peut lire sur la troisième page de l’étui du disque. C’est une technique artistique à travers laquelle on s’adresse à son vis-à-vis en évitant de l’indexer. Par le biais de cette reprise, Soeuf met ainsi en exergue le comportement des Comoriens. « Chez eux, on évite de s’adresser frontalement aux autres. ».

Engagement critique

Derrière cette musique douce d’apparence ; un reggae « slow » qui évoque No woman no cry de Bob Marley, un violoncelle et un saxophone, adossés aux instruments traditionnels comoriens, joués avec maestria pour accompagner ce rythme, se cache un engagement critique. Le chanteur dénonce la situation chaotique dans laquelle se trouve la société comorienne aujourd’hui. Népotisme, despotisme, marchandage politique, tribalisme est ce qui caractérise l’élite politique qui surfe sur ces vagues pour arriver, successivement, au pouvoir et s’y maintenir avec l’aide des puissances extérieures. Ceci provoque le repli identitaire, l’égoïsme qui triomphe au détriment de cette solidarité dans laquelle il a grandi, la misère qui ronge les masses sociales abandonnées à elles-mêmes, l’émergence d’une petite bourgeoisie locale qui mène une vie de luxe au grand dam du peuple. « Mwezi Waq ancre sa musique dans une époque où on nie, sans complexe et de façon régressive, les lignes de souffrance du grand nombre, ceux qu’on assimile, de façon un peu méprisante aux petites gens – une majorité – afin de mieux les enfoncer dans les tragédies sociales.», ainsi est expliqué le fond de musique de ce groupe sur l’étui qui porte son disque. On se souvient d’ailleurs qu’en août 2022, ont eu lieu, les émeutes dites du riz sur une grande partie de l’archipel.    

Grégoire Blaise Essono

  • 2
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire