À venir

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Les Afrodescendant-e-s issu-e-s de la traite transatlantique et de l’esclavage raciste des « Noir-e-s[1] » savent que leurs noms sont une marque de cette Histoire. On porte le nom des  anciens maîtres de nos ancêtres ou du bateau qui les a vu débarquer dans les Amériques ou du domaine où iels étaient affecté-e-s. Et des fois nos noms sont le reflet des lubies et des frustrations des maîtres à l’annonce de l’abolition. Nos noms sont la béance. À remplir. En ce 10 mai, l’occasion de partager ce court texte.

À venir

mon nom est une tension une succession de lynchages innommés dans mon nom je vois l’héritage forcé je sais l’incommensurable douleur je dis oui à l’ombre dans ce nom et je dis aussi la lumière dans ses lettres je dis mes ancêtres mes ancêtres aux champs forcés à la volonté plus forte que le fer des chaînes

je me souviens de l’amour de ma grand-mère pour lui mon grand-père que je n’ai jamais connu et qui m’a donné son nom je me souviens pas de lui l’aimant ma grand mère il est parti sans que je le connaisse en me donnant son nom

Il y a toujours à dire quand on n’a pas choisi ses mots

mon nom

c’est le colonel robert que me racontait ma grand-mère mon nom c’est une diffraction généalogique

on recommence

non sans douleurs

mon nom c’est mon grand-père marin pêcheur que je vois sur de vieilles photos de famille un air magistral sur le coin de son costume

c’est la vague qui souffle dans les oreilles du Bateau ornées de points noirs aux yeux écarquillés l’eau dans mon nom l’eau profonde dans le sillon

mon nom c’est les fêtes les baignades dans la rivière alors que mamie lavait son linge c’est la peau tendre qui sèche sous le soleil avec pour seule pensée les beignets de grand-mère et l’attention de ma mère

mon nom

mon nom

mon nom

c’est la veillée funèbre le dernier spectacle de la vie en sirotant l’alcool fort qui embrouille les souvenirs et aussi les dépits mon nom dans la purée d’amande, le zeste de citron, l’amertume du chocolat, la suavité de la canne

mon nom dans ton corps

dans les dernières paroles de mamie

[1] « La race noire n’avait été inventée que pour nous bouter hors du genre humain. Justifier la dispersion transatlantique. Faire de nous des biens meubles que l’on achèterait à tempérament. Des bêtes que l’on marquerait au fer rouge avant de les baptiser selon le rite chrétien. Nous résiderions désormais entre l’objet et l’animal. Tel est le sens du nom racial dont on nous affubla. Jamais il ne fit référence à nos trente-six carnations. Je ne comprends pas que nous soyons si nombreux à nous définir ainsi.», Crépuscule du tourment de Léonora Miano.

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