C’est l’histoire d’un ado de banlieue, à l’humour caustique, qui monte sur les planches.
Ça a commencé avec ses professeurs qui lui disaient : « Monte sur scène t’es marrant ». Depuis, Stéphane Bak, clown de service de sa classe, a trouvé le courage de faire de sa drôlerie un art. Une rencontre avec le directeur du café-théâtre du Pranzo (1) le lance.
Prénom : Stéphane
Nom : Bak
Age : quinze ans
Signe particulier : « plus jeune comique de France »
Devise : « La politique, c’est devenu la cour de récré »
Pince-sans-rire
Harry Tordjman, producteur de la série Bref, qui cartonne sur Canal plus, produit les débuts sur scène de Stéphane. Faire rire les adultes quand on est ado, ce n’est pas gagné. Mais le jeune trublion n’a pas froid aux yeux. Il opte pour un style pince-sans-rire, quitte à interpeller Benoît Hamon sur l’affaire DSK, lors de la cérémonie de remise des prix des « Y a bon awards » (2).
L’ado rigolo est très vite chouchouté par ceux qu’il vénère : Jamel Debbouze « qui (l)’a vu un mardi soir au Comedy Club » ou Gad Elmaleh « quelqu’un qui pèse. » Cette soif de la scène, elle lui est aussi venue en regardant les sketches de Florence Foresti, Alain Chabat, Dave Chapelle ou Chris Rock. Stéphane, avec son air de ne pas y toucher, nous raconte sa vie de « petit adolescent du 93 », scolarisé dans un collège de ZEP au Blanc-Mesnil.
Politique
Conscient qu’être un jeune noir de Seine-Saint-Denis le confronte à un tas de clichés, Stéphane préfère s’en amuser. Stéphane est dans la vie comme sur scène : il ne peut pas résister longtemps à l’envie de placer une vanne ! Et si ses blagues sont parfois un peu maladroites, il a le mérite de les écrire lui-même. Trois ans le séparent encore du droit de voter mais cela ne l’empêche pas de donner son avis sur le débat politique. Citoyen, Stéphane l’est aussi pour décrypter les médias et les dérapages des uns et des autres. Un sourire malicieux en coin, il envisage l’avenir : »The best is yet to come ! »
Peux-tu te présenter ?
Je suis Stéphane Bak. J’ai quinze ans. J’essaie d’être humoriste. Je joue sur quelques scènes parisiennes, des cafés-théâtres. J’espère en faire mon métier un jour.
Comment as-tu franchi le pas du stand-up ?
Mes professeurs et mes camarades me disaient : « Monte sur scène ! T’es marrant ! Je suis sûr que tu seras comédien ! » Il y avait aussi des comiques comme Jamel Debbouze qui me donnaient envie de monter sur scène. J’ai tenté ma chance. Un jour, par hasard, j’ai rencontré le directeur du café-théâtre le Pranzo. Il m’a dit : « J’ai un café-théâtre. Si tu veux venir un jour, tu es le bienvenu ! » – ça tombe bien ! Moi j’ai des sketches ! » Il m’a dit : « Envoie-moi tes textes. Je les lis et je te dis si c’est possible. » Après lecture, il m’a dit : « Viens jouer ! » Je suis venu et j’ai commencé. Il m’a branché avec d’autres cafés-théâtres : le Paname, le Chachman
J’avais le trac au début mais pratiquement toutes mes scènes se sont bien passées.
De quoi parlent tes textes ?
C’est ma vie de petit adolescent du 93 et de petit adolescent tout court. Je raconte ma vie, ce que je vis, ce que je vois, ce qui m’intéresse. C’est cette base-là.
Tu viens du Blanc-Mesnil en Seine-Saint-Denis.
C’est une ville de banlieue qui n’a rien de spécial, à côté de Drancy. Il y a quelques accidents. Des gens qui cassent. C’est la société qui énerve. Mais ce n’est pas la jungle non plus. Une journée type là-bas ça ressemble à des vols de sac à main, des agressions. Non je blague. On joue au foot. On traîne. On discute. On se raconte nos histoires. C’est comme ça que me viennent mes textes. C’est ce qui nous fait marrer avec mes potes que j’ai envie de raconter.
Comment c’était de grandir dans une ZEP ?
ZEP ça ne devrait pas exister en fait. Quand je dis dans mon sketch zone d’éducation pour les primates c’est vrai. Parfois on n’est pas traités comme des singes mais c’est tout comme. C’était dur parfois. J’ai vécu des années difficiles. Ma cinquième n’était pas très cool. Ce n’est pas non plus la misère mais ça ne devrait pas exister. Ça devrait juste être des collèges et pas la zone d’éducation prioritaire.
Tu as l’impression d’être marginalisé ?
C’est totalement ça. « Soit tu viens en cours soit moi je m’en fous parce que j’ai ma paye à la fin du mois. » C’était comme ça que les profs nous parlaient. L’éducation est un peu délaissée. C’est pour ça que des fois on a envie de casser pour se faire entendre.
Ton spectacle se nourrit de ce que tu es, de ta double culture franco-congolaise
C’est un peu les congolais qui se moquent d’eux-mêmes en se voyant à la télé. Je pense aux « Enquêtes exclusives » sur les sapeurs. J’en profite pour m’en moquer mais ce n’est pas pour donner une mauvaise image de nous-mêmes. C’est plutôt pour dire : »On est comme ça. Acceptez-nous comme ça. On s’est installé en France. On est une joie de vivre. On est accueillant. On peut faire ceci ou cela mais on est congolais c’est tout. » Des fois je me moque de ça. J’en rigole parce que c’est ma famille et qu’il faut rire de tout.
Tu écris tes textes tout seul ?
Le spectacle vient de moi. Ce sont mes propres vannes. Maintenant j’ai la chance d’avoir des amis auteurs. Je leur fais relire mes textes pour avoir des avis, pour ne pas que ce soit trop trash ou trop mauvais. Mais il n’y a pas d’équipe. Avant je ne connaissais personne. Je suis juste venu présenter ce que j’ai écrit.
Qui t’a inspiré ?
Florence Foresti, Gad Elmaleh Alain Chabat, Patrick Timsit, Valérie Lemercier, mais aussi Eddy Murphy, Dave Chapelle, Chris Rock. Des gens qui parlent de la vie. Ce que nous on vit on le raconte. Quand Gad Elmaleh parle du GPS marocain c’est une idée rigolote mais si ça se trouve, c’est vrai. Quand Jamel parle de ces parents, ils sont vraiment comme ça.
Tu n’as pas encore le droit de vote. Mais penses-tu qu’un humoriste doit être citoyen et donner son avis sur les élections ?
C’est compliqué parce que quand tu donnes ton avis on te dit : « reste à ta place d’humoriste ». Quand tu ne le donnes pas, on te dit : « qu’est-ce que tu fais ? Tu peux faire bouger les opinions ! » Moi je pense que si, à dix-huit ans, je suis encore là et que j’ai un peu de pouvoir peut-être que j’en parlerai. En 2012 je vote Marine Le Pen c’est clair et net ! Je déconne. Je ne peux pas voter. Je pense qu’un humoriste doit être quand même citoyen. On est citoyen. Je pense à Dieudonné qui donne son avis sur la politique. Il a un avis qu’on n’entend plus. Jamel donne son avis aussi. Tous les avis sont dans la nature.
Imaginons que tu aies le droit de vote. Te risquerais-tu sur cette arène ?
Sûrement. J’aurai voulu voter Strauss-Kahn en 2012 mais je pense que c’est un peu mort. Je pense pour mes parents. Ils auraient voté Strauss-Kahn ou Aubry puisqu’elle se présente. On doit donner son avis pour faire changer les choses. Aujourd’hui par exemple certains humoristes qui ont de l’influence sont obligés de donner leur avis car il y a Marine Le Pen, avec son père absolument monstrueux qui disait des choses insupportables sur le Sida. Sa fille est moins radicale, plus intelligente mais bon on est obligé de donner notre avis pour combattre ça. Tous les humoristes sont obligés de donner leur avis, aller au front et dire : « nous, on vote ça ou on vous conseille de faire ça. Libre à vous de nous écouter ou pas. »
Que penses-tu de la libération de la parole dans les médias sur l’immigration ?
Je trouve que la parole qui se libère est très négative. Je pense à Éric Zemmour. Je remercie Laurent Ruquier de l’avoir viré. Naulleau ne sert pas à grand-chose. Il est juste là pour critiquer des films et des livres. Et encore, parfois je suis d’accord avec lui. Je suis juste content que Zemmour n’ait plus son poste sur France 2. Il faisait partie de ces gens qui stigmatisent une partie de la population : rom, africaine. Je trouve que cette parole ne devrait pas être libérée. Il faut savoir que l’émission de Ruquier fait parfois deux millions de record d’audience de téléspectateurs. Imaginez l’impact que ça peut avoir sur les gens. Des fois sur internet je vois des commentaires du style : « Éric Zemmour dit tout haut ce qu’on pense tout bas ». Ça fait peur ! On peut penser ce qu’on veut mais ce que pense Zemmour est assez grave. Quand je l’entends dire à Rokhaya Diallo : « la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes » je ne sais pas où il a trouvé ce fait. Où a-t-il trouvé un sondage qui prouve ça ? La parole sur l’immigration ne devrait pas être si libre. Moi je le vis mal parce que j’ai peur. Je prends Marine Le Pen très au sérieux. Elle est très intelligente et elle pourrait passer. Jouer la carte du : « Je ne suis pas comme mon père. Ce ne sont pas les mêmes idées c’est autre chose. » Il y a tellement peu de candidats crédibles. Au PS c’est la bagarre. Ségolène Royal pendant sa campagne en 2007 avait fait une espèce de meeting comique. La politique ça devient n’importe quoi. Du haut de mes quatorze ans je vois que la politique, c’est devenu la cour de récré.
Tu as fait une prestation remarquée à la cérémonie des Indivisibles : les « Y a bon awards »
On rigole avec les Y a bon awards. Mais il ne faut pas prendre cette initiative à la légère. Mine de rien ce sont des prix qui sont remis sérieusement. Je crois que Claude Guéant n’a pas eu de prix cette année. Mais Éric Zemmour a carrément eu une catégorie pour lui ! Vous vous rendez compte ? À mon âge, prendre position à cette cérémonie c’était bien. J’ai pu rencontrer des politiques, des gens qui sont censés nous représenter : Benoît Hamon. J’ai pu lui dire : « Dans ma ville il n’y a pas ça ? Pourquoi ? » Dans mon sketch j’ai surtout parlé de la communauté africaine mais aussi de l’école, car juste avant on m’avait dit qu’il y avait Benoît Hamon. J’en ai profité. Je les ai interpellés sur les femmes de ménage, pour savoir si lui aussi s’en tapait.
Que penses-tu de la place des minorités dans les médias ?
Il n’y a pas trop de progrès en fait. Je n’en vois pas beaucoup malheureusement à la télé. Il y avait Thomas N’Gijol à un moment sur Canal plus, Fabrice Éboué sur M6. Il y a Abdel Halaoui, le cuisinier arabe qui fait des super plats le midi sur Canal plus. C’est politique quelque part. C’est un message. Il y avait Harry Roselmack mais il ne présente plus le JT. C’est dommage. Ça a progressé à un moment entre 2006 et 2008 mais là ça manque un peu de couleurs. Je n’en vois pas des mecs qui sortent de chez moi, qui nous représentent, sont là pour parler pour nous, en rigolant ou en chantant. On n’en voit pas assez. Des fois dans les émissions on voit des mecs qui sont au Café de Flore, à Saint-Germain-des-Près, en train de discuter. On les retrouve à la télé faire des salons. Tu te dis : « mais c’est pas chez nous ça ! » Tu vois des séries sur M6 tu te dis : « mais ça n’existe pas ! » J’espère que le film sur l’esclavage qui vient de sortir : Case départ va faire progresser les choses, qu’on va donner aux minorités plus de rôles à la télé
Comment s’est faite ta rencontre avec Jamel Debbouze ?
Il m’a vu sur scène un mardi soir au Comedy Club. On a discuté. C’était un rêve de discuter avec lui, de le rencontrer. Jouer devant lui c’était impressionnant. Il a décidé de me faire jouer au Grand Rex avec lui. Gad Elmaleh est venu, Omar et Fred
J’ai pu rencontrer Gad Elmaleh grâce à Jamel. C’est un mec hyper important. Il pèse. Il fait bouger les choses. Il parle de Sarkozy dans son nouveau spectacle que je conseille vivement. On garde des relations. On se demande des nouvelles. C’est quelqu’un de super.
Il y a peu d’humoristes de ton âge.
Il y en a quelques-uns mais on ne parle pas des mêmes choses. Il y en a qui sont plus dans le trash. J’ai aussi vu un jeune sur scène qui jouait un bourgeois de Neuilly-sur-Seine. On n’est pas dans le même registre. C’est vrai que c’est un peu particulier. Je ne pensais pas un jour donner une interview. C’est impressionnant. Mais j’espère un jour avoir le pouvoir de représenter des personnes, ma ville. Il y a plein de choses dont j’ai envie de parler, que je trouve injustes.
Quel genre de choses ?
Par exemple, l’accessibilité pour les handicapés dans le métro. J’ai un ami handicapé qui est obligé de se taper de Saint-Paul à Blanc-Mesnil. C’est un truc de malade que ce ne soit toujours pas accessible. Il n’y a que la ligne 14 qui est accessible. C’est bien parce que tu as l’impression d’être un président dedans. Elle est classe ! Il faudrait que mon ami puisse avoir accès à toutes les autres lignes.
Qu’est ce qui t’énerve ?
Éric Zemmour me foutait le sum. J’ai entendu dire que son duo va être reformé à la télé sur Paris Première. Il y a Marine et Jean-Marie Le Pen. Pascal Bernheim, un mec qui a dit à la télévision suisse : « De toutes façons Dieudonné c’est un Nègre ! » OK Dieudonné à dit des saloperies mais quand même ! Un type qui sort à la télé : « untel est un Nègre ! » On ne peut plus dire ça en fait. Il y a aussi Guerlain, Claude Guéant, le porte-parole des jeunes UMP : Benjamin Lancar. Ce type n’est pas possible. Il me fait marrer par la grandeur de sa bêtise. Il y a beaucoup de gens qui m’énervent à la télé.
Arrives-tu à être humoriste à plein-temps ?
J’ai repris les cours au collège, toujours en ZEP et au Blanc-Mesnil. C’est bien la ZEP parce qu’on fait des trucs que tu ne vivrais pas à Paris, dans le 16e. Ça alimente. On a fait une sortie au tribunal. J’ai vu mon père là-bas : Xavier Dupont de Ligonesse ! Plus sérieusement, le prof nous a vraiment emmenés au tribunal. Je n’ai pas compris le but de la sortie. Peut-être pour nous dire : « on se donne rendez-vous dans dix ans ! » Non c’est surtout parce que le programme scolaire traitait des questions juridiques. C’est très bizarre comme sortie. On a assisté à des procès. On a vu un mec qui s’est retrouvé à la rue et a commis des délits pour se retrouver en prison. Il ne pouvait pas vivre dans la rue. Alors il s’est fait condamner à nouveau ! Des fois, on a envie de rigoler parce que les gens sont cons. C’est très bizarre la bêtise humaine. Des gens qui font exprès d’aller en prison alors que ce doit être dégueulasse. C’est vrai qu’il y a un côté vivant qui n’existe peut-être pas dans les quartiers riches.
Comment te vois-tu dans le futur ?
J’ai vécu des trucs de malade. J’ai rencontré mes idoles françaises. J’espère rencontrer un jour les américaines. Il y a beaucoup de trucs : l’amour. À quinze ans on vit des trucs de fou, l’adolescence. Comme disait Michael Jackson : « The best is yet to come ! »
La relève semble assurée.
1. Le Pranzo Gymnase, situé 38 boulevard Bonne nouvelle, dans le dixième arrondissement de Paris, est une scène qui accueille les nouveaux humoristes.
2. Organisée chaque année par l’association Les Indivisibles, cette cérémonie distingue ironiquement les propos les plus racistes et les plus discriminatoires tenus par des personnalités publiques françaises. Cf. [www.lesindivisibles.fr]En savoir plus :
À l’affiche de Nous York, le prochain film de Géraldine Nakache avec Leïla Bekhti.
Extraits de l’entretien publiés dans Afriscope n° 23, novembre – décembre 2011///Article N° : 10536