Portrait. Le rappeur belge, né en République démocratique du Congo, livre son troisième album, 137, Avenue Kaniama. Un bijou musical qui poursuit la quête identitaire de l’artiste et l’explosion de toute case dans laquelle quiconque tenterait de le confiner.
« À notre époque où tout doit être conforme à une norme, classé dans des cases bien définies, j’arrive avec un objet hybride qui en déconcerte plus d’un, mais c’est aussi ça qui m’intéresse. » C’est avec cette phrase que l’artiste belge Baloji évoquait son premier album Hôtel Impala lors d’une interview qu’il nous avait accordée en 2008. Dix ans plus tard, à l’occasion de la sortie de son troisième album 137 Avenue Kaniama, les choses n’ont pas changé : les cases sont encore bien présentes et la musique de Baloji est restée fidèle à elle-même, et à lui, « trop noire pour les Blancs, trop blanche pour les Noirs ».
De l’autre côté de la mère
À ses débuts, en Belgique, à la fin des années 1990, au sein du groupe de rap Starflam, Baloji et son groupe offraient une musique déjà inspirée d’ailleurs, mêlant les sonorités américaines du hip-hop à des rythmes latinos. Les paroles étaient profondes et réalistes, mettant le doigt sur le contexte social dans lequel évoluait le groupe de jeunes adultes, tout en laissant la place au travail du flow et à la prestation scénique.
Trois projets en groupe et trois ans sans faire de musique plus tard, Baloji part en solo pour sortir le très personnel Hôtel Impala en 2007 (du nom de l’hôtel que possédait son père), album dont le point de départ et d’arrivée est sa mère biologique. La lettre que celle-ci lui envoie après 25 ans de séparation lui arrive en pleine figure, lui qui a quitté la République démocratique du Congo très jeune afin de se rendre au pays de Marvin Gaye. Un an et demi plus tard, avec son album sous le bras, il retourne sur la terre mère afin de remettre le fruit de ce travail à sa génitrice : 17 titres qui relatent en séquences et en détails ce quart de siècle passé « de l’autre côté de la mère ».
Ce premier album a connu un véritable succès d’estime grâce à sa richesse musicale : Baloji s’est entouré de musiciens de talent (Freddy Massamba, Peter Lesage, etc.) et de voix singulières (Dieudonné Kabongo, Stef Caer, Monique Harcum, etc.) pour assaisonner un album qu’il coproduit et qu’il fait mixé par le très bon Philippe Weiss. Le succès dans les bacs n’est malheureusement pas au rendez-vous. Ce projet que l’artiste qualifie de « suicide commercial » est rapidement délaissé par la maison de disques avant que son auteur n’en soit remercié… toujours un problème de cases !
Le retour au pays natal de Baloji lui a permis de renouer avec ses racines et d’en découvrir toute la richesse musicale. Toujours entouré de musiciens, mais cette fois rencontrés au Congo, l’artiste belge offre une version enrichie de son premier album en 2010, intitulée Kinshasa Succursale. Royce Mbumba, Monik Tenday, Moïse Ilunga ou encore Larousse Marciano accompagnent Baloji pour rendre hommage à ce « pays émergent bâti en moins de 50 ans ».
Kongaulois
Le dernier projet de Baloji voit le jour en 2018, portant comme titre l’adresse de sa mère, 137 Avenue Kaniama, ce lieu hors des sentiers battus et sans plaque indicative qu’il a peiné à trouver afin d’aller à sa rencontre. Ce sont ces moments qui lui rappellent qu’il reste un Européen, même en étant un Noir en Afrique, Congolais au Congo.
Baloji s’est depuis longtemps approprié le terme « d’afropéen », sans en connaître réellement l’origine. Lui qui est cité par Léonora Miano dans Afropean soul et autres nouvelles, a accepté la dualité imposée par son histoire et sa géographie, l’a intériorisée pour façonner une musique totalement unique. Ainsi qu’un terme dans lequel il se retrouve mieux et qui a donné son titre au morceau « Kongaulois ».
« Je ne suis pas issu de la diversité
Mais de l’hôpital public
Pluralité minorée
Je descends d’un arbre généalogique
Nous les binationaux presque alter égo
Notre terre est un enclos »
L’identité plurielle demeure la ligne directrice de ce projet qui n’entre dans aucune case, ou plutôt dans plusieurs à la fois. Composé de 14 titres aux couleurs musicales très diverses, 137 Avenue Kaniama est aussi bien festif que nostalgique, divertissant et profond. La narration et l’écriture de Baloji sont les liants d’un disque qui évoque à la fois les relations amoureuses (déchirement, désir, rupture, infidélité), les divergences familiales, les tribulations politiques en RDC ou les coulisses de l’industrie du disque.
Évoluant encore et toujours en marge des cases, se baladant sur les frontières musicales, 137 Avenue Kaniama sort sur un label indépendant anglais plutôt axé pop-rock. Et si les productions musicales de cet album ne permettent pas aux professionnels du milieu ni aux médias d’enfin savoir où caser Baloji, son contenu foncièrement rap ne laisse aucun doute quant au background de l’artiste belge.
La volonté de s’affranchir des codes, inhérente à Baloji transparaît également dans la manière tout à fait originale dont est façonné cet album. Découpé en quatre parties, pour mieux séquencer le propos de son auteur, le projet propose une majorité de morceaux avec un double titre, comme pour accentuer la double lecture de chaque mot, de sa personnalité, de sa culture.
Cette suite d’Hôtel Impala est annoncée par Baloji comme étant son dernier disque, ayant bouclé la boucle des sentiments. Baloji est réconcilié avec son passé, s’est forgé son identité et s’est créé ses propres cases.
LE RENDEZ-VOUS : Diffusion du court-métrage Kaniama show
Si le format CD ne convient probablement plus à ce qu’il souhaite raconter, Baloji ne met tout de même pas de point final à son discours. D’abord impliqué dans l’image et les décors à travers les réalisations de la pochette de 137 Avenue Kaniama ou du magnifique clip du morceau « Peau de chagrin – Bleu de nuit », l’artiste belge a écrit un court-métrage lié à son album, Kaniama show. Il s’agit d’une satire d’une télévision étatique africaine, très inspirée de la télévision de Berlusconi, dans laquelle il pousse les stéréotypes des personnages à leur paroxysme.
L’avant première parisienne des courts métrages de Baloji, le 22 mai prochain, portée par Sudu Connexion / Quartiers Lointains, est complète. Si vous souhaitez découvrir le KANIAMA SHOW deux autres séances (3€) sont prévues au Centre Wallonie Bruxelles de Paris les mercredi 6 juin à 20h30 (en présence de Baloji) et le vendredi 8 juin à 18h.