Bamako, carrefour des chasseurs

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Les Rencontres des chasseurs de l’Ouest africain se sont déroulées au Mali entre le 26 janvier et le 1er février 2001 (cf. Africultures n°33, dossier « L’impact des chasseurs ») et réunissaient les représentants de six pays : Burkina Faso, Côte-d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger et Sénégal. Avec un cérémonial institutionnel consacrant des valeurs séculaires et civilisatrices, doublé d’un colloque marquant l’ouverture d’un champ d’études jusqu’alors embryonnaires, la figure du chasseur traditionnel sort de l’ombre et rentre dans ses droits. Une semaine culturelle dont l’ampleur constituait un véritable défi.

Un succès populaire
Avec plus de 3000 chasseurs ayant répondu présent à ces rencontres, les Bamakois ont vécu de jour comme de nuit au rythme des salves des fusils de traite. Le 26 janvier, jour d’ouverture, le grand stade Modibo Keïta est plein à craquer alors que sur la pelouse des ribambelles de chasseurs attendent de faire un tour de piste. De loin, les tenues vertes des chasseurs Touareg de la région de Gao et celles rouges des chasseurs du Sultan de Zinder (Niger) forment deux striures dans la marée de tenues ocres. Un animateur déclame sporadiquement des strophes de la Charte du Manden puis cède la place à l’intervention du premier ministre Mandé Sidibé. Chaque cortège défile en oscillant au son de ses musiques et chants, révélant la grande diversité de ce genre musical. Il n’y aura rien de plus, rien de moins. Des chasseurs, natures, dont le nombre et le bruit sont à l’honneur.
Chaque soir, c’est devant le Palais de la Culture, en bordure du Niger, et dans les différentes communes de la capitale, que la foule se presse autour d’immenses carrés que forment les chasseurs. Les soras y feront résonner leurs chants la nuit durant. Ce schéma des festivités (défilé puis veillée) sera répété tout au long d’une tournée de trois jours accueillie par les villes de Ségou, Sikasso et Yanfolila. On note pourtant l’inertie de ces assemblées successives en raison du grand nombre de protagonistes et de l’absence d’une scénographie plus poussée. On pourrait même regretter que les moyens d’un son et lumière n’aient pas pu être engagés dans un tel projet, car le charme spontané des petites veillées de chasseurs est inopérant à cette échelle. Mais qu’importent les moyens ! Partout, c’est le même empressement d’une foule curieuse d’observer les donso, alors que ceux-ci prêtent volontiers mains fortes aux autorités pour contenir à coups de triques les mouvements provoqués par l’excitation du jeune public. Et pour cause…
Les chasseurs excellent à entretenir leur mythe sous l’œil médusé des caméras. A Ségou, un petit groupe frôle la foule avec trois hyènes tenues en laisse et toutes sortes de serpents sur les épaules. A Sikasso et au Palais présidentiel de Koulouba, lieu de la cérémonie de clôture, ils rivalisent de sorcelleries. L’un creuse un petit trou et fait surgir une source dont il aspire et recrache l’eau. Un autre se délecte de braises ardentes, tandis qu’un troisième fait impassiblement barboter ses mains dans de l’huile bouillante ! Seule reste impossible à confirmer la dite transformation d’un chasseur en corbeau, faute d’avoir été au bon endroit au bon moment ! Autre spectacle, plus terrifiant bien que prévisible : les explosions d’armes dues aux surcharges de poudre, arrachant plusieurs doigts de la main de l’auteur de la déflagration, au bon soin des ambulances.
En marge des masses
Un programme plus culturel seconde le grand spectacle. Le Musée National dévoile son fond d’objets de culte et d’accessoires liés à la chasse. Le Centre culturel français projette quand à lui deux films de Jean Rouch sur la chasse au lion et les chasseurs d’eau. Images d’un temps où flèches et harpons trouvaient encore des cibles de prestige ! Un autre soir, c’est le comédien Habib Dembélé, dit « Guimba National », accompagné au chant par Fantani Touré, qui fait brillamment revivre la grande épopée de Kala Jata, « le lion à l’arc », surnom du fondateur de l’Empire du Mali Soundjata Keïta, adaptée du texte de Masa Makan Diabaté.
La phase savante se déroule pendant les trois jours de colloque tenus au Palais des Congrès, où il est fait état des connaissances en matière de tradition cynégétique ouest-africaine. En présence de son homologue française Catherine Tasca, le ministre de la Culture Pascal Baba Coulibaly, ouvre les débats en déclarant : « Il est curieux que la recherche sur la chasse, dans la pratique, soit classée comme un fait social mineur alors qu’en le chasseur coexistent le guerrier fondateur d’empire, le thaumaturge et le devin, le protecteur et le nourricier, le rebelle et le pacifique. Et si nous avions besoin d’une conscience qui n’ait jamais porté le complexe de sa condition, vivant sa différence, voire ses archaïsmes, comme autant de titres de fierté, c’est au chasseur qu’il faudrait nous référer… Nous sommes, aujourd’hui, loin de cette ambiance de secte ethnologique qui confortait l’Occident dans son projet hégémonique, en évacuant du champ de la recherche certains secteurs de la réalité sociale. » Les diverses formes sous-régionales d’organisation de la chasse seront ainsi abordées : la confrérie ou donso tòn Malinké et Bambara mais aussi les variantes Serere et Poular du Sénégal, les systèmes Lobi, Mossi et Bobo du Burkina Faso.
Cette « réalité sociale » dont nous parle le ministre apparaît pleinement dans l’intervention de Yacouba Konaté, professeur de philosophie à l’Université d’Abidjan, sur l’implication politique des donso en Côte-d’Ivoire. On les remarque dans la garde rapprochée d’Alassane Ouattara et c’est sans doute à cause de l’actuel climat d’instabilité du pays que la délégation des chasseurs ivoiriens ne participe finalement pas à la manifestation. On nous décrit par ailleurs une situation où les donso ont dangereusement supplanté les pouvoirs publics ivoiriens en matière de sécurité urbaine dans les années 90, et où s’opère une lutte pour le contrôle du marché du gardiennage et de la sécurité. Des individus se feraient passer pour des donso afin de décrocher un emploi dans ce secteur. Et le ministre de la Culture du Mali de prévenir de telles dérives, dans son discours de Sikasso, en appelant les chasseurs maliens à « faire la chasse aux faux chasseurs » et à se conformer à l’éthique traditionnelle.
Multiples sont les enjeux liés à cette confrérie et certains d’entre eux sont chose sensible. Un entretien avec l’écrivain Ahmadou Kourouma, qui connaît et a décrit le milieu des donso (dans le Soleil des Indépendances et En attendant le vote des bêtes sauvages), conforte l’idée qu’une telle manifestation est impensable dans un autre contexte que celui du Mali actuel. Malgré les indépendances, on ignore encore des pans de l’histoire de la résistance anti-coloniale menée par la confrérie et des répressions qu’elle subît. Aujourd’hui, à l’heure de l’intégration culturelle sous-régionale, seule la détermination du Mali en matière de politique culturelle déclenche une telle initiative. Mais tous les enjeux ne sauraient être abordés au cours du colloque, la jonction entre les chasseurs et les chercheurs nécessitera de nouveaux efforts. Les bases d’un dialogue auront été posées et des questions comme celles de la protection de l’environnement devront attendre un autre rendez-vous.
Les réalisations et l’organisation
Approuvant unanimement l’approche pluridisciplinaire du sujet (historique, anthropologique, musicologique, littéraire, pharmacologique…), les participants du colloque ont immédiatement fondé un secrétariat permanent chargé de la coordination des recherches sous-régionales en matière de chasse traditionnelle. On y retrouve entre autres Djibril Tamsir Niane (écrivain guinéen), Drissa Diakité (Doyen de la Faculté de lettres de Bamako), Youssouf Tata Cissé (du CNRS), le professeur Sory Camara (de l’Université de Bordeaux), Liliane Kesteloot (anthropologue), Fodé Moussa Sidibé et Françoise Ligier (organisateurs des rencontres). Il évoluera sous la tutelle du ministère de la Culture du Mali, publiera les actes du colloque et constituera un fond de documentation sur le sujet.
La Maison internationale de la Chasse, dont la première pierre a été posée à Yanfolila, est destinée à devenir une vitrine et un outil pour les chasseurs et les chercheurs. Située non loin des frontières avec la Côte-d’Ivoire et la Guinée, il lui faudra faire oublier aux amateurs sa position excentrée à plusieurs heures de Bamako. Mais son mérite reste d’être au cœur du Wassoulou, véritable fief des chasseurs du Mali. Un dankun, lieu de culte des chasseurs, a même été implanté en privé, non loin du futur musée, au pied d’une ravissante colline. Souhaitons que les moyens nécessaires à l’aboutissement du projet et à son bon fonctionnement ne lui fassent pas défaut.
Car c’est finalement une initiative de grande envergure que le Mali se sera fixé. Le pari est réussi et la mobilisation autour de ces rencontres réelle. Mais les capacités d’organisation et d’encadrement de la manifestation ont maintes fois été défaillantes. Les chasseurs n’ont heureusement rien des hooligans, si ce n’est le goût de la bière (le dolo), et leur capacité à s’organiser s’est vérifiée. Cependant, le manque d’information a nuit au bon déroulement du programme et à son impact international. Ce sont pourtant de telles manifestations qui pourraient mettre les destinations africaines aux premiers rangs des événements touristiques internationaux. Et si le Mali annonce d’ores et déjà de semblables rencontres des pêcheurs traditionnels de la sous-région, puissent-elles profiter des enseignements de cette première expérience.

///Article N° : 1835

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Les images de l'article
Délégation de la région de Ségou à Ségou © Alexandre Mensah
Masque de chasse de la délégation guinéenne © Alexandre Mensah
Au 1er rang (de dte à g.): Y.T. Cissé, D.T. Niane et A. Kourouma ; au 2e: S. Camara, Mme Camara, F.Ligier ; 3e: K. Traoré © Alexandre Mensah
Ségou: foule en liesse devant les montreurs de hyènes © Alexandre Mensah
A la clôture, au Palais de Koulouba, le Président de la République du Mali, A.O. Konaré (au centre g.) et le Ministre de la Culture, P.B. Coulibaly (centre dt) ont revêtu le traditionnel bogolan © Alexandre Mensah





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