Le film a fait l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes de mai 2010.
Il y a les documentaristes qui filment en zoom sans mouiller leurs botes et ceux qui partagent le vécu de leurs sujets. Florent de la Tullaye et Renaud Barret font encore mieux que cela : ils apprennent leur langue (le lingala), reviennent les voir sur la durée (5 ans !), aident à faire bouger les choses sur le terrain. Ils ont découvert le groupe Staff Benda Bililialors alors qu’ils réalisaient un documentaire de télévision sur les musiques urbaines à Kinshasa, La Danse de Jupiter. Ce groupe de paraplégiques qui se déplace en chaises roulantes bricolées hantait les nuits de Kin, se fixant à la sortie des restaurants du quartier des affaires pour recevoir quelques billets des clients qu’ils charmaient des mélodies rumba de leurs voix usées. Les groupes de musiciens des rues sont pléthore dans la capitale de la débrouille mais ceux-là sont spéciaux et leur réputation les avait précédés. Quand les deux documentaristes ont établi le contact, ils étaient scotchés par la qualité de leur musique et leur incroyable volonté de s’en sortir. Si bien qu’ils vont leur coller à la peau durant cinq ans, le temps de gagner leur confiance, de les filmer, de leur trouver un producteur pour enregistrer un disque qui sera un succès mondial, et finalement de les suivre dans leur tournée internationale.
On pense bien sûr à Buena Vista Social Club mais le projet de Benda Bilili ! est bien différent. Il est même frustrant de ne pas davantage voir le groupe en concert ou jouer ensemble sur place. Mais cela laisse le temps de les voir en situation, dans leurs répétitions au zoo de Kinshasa où ils trouvent un semblant de calme, dans leurs déplacements difficiles dans une ville à la voirie défoncée, dans leurs aventures de survie. Surtout, cela laisse les deux compères nous raconter leur histoire, un conte de fées certes mais ô combien dramatique. Car tout doués qu’ils sont, les Benda Bilili n’échappent pas au réel de leur condition dans une ville qui ne fait pas de cadeaux. Le tragique marque leur vie, l’apogée étant l’incendie du centre du quartier Bandal où ils logent, avec l’anéantissement de leurs maigres affaires et de leurs projets. Mais c’est aussi le fait que Randi, un shégé (enfant des rues) intégré par le groupe, génial percussionniste de 10 ans qui participe à l’enregistrement, disparaît un jour sans laisser de traces.
C’est cette réalité qui prime et c’est cette réalité que Renaud Barret et Florent de La Tullaye ont choisi de privilégier. La musique de Staff Benda Bilili est une rumba matinée de blues. Ce n’est pas celle qui fait rêver les jeunes dans les stades de Kinshasa. Elle a la mélancolie de ce qu’elle porte, cette réalité que beaucoup n’ont pas envie de se voir rappeler, et leurs chansons se font volontiers morales, dans la pure tradition des rumbas congolaises. Quand ils chantent « Un homme n’est jamais fini », ce sont tous les malchanceux de Kin qui frémissent. Si on voit le groupe reprendre Sex Machine dans les jardins du Zoo, c’est qu’en 1974, lors du match Foreman-Ali, il y avait des places pour les handicapés au concert de James Brown.
600 heures de rushes : le travail qui soutient ce film est énorme. Jamais l’image n’est fragmentée pour faire clip, jamais la caméra ne se rapproche trop. Une juste distance sait capter des moments de grâce, comme lorsque deux gamins parlent de leur rapport à l’Europe. Plutôt que de seulement raconter l’histoire du groupe, Benda Bilili ! est une ode à l’optimisme. Le film commence par un jeune qui explique qu’il n’avait pas le choix de devenir voleur parce que « le pays est foutu » et que « le peigne est la seule solution ». Lorsqu’apparaît Roger Landu, un jeune de 13 ans qui tire des sons incroyables de son satange, un instrument goupillé avec une boîte à lait, un bâton courbé et une seule corde, le film prend une hauteur dont il ne se départira plus. Les réalisateurs le rencontrent dans la rue où il joue pour rassembler quelques sous pour aider sa famille. Ils l’enregistrent pour La Danse de Jupiter, puis le perdent de vue et le revoient un an plus tard. Ils lui conseillent alors d’aller rencontrer le groupe qui le teste et l’enrôle immédiatement. Le doyen Ricky a 55 ans et sait qu’il ne fera pas de vieux os, mais c’est aussi quelqu’un qui sait voir large : Roger, c’est l’avenir du groupe mais aussi de tous ceux qui réagissent face à la difficulté.
Plus besoin dès lors de poser le contexte socio-politique : les titres des journaux entrevus suffisent et le rond-point Sonas, verrue de pauvreté au milieu du quartier des affaires, parle de lui-même. Pas besoin de grands moyens pour rendre compte de la capacité des pauvres à s’inventer un avenir. Ces paraplégiques et ces gens des rues qui ne baissent pas les bras rendent nos plaintes ridicules et nos compassions dérisoires. Ils n’ont rien d’anecdotique ou d’exotique : ils sont l’énergie qui nous invite à rebondir.
///Article N° : 9503