Un long tonnerre d’applaudissements a suivi la projection du film « Amin » à la Quinzaine des réalisateurs ce 15 mai au festival de Cannes. Ils étaient bien sûr aussi pour la remarquable actrice Emmanuelle Devos et le réalisateur Philippe Faucon, mais cette ovation consacrait deux acteurs sénégalais encore méconnus. Dans le film (cf. sa critique dans notre article bilan du festival), Amin (Moustapha Mbengue) travaille dans un chantier de construction en France et ne rentre que lors des vacances pour retrouver sa femme Aïcha (Marème N’Diaye) et ses trois enfants. Il finit par avoir une relation avec Gabrielle, une femme accueillante (Emmanuelle Devos), et manque le voyage, ce qui éveille les soupçons…
Olivier Barlet : On a senti votre émotion lors de l’ovation qui a suivi le film. Quel était votre ressenti ?
Marème N’Diaye : Nous avions déjà eu des retours positifs avant, mais voir le film m’a fait revoyager au Sénégal, où je ne suis pas retournée depuis six ans. En nous voyant à l’écran, j’ai revu le village de Cherif Lo où se déroulait le tournage, la joie de vivre des enfants, l’accueil qui nous a été réservé mais aussi le travail que nous avons fourni. Je me suis effondrée car j’ai compris que ça valait vraiment la peine de faire ce film.
Moustapha Mbengue : On était contents ! Quand on tourne, on ne voit que des bouts. En voyant le film, on comprend et de voir comment il est reçu, c’est très fort. J’espère que beaucoup de gens pourront voir ce film pour comprendre les immigrés. Nous avons travaillé trois siècles et demi pour les autres, ce qui fait que nous faisons aujourd’hui partie du Tiers-monde. Cela ne nous donne pas droit à un visa, si bien que nous nous retrouvons sur les pirogues, exploités par les passeurs.
Marème N’Diaye : Si on avait du travail dans notre pays, personne n’irait risquer sa vie pour nourrir sa famille.
Comment pensez-vous que le film va être reçu au Sénégal et en Afrique en général ?
Marème N’Diaye : Je suis vraiment optimiste. Beaucoup vont s’identifier : ce sont des situations qu’on vit en permanence.
Même avec votre personnage plutôt rebelle ?
Marème N’Diaye : Oui, car les temps ont changé : les femmes ne se laissent plus faire. Elles ont envie d’être entendues. Aïcha ne se contente plus d’être la villageoise qui fait à manger et s’occupe des enfants. Elle veut savoir où va l’argent de son mari et se prend la tête avec sa belle famille. C’est une battante.
En incarnant ce rôle, vous aviez donc l’impression d’incarner quelque chose du réel sénégalais ?
Marème N’Diaye : Tout à fait. Je connais des membres de ma famille qui vivent ces situations sans avoir le choix.
Et pour vous Moustapha, le vécu de votre personnage est proche du vôtre ?
Moustapha Mbengue : Oui, pareillement. L’Européen qui verra le film saura ce qui se passe pour les Africains dans les foyers. Je suis venu en Italie pour faire de la musique mais je connais beaucoup de Sénégalais qui travaillent dans les chantiers. Ils font ce que ne veulent pas faire les Européens.
Comment avez-vous été choisis pour le film ?
Marème N’Diaye : En ce qui me concerne, c’était un pur hasard. Je suis maintenant à Nantes mais j’habitais avant à Paris. J’ai regardé les annonces pour des castings et j’ai vu l’annonce. J’ai envoyé mon CV et une bande démo et Philippe m’a contactée et envoyé le scénario. Nous en avons longuement parlé. Il m’a expliqué ce qu’il voulait et m’a préparé psychologiquement, notamment sur la scène d’amour que je devais avoir avec Moustapha.
Moustapha Mbengue : C’est par hasard aussi, ou par chance. Je suis très actif sur internet. Un ami acteur avec qui j’avais fait des films en Italie m’a appelé alors que j’étais au Sénégal pour me brancher sur le casting. J’ai envoyé des vidéos et Philippe m’a envoyé le scénario.
Aviez-vous d’autres expériences au cinéma ?
Marème N’Diaye : J’avais joué dans Maman(s) de Maïmouna Doukouré, qui a reçu le César du meilleur court métrage en 2017, et d’autres courts métrages.
Moustapha Mbengue : Au Sénégal, j’étais dans Les Caprices d’un fleuve de Bernard Giraudeau et en Italie, où j’habite depuis vingt-et-un ans, j’ai joué à la télévision et dans des films de réalisateurs comme Nino Manfredi mais j’ai fait aussi du théâtre. Amin est le premier film où je tiens le rôle principal. Je suis aussi musicien et ai un groupe nommé Africa Djembé.
Comment s’est passé le travail avec Philippe Faucon ?
Moustapha Mbengue : Philippe est un grand maestro. Il sait très bien ce qu’il veut et reste exigeant tant qu’il ne l’a pas obtenu, mais en même temps, il veut qu’on reste naturels.
Marème N’Diaye : Le scénario nous disait ce qu’il fallait faire et Philippe était le guide, mais c’était à nous de trouver à l’intérieur de nous-mêmes ce qui nous correspondait. Quand cela ne paraissait pas naturel, il nous reprenait. C’était comme une formation : il nous poussait à trouver les choses par nous-mêmes.
Votre rôle suppose une colère profonde : ce n’est pas facile à exprimer !
Marème N’Diaye : Oui, c’est difficile, mais quand on a tourné la scène où je suis en colère contre le frère de Moustapha, cela tombait bien car ce jour-là, j’étais réveillée du mauvais pied ! (rires) Je taquinais tout le monde et en même temps, j’étais très froide. Cela m’a permis de me concentrer sur mon rôle et d’utiliser cette colère pour la faire passer à l’écran.
Il y a effectivement des regards qui tuent ! Moustapha vous avez un jeu très différent au Sénégal et en France : épanoui au Sénégal et replié en France.
Moustapha Mbengue : Cela tient au fait que l’environnement est différent. Les gens en France sont méfiants, parfois agressifs. On se crispe et on pense à son travail, à sa famille. On est des générations sacrifiées. Et on aimerait pouvoir voyager comme les Européens.
Marème N’Diaye : On est plus à l’aise au Sénégal car c’est notre pays natal. Notre retenue en France vient du fait qu’on n’a pas envie d’être vus comme des sauvages. On adopte les façons de se comporter du pays.
Cette expérience vous donne envie de poursuivre le cinéma ?
Marème N’Diaye : Oui, j’aime le cinéma. J’ai un diplôme hôtelier mais suis assez discrète. Quand je joue, cela m’aide à m’épanouir.
Moustapha Mbengue : Oui, c’est une façon de contribuer à l’égalité des citoyens dans le monde, au fait qu’on soit tous respectés. C’est important pour faire passer un message de paix et de fraternité.
Votre impression face à la grande machine qu’est le festival de Cannes ?
Marème N’Diaye : Cannes est magique. La Croisette est belle, animée. J’apprécie le fait d’avoir retrouvé les collègues du film, les retours positifs sur notre travail. Le fait d’être à la Quinzaine des réalisateurs, c’est énorme. Bon, après on rentre chez nous et on reprend notre train de vie !
Moustapha Mbengue : Cannes est une fête du cinéma, c’est très beau ! Le cinéma apporte la joie et la culture, c’est mieux que de faire des missiles !
Un commentaire
Bon Filme. Le réalisateur a démasqué une partie cachée et importante sur la vie des immigrés. Ce phénomène à longtemps créé des doutes et des révoltes ou dispute dans les grandes familles, entre mari et femme. A la recherche du bonheur, il y’a toujours des obstacles qu’ils faut détecter et surmonter très vite sinon on risque de finir mal et honteux. La facilité n’est pas bonne et les cultures et croyances sont différentes.
Apprenons à respecter cette différence.