Carnaval de Baranquilla et Palenque, Colombie

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Je ne vais pas parler de l’esclavage, mais plutôt de la liberté. Pourquoi la liberté ? Parce que Baranquilla, d’où je viens, est un territoire de gens libres. C’est une ville sur la côte atlantique de la Colombie, à l’embouchure du Rio Grande de la Magdalena, sur la mer des Caraïbes. Le fait qu’on soit entouré d’eau, que l’eau nous parcourt, ou que l’eau débouche sur notre territoire, avec le Rio Grande de la Magdalena, a fait que dans la ville de Baranquilla, qui est à la même distance de Cartagènes d’Indes et Santa-Marta, des marrons sont arrivés. La ville est une confluence, une rencontre de cultures, de tous ceux qui voulaient être libres.

Sur cette zone de la Colombie, il n’y avait pas d’esclaves. C’est une zone connue comme « la région des libres ». Cinquante ans après la fondation de la ville, on estimait la population à 2 633 personnes dont 42 esclaves libérés et les autres étaient des Métis. C’est une ville de libres, produits des tensions et des migrations. Non loin de Baranquilla, à 50 kilomètres, se trouve la communauté la plus grande de libres de l’Amérique, à San Basilio de Palenque. À San Basilio, la population a interdit aux Blancs de vivre dans la région. Le seul qui fut accepté fut le curé. Tous les autres habitants étaient des esclaves qui s’étaient libérés qui ont imposé une règle empêchant qu’ils puissent être vendus. À San Basilio, il existe une langue créole, une langue vernaculaire propre à Palenque et San Basilio inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité. Qu’est-ce qui nous rend différents et libres ? C’est l’exercice de notre culture et le fait que notre langue créole, qui a des racines africaines, vive encore aujourd’hui. Les espaces culturels où la langue vit, où la tradition vit, sont des espaces de liberté. à travers les masques et les fêtes du carnaval de Baranquilla, les esclaves africains ont performé leurs rites et honoré leurs dieux. Le carnaval est un espace anthropologique d’affirmation de l’identité.
Les Noirs esclaves s’y moquaient de leurs maîtres. La danse du taureau est une danse guerrière, une danse où les symboles sont l’évocation des animaux et des totems africains.
La communauté afro-américaine à Baranquilla a créé un espace où conserver sa langue, ses coutumes, ses arts. Je suis la représentante de la culture à la Mairie de Baranquilla, qui a tout fait pour que cette conquête, cette lutte pour la liberté par le biais de la culture, soit préservée.
Nous avons développé des programmes de politique publique avec la communauté d’origine africaine. Nous voulions être à son écoute, savoir comment elle souhaitait que le pouvoir s’exerce. Est-ce que l’esclave doit entrer au musée ? Doit-on nous représenter ?
Bien entendu, l’esclave, le Noir, l’Africain et le rêve de liberté doivent entrer dans le musée. À Baranquilla, en Colombie, dans le Nouveau-Monde, en Amérique, nous avons du sang noir dans nos veines. On ne peut pas le nier, nous sommes le produit d’un métissage. Cet exercice de valorisation, de mise en lumière, s’est fait de la manière suivante : en 1990, l’État colombien a reconnu la multiculturalité du pays. Avant cette date, la Constitution ne mentionnait qu’une seule culture.
Après 1990, nous avons commencé à parler de rencontre multiculturelle et nous avons reconnu la présence de minorités dans notre pays. La « loi 70 » assure aux communautés noires le droit à une éducation conforme à leurs attentes et l’État sanctionne tout acte de discrimination ou de racisme contre les communautés noires.
Depuis cette loi, la communauté noire à Baranquilla et San Basilio est plus visible. Nous devons prendre en compte la manière dont cette communauté veut être vue et avons demandé à la communauté noire : « Comment voulez-vous être vus cette année, puisque c’est l’année internationale de l’afro-descendance ? » Ils ont choisi le calendrier où chaque jour est associé à une pratique qu’ils ont choisi de valoriser. Les coiffures par exemple : celles des petites filles noires, racontent l’histoire des routes de la liberté. Les nattes tressées comme des labyrinthes figuraient les chemins qui allaient conduire à la liberté, les différents chemins de la liberté. Les adultes mettaient aussi de petites graines dans ces tresses pour que les petites filles, quand elles s’échappaient, puissent éventuellement les planter ou des pépites d’or. Dans la région d’Usungule se tient un Salon des artistes. Le Ministère de la Culture organise tous les ans ce salon, avec arts plastiques, art contemporain, art conceptuel. Dans le dictionnaire de la communauté afro-colombienne, Usungulé signifie « l’admiration que réveille une personne par sa façon de danser, chanter ou marcher, en rapport avec l’immatériel ».
L’artiste Rafaël Ortiz, de la communauté de Palenque, est allé à la rencontre de la communauté. Il a travaillé avec eux pendant trois mois et ils ont créé des ateliers de l’imaginaire sur « qu’est-ce que le talent ? Comment doit-on le montrer ? Comment sont conçues les habitations ? » De ces ateliers sont sorties des pièces, des propositions artistiques qui ont ensuite été montrées partout dans le pays.
Notre proposition est, qu’au-delà de montrer les processus de l’esclavage, il faut montrer les processus de liberté, les expressions culturelles, le respect de la langue, le respect de la tradition. Ainsi, sont mis en lumière la valeur de la liberté et le processus de l’esclavage qui nous ont tellement marqués mais qui ont aussi beaucoup apporté au point de vue économique et culturel. Nous voulons que l’esclave entre au musée, mais avec ses yeux, avec ses pieds, avec son âme pour que nous puissions vraiment le comprendre et que nous ne le mettions plus jamais en esclavage mais plutôt pour qu’il recouvre entièrement sa liberté.

///Article N° : 11547

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