La crise politique que connaît le Zimbabwe n’a pas manqué de susciter les réactions les plus diverses. Si l’Union Africaine a été incapable de produire la moindre critique envers Mugabe, et si la Communauté Internationale n’a pas fait mieux – les Nations Unies n’ont même pas trouvé un accord sur un texte imposant des sanctions contre le dictateur africain – les Africains, eux, ont beaucoup à dire sur la question. Et, comme il est normal, en pareille circonstance, les avis les plus divergents ont pignon sur rue. Mais – la chose peut en surprendre plus d’un – le despote zimbabwéen n’est pas celui qui en sort le plus malmené.
Le cas du Cameroun illustre à merveille cette situation des plus curieuses.
Bien sûr, les Camerounais se sont beaucoup exprimés sur la question. Quoi de plus normal, serait-on tenté de dire. Au Cameroun aussi, un président d’un certain âge – plus « jeune » que Mugabe, d’accord – s’impose par la force, la violence et l’intimidation. Ses armes de dissuasion n’ont rien à envier à celles du chef de l’Etat zimbabwéen. Tout le monde a encore en mémoire les fessées qu’on a baptisées « souveraines ». Au Cameroun aussi, le président est au pouvoir depuis des lustres – un de moins que son ainé zimbabwéen. Et, comme son « ainé », il n’est pas près de passer la main. Si l’un ne fait rien pour passer inaperçu, l’autre est un champion de la discrétion.
Avec de telles similitudes entre le « système Mugabe » et le « système Biya », quoi de plus normal que les Camerounais se sentent concernés par les récents événements au Zimbabwe ?
Seulement, voilà ! Les choses se compliquent un peu, dès qu’on y regarde de près. Un peu partout, plusieurs de mes compatriotes se déchaînent contre
l’Occident ! Aussi incroyable que cela puisse paraître, le despote zimbabwéen s’en tire, dans le pire des cas, avec quelques égratignures. Et il y en a pour tous les goûts. Un tel met en doute les accusations des médias à propos des Zimbabwéens que Mugabe aurait affamés, avant de préciser qu’il « faudrait peut-être demander l’avis des Zimbabwéens qui ont fait un plébiscite à Mugabe au second tour ». Le même préfère « penser aux signaux panafricanistes anti-néocolonialistes qu’a laissé cet homme courageux aux grands décideurs de ce monde ». Un autre se félicite de « notre héros Mugabe » qui ne s’accroche au pouvoir que pour « ne pas vouloir laisser le pays aux blancs ». Un troisième considère que les souffrances des Zimbabwéens sont « le prix à payer pour la liberté et la dignité du peuple africain ». Pas moins !
Le son de cloche change à peine, chez nos « intellectuels ». L’un d’eux – un enseignant – explose ainsi : « les Africains sont fatigués d’avoir toujours à subir l’ingérence de la souveraineté occidentale. Si on regarde sous cet angle, on pourrait donner raison à Mugabe ». Un autre – expert comptable – nous dit que la situation au Zimbabwe « n’est pas aussi dramatique que les pays occidentaux veulent nous faire croire ». Un troisième – éditeur – coupe court : « Pour moi, qu’importe le temps qu’un président met au pouvoir, l’important, c’est de servir son pays ».
Je termine ce carrousel de louanges – et d’admiration – envers Mugabe par le secrétaire général de la Conférence Episcopale Nationale du Cameroun, qui demande « un peu d’indulgence à l’endroit de Robert Mugabe, en mettant quelque peu les dérives actuelles sur le dos d’un Occident qui n’a de cesse de vouloir donner des leçons ». Le prélat camerounais se pose une question fondamentale, qui a échappé à tout le monde : « Pourquoi Morgan Tsvangiraï s’est-il réfugié à l’ambassade des Pays Bas et non celle de Chine ? ».
Ainsi, le mal serait ailleurs. L’homme à abattre ne serait pas ce vieillard de 84 ans, qui en fait voir de toutes les couleurs à son peuple – malgré les doutes de quelques-uns, qui attendent probablement que des visages émaciés et des corps squelettiques fassent la « une » des médias, pour se convaincre de la misère des populations au Zimbabwe. A entendre ces compatriotes, le mal ne serait pas cet homme dont la police passe à tabac les opposants au régime. Et qu’importe, si cet homme n’est au pouvoir « que » depuis 34 ans, puisque le problème est ailleurs.
Le mal, selon certains de mes compatriotes, porte plusieurs noms : « Occident », « néolibéralisme », « néocolonialisme », « médias internationaux », « Gordon Brown », etc. Bref : les « Blancs », voilà le mal, voilà ceux qui montent cette kabbale anti-Mugabe.
Oh ! Ce n’est pas moi qui vais défendre l’Occident et le néolibéralisme ! En d’autres lieux – et en des termes sans équivoques – j’ai dit ce que je pensais de ces messieurs et de leurs méthodes ; j’ai dénoncé, sans ambages, l’hypocrisie du monde ; j’ai montré qu’en la matière, ces messieurs en col blanc étaient très mal placés pour critiquer le despote africain ; j’ai montré, avec la même virulence, en quoi il était illusoire d’attendre une quelconque action courageuse de l’Union Africaine.
Si donc, la Communauté Internationale est mal placée pour s’émouvoir devant le « problème Mugabe », est-ce une bonne raison, pour les Africains – et pour les Camerounais en particulier – de ne rien faire, de ne rien dire ? Pourquoi faut-il que même des hommes aussi crapuleux que les Kadhafi, Deby, Bongo, Mugabe et autres, du moment qu’ils « combattent » le néocolonialisme, deviennent des héros pour bon nombre d’Africains ?
La chose est à peine croyable ! Des foules en liesse pour saluer le dictateur tchadien qui a « rendu sa dignité » à l’Afrique en condamnant, chez lui, ceux qu’on a appelés les « zozos » de l’Arche de Zoé. Des louanges à n’en plus finir pour le « guide » libyen qui défie la communauté internationale, au point de se faire dérouler le tapis rouge Elyséen. Récemment encore, j’en connais qui voyaient le réveil de l’Afrique dans la « colère » du « doyen » gabonais qui, en réponse à des expulsions de quelques Gabonais de la France, a renvoyé la politesse en expulsant des Français du Gabon. Et – dernier exemple – un despote qui soulève des foules parce qu’il envoie au diable Gordon Brown et sa bande.
A voir un tel enthousiasme, on aurait du mal à croire que le Tchadien est arrivé au pouvoir par les armes, et que son régime doit – en partie – sa survie à une répression sauvage ; que le Libyen est un autre despote qui ne doit la magnanimité du monde qu’à ses pétrodollars qui font des heureux, même chez ses pairs africains ; que le Gabonais trône sur le pétrole gabonais depuis 41 ans – et a déjà annoncé sa candidature pour 2012 ! – et que le Zimbabwéen vient de faire preuve d’une rare violence, qui a fait des centaines de morts, et qui a poussé son adversaire à se retirer de la course.
On en vient à se poser des questions qu’on croyait – à tort – banales : est-il si difficile que ça, de dire à une crapule qu’elle est une crapule ? Dire d’une crapule qu’elle est une crapule est-il si compliqué ? Pourquoi est-il si facile de tirer à boulets rouges sur l’Occident, quand il est évident que la crise zimbabwéenne est essentiellement la faute de Mugabe ? Et si cette sympathie envers le dictateur traduisait la difficulté que certains de mes compatriotes éprouvent lorsqu’il faut regarder la vérité en face ? En un mot : comment est-il possible de se tromper à ce point d’adversaire ?
Je vais le dire tout net : si les plus cyniques de nos dictateurs jouent sur la fibre « nationaliste », c’est uniquement parce qu’ils ont compris que c’est la seule chose qui leur vaudra l’approbation – implicite ou explicite – d’une frange importante de la population, voire de l’intelligentsia africaine. Voilà ce qu’aurait dû faire Paul Biya, lui qui n’a pas trouvé mieux que se tailler une Constitution sur mesure pour pouvoir briguer un nième mandat. Il aurait dû, tout simplement, monter sur ses chevaux, tempêter contre cet Occident qui veut recoloniser l’Afrique, adresser des messages d’admiration à Chavez, Castro, ou encore Ahmadinejad, ces bêtes noires de l’Occident. Et il aurait parsemé ses discours de « dignité pour l’Afrique », « liberté pour les peuples africains » et « lutte sans merci contre l’Occident prédateur ». Il serait devenu un héros pour l’Afrique, et les Camerounais lui auraient donné la présidence à vie. Et – cerise sur le gâteau – John-Fru Ndi, le Morgan Tsvangiraï local – toutes proportions gardées – se serait réfugié à l’ambassade de Chine, ce grand pays démocratique qui, en plus, offre l’avantage de ne pas être en Occident.
Et on appelle ça du nationalisme !
De quel nationalisme parle-t-on ? Celui qui consiste à brimer les populations, et à leur ôter tous les droits, même celui de se plaindre ? Celui qui érige en méthode de gouvernement le pillage des ressources du pays ? Celui qui permet d’envoyer ses enfants dans les meilleures écoles et universités
occidentales, quand la majeure partie de la population doit s’entasser dans des classes de 80 élèves, encadrés par des enseignants qui ne comptent plus les arriérés de salaire, et qui se consolent en rackettant des parents démunis ? Des nationalistes, ces gens qui, sans rire, dépouillent les banques nationales de leurs pays pour placer leur argent dans des banques
occidentales ? Des nationalistes, ces gens qui vont soigner le moindre « refroidissement » en
Occident ? Des nationalistes, ces gens qui accumulent les hôtels particuliers en Europe ? Des nationalistes, ces hommes qui réquisitionnent – pour eux-mêmes et pour l’impressionnante délégation qui les accompagne – des hôtels 5 étoiles lors des discussions avec l’Occident (tiens !) pour implorer une augmentation de l’aide financière dont bénéficieront leurs pays ?
Les Um Nyobé, Boganda, Lumumba, Sankara et autres – vrais nationalistes, eux – se retourneraient dans leurs tombes !
Ceux qui, aujourd’hui, applaudissent des deux mains les « exploits » du despote zimbabwéen, savent-ils seulement qui étaient ces dignes fils de l’Afrique ? Faut-il aller jusqu’à leur rappeler – au risque de faire insulte à leur intelligence – que rien, en dehors de la couleur de la peau, ne rapproche ces illustres hommes des crapules que les foules admirent de nos jours ?
Heureusement, tout n’est pas noir, et le Cameroun ne se réduit pas à ces esprits étroits. C’est l’occasion pour moi – et je terminerai là-dessus – de remercier certains esprits lucides qui ont su échapper à la « Mugabemania ». Tel le politologue Owona Nguini, qui rappelle que « plus un système est commandé par un prince qui dure longtemps, moins il a des possibilités de se développer ». Tel le philosophe Eboussi Boulaga, qui explique que ceux qui ont pris le pouvoir, après les indépendances, ont continué à « traiter les autres comme indigènes », avant de rappeler que « les élections ne sont démocratiques que dans une démocratie. Elles ne sont pas un moyen d’aboutir à la démocratie »
Le Cameroun – heureusement ! – est encore capable de produire des cerveaux de qualité, des hommes lucides et courageux, qui acceptent de regarder la vérité en face, de la décortiquer et de l’exprimer sans nuances. C’est la marque des hommes de grande valeur. Rien à voir avec ceux qui aboient avec la meute. Et dont il ne restera que du vent. Et encore.
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