Du 16 au 27 mai, Cannes tend le tapis rouge. Faut-il être à Cannes pour être visible ? Afriscope a enquêté pour savoir comment les jeunes réalisateurs arrivent à émerger et pour quel type de cinéma. Et rencontré aussi Dyana Gaye, Malek Bensmaïl et Philippe Lacôte qui seront sur la Croisette pour rencontrer des professionnels susceptibles de soutenir leurs projets de long-métrage.
Pendant près d’un siècle, c’est le cinéma qui a forgé les imaginaires. Puis la télévision a pris le dessus. Aujourd’hui, les écrans se démultiplient, mais plus l’image est partout, plus elle tend à l’identique : le seul modèle consommatoire étendu à l’infini. Pour ne pas gêner le succès du spectacle généralisé, la diversité est gommée ou mise en clichés. Les Noirs sont invisibilisés et les Arabes stigmatisés.
C’est pourtant dans sa diversité que la France qui bouge trouve l’énergie de se rêver. De jeunes cinéastes apparaissent, qui n’attendent plus qu’on les écoute : ils se saisissent de la caméra. Plutôt que de se laisser enfermer dans des stéréotypes, ils se prennent eux-mêmes comme sujet. Ils n’attendent plus les financements : ils filment avec rien ou pas grand-chose, en guérilla. Ils ne se pensent plus comme victimes : ils s’assument par eux-mêmes, autonomes. Ils se moquent des clichés, qu’ils tournent en dérision. Pour eux, la diversité n’est même plus une revendication : c’est un vécu. Ce n’est pas s’isoler à part, mais tout simplement être ensemble.
Il faut voir Donoma. Tout y est spontané mais ce n’est pas un film en l’air. Il est issu d’un long travail d’improvisation, sous la houlette d’un véritable auteur, Djinn Carrénard, qui a une vision à transmettre. La liberté que respire ce film n’est pas seulement dans son langage débridé, dans son humour ravageur, dans l’originalité de ses prises de vues. Elle est aussi dans sa diversité joyeuse, où la couleur de peau existe mais n’est plus un obstacle, où les imaginaires se confrontent mais s’écoutent. Ce film fragmenté devient une expérience moderne, celle d’une société qui s’assume dans ce qu’elle est, au lieu de craindre et renier sans cesse sa pluralité.
C’est alors que le cinéma est une arme, non pour dénoncer ou convaincre mais pour se dire en images, et opérer ainsi une coalition solidaire entre ceux qui font le choix de la vie, une coalition des vivants. « Ceux qui peuvent encore rêver ne dorment plus », dit le vidéaste Mounir Fatmi. Les cinéastes de cette nouvelle génération manient l’inquiétude et l’incertitude pour s’opposer aux idées reçues, à la recherche de tous ceux qui refusent l’uniformisation.
Ce n’est plus dès lors seulement dans les circuits traditionnels de diffusion que l’on trouve ces films, mais aussi dans des lieux improbables : les foyers, les quartiers, les associations, les télés alternatives, les festivals reculés, les salles engagées. Lorsque l’équipe de Donoma a loué un car pour faire une tournée avec leur film, ils ont rencontré et partagé ces dynamiques, et ce fut la fête ! C’est alors que se forge la conscience de soi nécessaire pour faire tomber les hiérarchies et les barrières qui se dressent quand on est enfermé dans une racialisation culturelle. Car dans cette France postcoloniale, rien ne sert d’attendre sa liberté, il faut la prendre.
Cet article est également publié dans Afriscope n° 26, mai-juin-juillet 2012///Article N° : 10791