Candidats pour du beur ?

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Samir Abdallah, réalisateur engagé, signe un nouveau documentaire sur la représentativité politique des minorités, spécifiquement post-coloniales. En 2007, il avait suivi plusieurs candidats « de la diversité » aux législatives, dans leurs circonscriptions respectives. Son constat sur la composition de l’Assemblée était alors amer, et il reste inchangé à l’aube du nouveau scrutin qui s’annonce aujourd’hui. Le lundi 4 juin 2012, une projection débat avait eu lieu au cinéma Les trois Luxembourg, à Paris. Retour sur le film, son contenu et ses personnages.

Zéro + zéro = la tête à Momo. Le documentaire de Samir Abdallah, Candidats pour du beur, pourrait être résumé dans cette blague qu’aime reprendre son réalisateur. Mais loin d’être amusante, la boutade dépeint une réalité bien choquante. Aujourd’hui, en 2012, George Pau-Langevin est la seule députée estampillée « de la diversité » à l’Assemblée nationale. Le premier des communautarismes : une assemblée d’hommes blancs, de plus de 60 ans. Le film commence d’ailleurs sur cette aberration. Deux Arabes en blouse de travail repeignent la grille d’entrée de l’Assemblée, alors que l’on entend résonner les discours de la droite sarkozyste sur « la fierté d’être français », « l’impossibilité de négocier sur le respect de la laïcité », leur soudain attachement pour « le droit des femmes ». On les entend même, dans l’hémicycle, raviver la mémoire de Charles Martel, mort « pour le respect de nos racines ». « Pour vous, l’immigré n’est qu’un profiteur, un musulman terroriste en puissance », lance un député de gauche, alors qu’à l’écran, un Noir passe le balai devant la salle de séance de l’Assemblée.
Dans les pas des candidats « de la diversité »
Quelles sont les chances pour qu’un arabe siège à l’Assemblée ? C’est finalement à cette question que Samir Abdallah a voulu répondre. En 2007, il a donc suivi plusieurs candidats « de la diversité » à la députation, dans toute la France.
Mouloud Aounit, connu pour son engagement au Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples (MRAP), est l’un d’entre eux. En 2006, alors qu’ACLEFEU naît à Clichy-sous-bois, en Seine-Saint-Denis, et appelle les habitants à s’inscrire sur les listes électorales, Mouloud fait campagne avec Marie-Georges Buffet pour les présidentielles. Pourtant, un an plus tard, il est battu lors du vote d’investiture du candidat communiste dans la circonscription d’Aubervilliers/La Courneuve en Seine-Saint-Denis. Il se porte tout de même candidat, « au nom de la diversité » pour représenter selon lui des populations issues de l’immigration : « On accepte la présence de Beurs dans le show-biz ou le sport, mais pas dans les lieux de pouvoir. On nous sert du beur de service à coller sur l’affiche, moi je veux qu’on les colle à l’Assemblée nationale ». Marcheur de 1983, Mouloud se souvient, en déposant une gerbe à la mémoire de Zied et Bouna mort en 2006 : « À l’époque, la violence raciste touchait déjà les gamins des banlieues. Et il y avait aussi ces bavures policières. Il a fallu que les personnes des quartiers se lèvent pour réclamer justice et dignité. Leur mobilisation a permis, quoi qu’on dise, que la justice passe ». Mouloud ne recueillera finalement que 1,82 % des voix. Dans cette circonscription, c’est Kamel Hamza, candidat UMP, qui arrive en seconde position, avec 33,21 %, derrière le vainqueur PS Daniel Goldberg. « La diversité, ce n’est ni de gauche ni de droite. C’est une idéologie. Si je n’avais pas été candidat, j’aurai voté pour Mouloud, malgré nos divergences de point de vue », affirme le candidat UMP.
Dans la circonscription d’Argenteuil – Bezons dans le Val-d’Oise, Faouzi Lamdaoui est investi par le PS pour la députation. À l’époque, François Hollande le soutient publiquement : « Faouzi a les compétences pour être parlementaire, et il est aussi celui qui peut représenter la diversité de cette circonscription ». Il obtiendra 26,78 % des suffrages au premier tour et 48,99 % au second, juste derrière le député-maire UMP Georges Mothron. Néanmoins, le 17 mai 2012, Faouzi a été nommé par décret « conseiller à l’égalité et à la diversité » auprès du Président de la République. Une belle revanche.
Candidat des Verts aux législatives dans la circonscription de Roubaix-Est en 2007, Slimane Tir montre son quartier, l’Alma, à Samir Abdallah. Au cœur de la zone franche, le chômage y atteint les 50 %. « Ici, on crève en silence, c’est ce que j’appelle le silence des agneaux », lance Slimane, avec malice. Silence des urnes aussi, avec une abstention record de 78 %. Le candidat déplore le retard de la Gauche sur la question de la diversité : « Je suis triste que Sarkozy ait assumé le premier la diversité. Bien sûr, on peut dire que c’est du marketing, du cosmétique, mais il l’a fait. Les militants des droits civiques l’ont rêvé, ils ont usé leurs baskets pour y parvenir. La gauche l’a promis, l’a renié, et la droite l’a fait. C’est ça qui est tragique. Aujourd’hui, j’ai mal à ma gauche, mais je continue à me battre. Il faut des descendants des anciennes colonies à des fonctions de responsabilité politique, de gestion des communes, des conseils généraux, régionaux. Dans des fonctions de premier plan, pas subalternes ». En 2007, Slimane Tir ne remportera que 4,79 % des suffrages. Son credo ? Ne rien lâcher. En janvier 2008, il se présente aux élections municipales. Alors qu’il tracte au métro de Roubaix en chantant le poing levé sur un air d’Amel Bent, Slimane explique sa détermination : « L’égalité, c’est toujours un mouvement de conquête. La diversité, ce n’est pas un mot d’estrade, pas juste un outil de communication. C’est une pratique du cœur. Pour nous, ce qui compte, c’est un projet de solidarité active, pas compassionnelle. La France s’est rabougrie, s’est fermée. Mais on passera par les fenêtres. Même par la cheminée s’il le faut ! »
Toujours à Roubaix mais dans une autre circonscription, l’UMP présente aussi son candidat à la députation « issu de la diversité ». Salem Kacet, un cardiologue, passe bien auprès des dirigeants du parti : « On fait partie du même milieu, je leur ressemble. Quand on arrive à une certaine catégorie sociale, les gens ne voient plus votre couleur de peau ». Il obtiendra 43,14 % des voix, juste derrière le candidat du PS, Dominique Baert.
À Marseille, Karim Zeribi tente la députation dans les quartiers Nord de la ville, sous l’étiquette Divers gauche. Il est alors président du « Parlement des banlieues », qui a interpellé les candidats à la présidentielle en publiant un « Manifeste des quartiers populaires » et trente propositions pour changer la vie dans les quartiers. Alors que Ségolène vient le voir à Marseille, il déclare : « Nous avons longtemps été cantonnés dans la vie associative, mais aujourd’hui, on demande à être considérés comme des citoyens à part entière, pas entièrement à part. Nous avons le cœur a gauche. Ségolène, exaltez-nous ! Ne nous décevez pas ! ». Aux législatives, il réalise un score de 12 %. Il sera élu, en mars 2008, conseiller municipal à la mairie de Marseille.
« Notre but, c’est que l’Assemblée nationale ressemble un jour à l’équipe de France de foot »
En 2007, le taux d’abstention au scrutin législatif a été incroyablement élevé. Notamment dans les quartiers. Dans un QG du Parti Socialiste, un militant déplore que « la diversité n’ait pas pris cinq minutes pour aller voter ». Beaucoup d’habitants des quartiers ne savent alors plus où ils se situent, entre ceux qui leur crachent dessus et ceux qui les caressent dans le sens du poil le temps d’une campagne. « On nous oblige à l’intégration par le jambon. Aujourd’hui, nous refusons la négation de notre histoire, de nos parents. Nous ne sommes pas tous des Fadéla Amara, des Rachida Dati, des Malek Boutih, des Azouz Begag. Nous sommes des destructeurs de mythes, nous sommes des indigènes », scande Houria Bouteldja, en appelant au boycott du PS et de toutes les droites. Certains esquissent quant à eux la solution de l’entrée dans le jeu politique. En 2007, ACLEFEU organise, juste avant les élections, la « marche des oubliés ». Pour eux, leur collectif est un peu « l’ENA des quartiers populaires. Chez nous, on se fait la main sur la politique. Des gens émergeront de ce collectif pour aller aux législatives. Notre but, c’est que l’Assemblée Nationale ressemble un jour à l’équipe de France de foot ». Car si exister, c’est exister politiquement, comme l’écrivait Abdelmalek Sayad, les descendants d’immigrés post-coloniaux et les habitants des quartiers au sens large ont encore du travail à accomplir. Les initiatives se multiplient, du Front Uni des Quartiers Populaires et de l’Immigration aux listes citoyennes telles qu’Émergence, menée par Almamy Kanouté en Ile-de-France, en passant par la toute nouvelle Force Citoyenne Populaire, dont le congrès fondateur s’est déroulé le week-end du 2 juin 2012 à Nanterre, les quartiers se mobilisent, et comptent bien créer le rapport de force avec près de dix millions de Français concernés.
En 2012, qu’est-ce qui a changé ?
À l’issue de la projection, Mouloud Aounit et SamirAbdallahse penchent sur la situation actuelle, cinq ans après le tournage de ce film, à l’aube du scrutin législatif de 2012.
Pour le réalisateur, il n’y a pas eu d’avancée significative en termes de représentativité des minorités : « Le Parti Socialiste a annoncé vingt-trois candidats « issus de » pour la campagne législative de 2012. Sur ces vingt-trois, seuls dix sont en position réelle d’entrer à l’Assemblée nationale. Mais ils ont tous des bananes dans les pattes, souvent leur parti fait campagne en sous-main contre eux, comme cela s’est produit avec Faouzi Lamdaoui. Cette année encore, il n’y aura pas de représentation sérieuse à l’Assemblée, au mieux deux ou trois têtes colorées. Souvent, il s’agit de gens d’appareil, pas de terrain, qui ont le complexe bounty. Noir à l’extérieur, blanchis de l’intérieur. La plupart ne sont pas représentatifs des quartiers populaires, ils se sont accrochés aux luttes pour lesquelles nous avons beaucoup donné de notre santé. Ils ont surfé sur nos vagues en méprisant notre travail. Preuve s’il en est, aucun n’est venu ce soir, alors qu’ils ont tous été invités à débattre ».
Mouloud Aounit acquiesce et continue : « En France, tu es né bougnoule, tu resteras bougnoule à vie. Immigré, beur, pote, issu de… J’ai été un des premiers marcheurs de 1983, et je me rends compte que la France fait du surplace, elle est crampée mentalement. À l’époque, on manifestait déjà pour l’égalité des droits et contre le racisme. La France ne s’est pas libéré du racisme anti-arabe et spécifiquement anti-algérien. Une tâche immense nous attend : être des porte-voix, des porte-exigences, des sentinelles de la dignité ». Pour le militant de la première heure, le regard de la société sur l’immigration n’a pas changé : « En cinq ans, on a eu droit à une gestion policière de l’immigration, une gestion sécuritaire. Aujourd’hui, François Hollande a été élu, il a composé son gouvernement avec des nominations symboliquement très fortes. Christiane Taubira, et Najat Vallaud-Belkacem, notamment. Mais il a mis Manuel Valls à l’immigration. On reste dans la gestion sécuritaire de la problématique de l’immigration. À l’exception du droit de vote des étrangers aux municipales, il n’y a pas tellement eu de geste et de proposition de la gauche pendant la campagne ». Les critiques se concentrent sur le Parti Socialiste, porteur de beaucoup d’espoirs. Mais les candidats « beurs » aux législatives sous la bannière de l’UMP sont quasiment inexistants. Et nul n’oublie la lepénisation de la laïcité mise en œuvre par Claude Guéant, ainsi que ses attaques stigmatisantes.
Le réalisateur achève tout de même la discussion sur une note positive : « Beaucoup de jeunes pousses se font leur place, dans les municipalités, les conseils municipaux. Ils mûrissent, et malgré tout, le combat continue. Des listes autonomes et citoyennes s’organisent de plus en plus. D’autres Mouloud Aounit se lèveront et prolongeront ce combat ». L’intéressé sourit et enchaîne : »Jacques Cheminade a bien réussi à avoir ses cinq cents signatures. Pourquoi pas nous, les quartiers populaires ? L’avenir c’est ça. Nous devons créer un mouvement civique comme les Américains l’ont fait à une certaine période, et organiser la lutte, en l’élargissant le plus possible ». Mouloud veut y croire, tout en soulignant qu’il est très difficile de faire campagne sans un gros appareil derrière soi. « Ma campagne aux législatives de 2007 m’a coûté 30 000 euros, que je continue, chaque mois, de rembourser. C’est le prix à payer pour l’égalité ».

///Article N° : 10790

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Les images de l'article
Samir Abdallah et Mouloud Aounit © Noémie Coppin





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