Dak’art off – Visite guidée

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Le Off de la biennale de Dakar a proposé cette année près d’une centaine d’expositions, de qualité très inégale, qu’un petit guide édité par le secrétariat de la biennale aidait à aborder. Celles qui se dégageaient présentaient des artistes confirmés pour la plupart, dont certains participaient déjà au In de la biennale. Mais elles ont également permis aux talents non-sélectionnés officiellement d’apparaître avec une légitime visibilité. On peut, au passage, saluer plusieurs initiatives associatives qui prolongent la dynamique de la biennale.

Galeries et professionnels
Les expositions de la galerie Atiss, de la crypte de la cathédrale de Dakar, et de la Kadjinol Station se sont distinguées par leur homogénéité et leurs mises en espace.
La galerie Atiss (Dakar) et la galerie Mam (Douala) se sont associées pour cette biennale et ont présenté un ensemble de jeunes artistes sénégalais et camerounais. La sélection principale de la galerie Atiss s’est concentrée sur des propositions très graphiques, au dessin souvent marqué de cernes noirs, coloré de tons cassés dans les beiges, marrons, gris et blancs. Parmi elles, les œuvres de Soly Cissé étaient des dessins, aux traits vifs, faits au fusain. On trouve chez Cissé, comme chez Joël Mpah Doo, tout un vocabulaire graphique particulier, de petits animaux, des séries de chiffres, de petites phrases… L’ensemble s’est avéré particulièrement adapté à ce petit espace qu’est la galerie Atiss, comme une sorte de cabinet graphique. Les œuvres de Camara Gueye, avec leurs personnages massifs dans des scènes intimes ou quotidiennes, prolongent ce qu’il proposait lors de la dernière édition de la biennale. Le traitement plastique, le dynamisme du trait, l’utilisation du fusain, du cerne, a donné une grande unité à cet ensemble. On remarque aussi que, par son modelé et sa couleur ocre, la sculpture de Diadji Diop représentant une femme grandeur nature, suspendue par les bras au-dessus du vide, transpose en volume la sensibilité picturale de cette sélection d’œuvres.
Dans la crypte de la Cathédrale de Dakar, l’Atelier Graphoui a élaboré une exposition originale : « 7 plasticiens en mouvement ». Ici encore, on retrouve Ndary Lo, Kan Si, Soly Cissé, tous issus de l’Ecole des Beaux-arts de Dakar dans les années 90, et qui ont été les figures omniprésentes de cette édition de la Biennale, In et Off. Cependant, cette exposition a offert un regard nouveau au spectateur, celui de l’œuvre en mouvement, car chaque artiste a présenté au côté de son travail un film mettant en scène cette même œuvre (visibles sur www.plasticiens-en-mouvement.org).
My God est l’illustration vidéo de l’œuvre de Ndary Lo : de petits personnages migrent sur le sable, pour grimper au mur et envahir une croix (œuvre exposée à l’Ebéris Studio). A côté de la vidéo, se tient un grand personnage sculpté devant lequel se prosternent deux plus petits. Devant, une cage enferme de plus petits personnages encore.
En face de cet ensemble est présenté le travail de Kan Si. Trois tableaux, remplis de petits personnages observant les trois positions de la prière musulmane, sont accrochés derrière l’autel de la crypte. Au-dessous de lui, défile le film : le pinceau de l’artiste dialogue avec les toiles pour y apposer des génuflexions, dont le graphisme jouxte la calligraphie, et puis apparaît un homme en prière derrière un rideau…
Cet axe principal de la crypte, lieu déjà imprégné de tant de religiosité, est aussi celui par lequel le visiteur fait l’aller-retour symbolique entre l’œuvre de Ndary Lo et celle de Kan Si, entre la chrétienté suggérée et l’Islam pratiqué. Autour de cet axe central, les autres artistes présentés ont aussi instauré un dialogue entre leur œuvre fixe et l’image animée de leur œuvre. L’exposition s’est donc véritablement démarquée pour l’ensemble de son dispositif, plus que par son choix d’artistes qui étaient également exposés ailleurs.
Kan Si était aussi l’invité de six artistes italiens exposant à Canal Horizon, tandis que l’Ebéris Studio hébergeait une exposition de qualité consacrée essentiellement à l’œuvre de Ndary Lo. L’espace, récemment restauré, s’est avéré idyllique pour accueillir des expositions d’art.
Yacouba Konaté, commissaire de l’exposition à la Kadjinol Station, a proposé un panel élégant d’artistes ivoiriens, designers, photographes, peintres, dessinateurs, stylistes. La scénographie maîtrisée dans ce lieu ouvert a pu mettre en valeur le travail d’artistes comme Valérie Oka et Issa Diabaté. Tous deux sont d’ailleurs des habitués de la biennale, mais leur style confirmé devrait peut-être davantage savoir nous surprendre.
L’exposition de la galerie Mam (Cameroun) à l’IFAN s’est aussi démarquée de l’ensemble du Off et a fait preuve d’une bonne utilisation de l’espace. Ce sont les œuvres de Joël Mpah Doo et Salifou Lindou qui se sont imposées dans cet ensemble. Ils ont présenté chacun une série de tableaux et de sculptures dont le matériau central est la tôle.
Le travail de S. Lindou (cf. Africultures n°47, « Douala : le squatt des plasticiens ») rassemble des compositions de grands formats, assemblages de carrés de 28 cm de côté ou compositions homogènes de plus petits formats allant souvent par paires. Il a aussi exposé des compositions en trois dimensions, sphères ou colonnes, par paires. L’artiste module différents aspects de la tôle. Elle apparaît lisse, brillante, poreuse rugueuse, foncée ou claire. L’artiste agrafe, cloue, assemble tous ces morceaux de tôles. Il les agence de telle manière qu’elles ont tantôt un rôle figuratif, dessinant des portes ou autres éléments architecturaux, tantôt un rôle plastique en tant que matière et couleur. L’architecture est donc très présente tant au niveau de la représentation que de la structure formelle de l’œuvre. La démarche de l’artiste est d’autant plus concrète que c’est aussi l’aspect social du matériau qui le préoccupe : dans le domaine de la construction, la tôle sert à couvrir, à refermer des structures, de même qu’elle sert industriellement pour des accessoires de base tels que les fourneaux à charbon.
Son compatriote Joël Mpah Doo a exposé une œuvre plus diversifiée, dessins, peintures, collages et tôles. Son traitement des tôles sur châssis est très différent celui de S. Lindou. Ici, l’artiste se sert d’un seul morceau de tôle qu’il teinte grâce à de l’encre. Il y incorpore des coupures de journaux, il insère des ampoules électriques derrière la tôle qu’il crève ou déchire. On retrouve également les éléments graphiques qui caractérisent l’artiste, tels que des séries de chiffres, des mains encerclées ou des visages… Cependant, il s’avère que cette série de tôles, par opposition à ses toiles, traduit davantage un univers urbain où se croisent routes et véhicules.
Dans un tout autre registre, à la galerie Arte, Ibrahima Niang a exposé des peintures sur les réfugiés et les fous, en complément de ce qu’il a exposé dans l’exposition internationale. Sa démarche est de chercher à retranscrire plastiquement le désordre et la déconstruction. Samba Fall, quant à lui, y a présenté des toiles de couleurs vives, sectionnées en cellules et fragments de surfaces colorées. Il est regrettable que l’ensemble de l’exposition ait été noyé par la présence de divers objets d’artisanat, commercialisés dans cette même galerie.
Ailleurs, des artistes de Guinée et d’Afrique centrale ont élu un même lieu pour abriter leurs expositions : celle de l’association Compans Art (Conakry), un peu frustre, et celle des artistes d’Afrique centrale, sélectionnés par Doual’art. Cette dernière présentait l’installation 110901 de Malam (cf. Africultures n°45, fév.2002). A ses côtés, on a pu apprécier quelques œuvres telles que les peintures de Bill Kouelany (cf Africultures 46, mars 2002), les sculptures de Armindo Lopès Bon Jesus et celles de Jean Galbert Nze qui, bien que très différentes, méritent une attention particulière.
Au total, toutes ces expositions très professionnelles ont permis au Off de s’affirmer. Il s’agit désormais, pour les prochaines éditions du Off, d’arriver à proposer un panel d’artistes un peu plus métissé afin que la prédominance, bien compréhensible, des travaux de la jeune génération de l’école de Dakar ne nuise pas à la diversité proposée par la manifestation.
Clins d’œil
Côté rue, certains ont su créer de l’animation. Les taxis de Dominique Zinkpè, véritables véhicules itinérants remplis de personnages sculptés caricaturaux, ont rassemblé beaucoup de public. Viyé Diba, accompagné d’une troupe de théâtre, a mis en scène la vie quotidienne de Dakar, en prenant là aussi pour inspiration les fameux cars rapides. Cette performance a eu beaucoup de succès auprès du public local.
Une performance de l’artiste russe Olga Kisseleva, résidente à Dakar, avec cinq élèves de l’Ecole des Beaux-Arts s’est tenue dans une rue de la Médina : sur grand écran, la projection d’une série de portraits débute par l’autoportrait de l’artiste. Ce dernier se transforme ensuite pour devenir le portrait d’une autre personne. Tous ces portraits successifs sont ceux réalisés avec des habitants du quartier, mais seule la partie des yeux reste inchangée dans le montage, le regard initial de l’autoportrait de l’artiste. Les habitants du quartier ont été captivés par cette étrange projection où ils ont pu reconnaître les visages de la famille, d’amis ou de voisins, au cours d’une soirée égayée.
Il nous faut aussi signaler quelques expositions isolées, notamment celles d’Abdoulaye Ndoye, au Relais de l’Espadon à Gorée, et celle de Moussa Mbaye, à Hang’art, qui ont contrasté avec l’ensemble de la tendance sénégalaise de ce Off.
A. Ndoye a reçu ses visiteurs tous les week-ends, dans un espace parfaitement adapté à sa production. Son exposition Ecriture est basée sur la pratique d’une écriture inventée et non signifiante. Celle-ci combine le souvenir de symboles africains et de calligraphies arabes, mémoires écrites de l’Afrique. Le lieu utilisé est un ancien bâtiment colonial à l’abandon qui, lui aussi, est chargé d’une dimension historique. L’artiste a utilisé la pièce la plus sombre pour y présenter ses ouvrages, des livres entiers remplis de ses calligrammes et calligraphies. Cette atmosphère de salle d’archives renforce sensiblement la texture vieillie des papiers qu’il fabrique lui-même. Toute la démarche d’A. Ndoye réside dans l’élaboration d’une écriture. Celle-ci se fait d’abord timide, puis progressivement elle s’affirme, pour finalement remplir la totalité des supports, structurer les espaces et devenir elle-même image.
Dans l’exposition à l’espace Hang’art, un panneau surmonte les photographies de M. Mbaye, où l’on peut lire : « Toucher, regarder, incliner », invitation faite au spectateur. L’artiste s’interroge sur le mouvement et les modifications de l’image, la participation du spectateur est donc indispensable. Il champlève la pellicule colorée, introduisant des aplats blancs et mats, qui peuvent faire éclater la première image, la déstructurer ou la doubler d’une autre. Les dimensions se superposent sur l’espace photographique. La lumière, élément à l’origine de la photographie, devient ici le moteur de découverte des différents niveaux picturaux car c’est elle qui fait apparaître l’image gravée qui était invisible. Ces images accumulées sont aussi des empilements poétiques, presque surréalistes. Ainsi, M. M’Baye s’acharne à faire revivre ses premières photos prises au Mali au début des années 90. Il réaffirme la qualité première de la photographie, sa reproductibilité, pour mieux la détourner dans une pratique plastique aux possibilités infinies. Véritable matière première, ses clichés d’architectures, de femmes, ses portraits d’artistes sont des images stéréotypées de l’Afrique et de la photographie africaine qu’il se plaît à déstructurer. Il manipule alors souvenirs et mémoire collective afin qu’ils deviennent des icônes de sa propre histoire.
Perspectives
On peut enfin se réjouir de l’émergence de nouveaux lieux. L’initiative des associations ASAO (l’Association du Sénégal et de l’Afrique de l’Ouest) et Man-keeneen-ki (fondée par Jean-Michel Bruyère, metteur en scène français dont le spectacle Enfants de nuit était présenté au Festival d’Avignon, cf p.XXXXX) a permis la réouverture du cinéma l’Empire qui, conservant aussi sa vocation de lieu culturel, s’engage dans l’activité de centre d’accueil pour la réinsertion des enfants des rues. Il s’y est tenu l’exposition d’un jeune photographe, Sada Tangara, dont la démarche illustre l’objectif social des associations. Ancien faxxman (enfant des rues de Dakar), qui fut recueilli par Man-keneen-ki, il documente leur vie au quotidien (sa série Le Grand sommeil était présentée dans Enfants de nuit). Dans ce cinéma à ciel ouvert, le public a pu en outre découvrir du mobilier, des fixés sous-verre et d’autres productions de design que l’on retrouvera exposés au CSAO, l’antenne parisienne, située rue Elzévir dans le Marais. L’Empire devrait quant à lui continuer d’être un lieu de sensibilisation aux arts, avec des représentations théâtrales, des projections cinématographiques et des expositions.
D’un autre coté, Amadou Yacine Thiam, galeriste confirmé, inaugurera cet hiver un nouvel espace à Dakar, le Yacine Art Center. Ce surprenant complexe est fait de deux bâtiments, l’un en forme de pyramide et l’autre de lion. Lorenzo Pace (artiste américain) y a proposé pendant la biennale une installation et un workshop autour du jeu traditionnel sénégalais appelé « le faux lion ». A cette occasion, des artistes ont fait don de plusieurs toiles à l’Etat. D’autre part, à Paris jusqu’au 18 septembre 2002, la galerie Yacine et la galerie Besseiche présentent une sélection d’artistes ayant participé au Off de la biennale de Dakar 2002. On ne peut que se réjouir de ce genre d’initiatives et espérer qu’elles multiplient et diversifient les opportunités de présentation des artistes africains contemporains en dehors du Dak’art.

///Article N° : 2415

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Les images de l'article
Exposition Galerie Mam, IFAN, Sans titre, Joël Mpah Doo © Nawal Bakouri
Livres, Abdoulaye Ndoye, Ecritures, Relais de l'Espadon, Gorée © Nawal Bakouri
Abdoulaye Ndoye, Ecritures, Relais de l'Espadon, Gorée © Nawal Bakouri
Exposition artistes ivoiriens, Kadjinol Station © Nawal Bakouri





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