Nommé en octobre 2002 ministre de la Culture du Mali, le cinéaste Cheikh Oumar Sissoko répond aux questions d’Africultures.
Face à l’extraordinaire vitalité artistique du Mali et l’énormité des problèmes à résoudre quels sont les choix à faire et le contrat que vous proposez à ceux qui vous font confiance ?
Le contrat que je propose est de regarder la situation de la Culture. Il y a trois problèmes essentiels, qui résument d’ailleurs le problème général de la Culture en Afrique : un marché très étroit, la difficulté de l’économie de la Culture, la faible circulation des biens culturels. Il faut créer des infrastructures pour donner les moyens de s’exprimer. Nous avons la chance au Mali d’avoir un Palais de la Culture qui a les capacités d’être un formidable centre de dialogue, de création, d’activités pour tous âges. Ma première préoccupation va être d’en faire un lieu professionnel, ouvert, profitant de sa proximité avec le fleuve pour en faire un centre rayonnant. La salle de spectacles de 3000 places peut être un grand lieu de Culture et Salif Keïta a un studio professionnel permettant de travailler en haut de gamme les enregistrements qui y seront réalisés. Nous sommes en train de rénover le podium flottant sur le fleuve, ce qui permet d’accueillir 6 à 8000 personnes. Des ateliers de travail pour les enfants, des podiums de répétition pour le Théâtre national qui s’y trouve déjà mais aussi pour les privés. Très important, un bureau d’experts est en train d’être mis en place pour aider les artistes à monter des projets, à préparer les événements culturels, à savoir où sont les sources de financement et comment les aborder. Un cybercafé permettra aux artistes de correspondre avec le reste du monde. Un tel espace dans la capitale malienne sera le relais d’autres espaces semblables dans les huit capitales régionales du Mali. Les artistes y sont légion. J’ai visité ces endroits qui existent déjà mais qu’il faut rendre opérationnels en son et lumière. La décentralisation peut permettre aux communes et assemblées régionales de s’y intéresser.
L’institut national des arts qui a été le lieu de formation des plus grands comédiens du Mali au point que l’un d’entre eux devienne sociétaire de la Comédie Française est également à restructurer pour que cette formation soit à nouveau efficace.
Ce sont donc deux lieux qui donneront vie à la Culture, accueillant Etonnants Voyageurs et les Rencontres de la Photographie qui sont les deux événements clefs de notre partenariat avec la France mais aussi les autres manifestations culturelles.
Quelles sont-elles ?
Dans chaque grande ville, nous organiserons une manifestation culturelle, déjà annoncée par une rentrée culturelle réalisée le 27 décembre 2002 honorant les artistes et créateurs. Ce sera aussi le cas dans les villes frontières car la Culture doit être facteur de développement mais aussi de stabilité et de paix dans une Afrique violentée, ouverte au déséquilibre social. Nous allons conforter la stabilité et la paix malienne en organisant à nos frontières de grandes rencontres artistiques pour que les différents groupes ethniques et culturels évoluant de par et d’autre des frontières puissent se rencontrer, dialoguer, évoluer ensemble et voir que si une frontière les sépare, ils ont la même façon de vivre, de s’entendre et même de lutter. A Sikasso aura lieu le triangle du balafon, instrument commun au Mali, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire : les trois ministres de la Culture organisent en commun un festival itinérant (Sikasso, Bobo Dioulasso, Korhogo). Mon intention est d’y associer la Guinée pour en faire le carré du balafon. Avec les pays du Nord, le festival Essakan a regroupé les Mauritaniens et les Nigériens et devrait faire venir aussi les Algériens l’année prochaine. Le festival Adraboukan, à la frontière du Niger, où les Nigériens sont venus, où nous voudrions aussi faire venir les Mauritaniens et les Algériens. Du côté de la Mauritanie, à Noro, la grande tradition de la cavalerie a provoqué une manifestation autour du cheval. A Kayes, une semaine regroupe chaque année des jeunes du Sénégal, de Mauritanie et du Mali. Je me rends à toutes ces manifestations avec une équipe pour aider à améliorer et corriger les erreurs. Dernier élément, la biennale artistique et culturelle que le Mali a connu depuis son accession à l’indépendance et que nous allons redémarrer, du 6 au 16 septembre, pour que les jeunes des différentes régions du Mali puissent se rencontrer pour qu’ils sentent leur appartenance à un ensemble et l’enjeu d’y contribuer. Les professionnels invités pourront découvrir des talents et s’enrichir de ces rencontres.
N’y a-t-il pas une tension entre la culture patrimonique très ancrée au Mali et la création contemporaine touchant moins facilement un milieu populaire ? Quels sont les choix à opérer ?
Cette tension est normale et fait partie de la création. Les musiciens ont enrichi la worldmusic et s’en sont enrichis ! Le marché est intérieur mais aussi mondial. Le grand danger pour la création artistique serait de se cramponner sur une tradition ancienne et refuser d’évoluer et de vivre son temps : ce serait la mort certaine de l’art. Nous avons compris cet écueil et nous voulons impliquer les privés qui sont impliqués dans la création contemporaine pour aider tous à franchir le pas. On continuera d’admirer le folklore mais l’Histoire n’est pas figée : l’Afrique se modernise et sa création artistique évolue.
Vous sentez une véritable volonté des ministres de la Culture des pays voisins d’une collaboration régionale ?
Absolument. Le triangle du balafon a été initié en commun. Les problèmes en Côte d’Ivoire, s’ils remettent en cause l’événement de Korhogo, n’empêcheront pas les artistes ivoiriens de venir ici. La circulation continue et est nécessaire. Chacun ressent ce besoin aujourd’hui : la culture a la capacité de regrouper les gens pour privilégier le dialogue pour ramener les conflits latents à leur juste proportion. Les singes qui vivent ensemble, leur queue se touche évidemment. Cela ne doit pas être source de conflits.
Etre ministre de la Culture ne veut-il pas dire aussi chercher à imposer des choix à d’autres ministres, comme la suppression de la taxation du prix du papier qui handicape les éditeurs maliens ?
Le coût du papier doit être abordable, sinon on est condamné à des partenariats pour développer le livre. Le papier et l’encre sont en question, mais c’est aussi le coût de l’énergie et de la communication, problèmes spécifiques des imprimeurs. Une commission travaille au niveau de mon département pour approcher le ministère de l’éducation nationale. La diminution du coût du papier pourrait profiter au livre scolaire. Le ministre de l’Energie et le ministre des Finances et du Commerce sont également concernés mais tout dépend de la volonté politique au plus haut sommet de l’Etat. C’est là que doivent se prendre les décisions d’une véritable politique culturelle pour le pays, entraînant les décisions en termes de taxes et d’impôts.
A propos d’éducation nationale, l’état de l’école malienne est très problématique. On voit peu de scolaires à Etonnants voyageurs. Quelles sont les perspectives d’une inscription culturelle à l’école ?
En réalité, comment arriver à associer élèves, lycéens et universitaires à ce débat si important avec les auteurs ? Il nous faut tout de suite après le festival organiser son prolongement. Le 8 mars, journée internationale des femmes, naîtra un cercle littéraire ici même avec une rencontre avec une jeune auteur, Aïda Marie Diallo. Le modérateur en sera Ismaël Samba Traoré. Le conseiller technique est un critique littéraire, Mamadou Bani Diallo. Chaque mois aura lieu une rencontre avec un auteur et son livre. C’est un engagement que je prends pour qu’Etonnants voyageurs 2004 soit préparé dès maintenant. Nous le ferons aussi dans le reste du Mali.
Au niveau du ministère de la Culture, les élèves et étudiants n’ont pas attendu ma venue pour organiser des manifestations culturelles. Nous recevons des invitations de tous styles. Ce que nous allons faire est d’organiser des rencontres culturelles en compétition entre tous les lycées et écoles et les associer à la biennale artistique et culturelle. J’ai nommé comme chef de cabinet un journaliste renommé, bon communicateur, qui va prendre en mains les choses. Il faut que la Culture soit à l’école. Le ministre de l’Education nationale veut l’inscrire à travers les langues nationales. Il faut agir sur les comportements. Les jeunes cherchent l’Occident et notamment les Etats-Unis : il faut lancer le débat. Je prépare un magazine culturel mensuel à la télévision du Mali pour toucher un large public.
C’est donc une politique d’affirmation culturelle et de recentrage dans un contexte de mondialisation galopante.
Absolument. C’est ce qui nous pousse à faire tout cela. Toutes ces manifestations renforcent notre diversité culturelle dans un Mali qui est un grand brassage où la notion d’ethnie est avant tout une valeur importée par des hommes politiques avides, source de conflits.
Un cinéaste qui a beaucoup insisté par le passé sur les solutions à adopter en matière de cinéma est dorénavant ministre. Quelles seront les priorités ?
Organiser une réunion avec tous mes collègues ministres de la Culture : seul, je ne peux rien. Il faut voir dans quelle mesure tous les moyens de financement dont nous disposons peuvent être utilisés à bon escient pour constituer une industrie cinématographique, et cela à l’échelle du Continent et non dans chaque pays, avec une infrastructure économique, technique et commerciale. L’autonomie financière est possible si la solidarité qui a toujours manqué se met en place. Des laboratoires existent en Afrique du Sud, au Maroc, en Tunisie, même au Nigeria. Il nous faudrait créer ou améliorer dans les cinq zones de l’Afrique des infrastructures de post-production. Nous avons Cinafric au Burkina Faso qui pourrait évoluer dans ce sens. J’ai fait la post-production complète de Finzan à Cinafric, et le pré-montage de Guimba a été réalisé au Burkina Faso. Cinafric a malheureusement fermé mais peut renaître. Il nous faut répertorier le matériel et les techniciens, assurer la maintenance dans les infrastructures de post-production afin d’appliquer un tarif préférentiel nous amenant à réduire les coûts de production.
Il nous faut aussi nous adapter aux nouvelles technologies qui peuvent nous permettre de multiplier notre production. Mais il faut cette solidarité entre ministres et qu’on arrête de dire « je veux, moi, mon école de cinéma, mon laboratoire, mon auditorium etc ». L’entretien est nécessaire 24 heures sur 24 : le budget d’un ministère de la Culture ne peut le faire, mais nous le pouvons ensemble. De même pour les écoles. Il y a une bonne école au Ghana : pourquoi en faire au Sénégal, au Burkina, au Cameroun ? Il nous faut aussi étudier le doublage, la multiplication des projections grâce au numérique
C’est donc bien la perspective énoncée au départ d’une collaboration inter-étatique sur une base équilibrée.
Il faut le faire ! J’ai demandé à Bruxelles une rencontre des ministres de la Culture ACP. C’est en cours. Je vais essayer de déjà réunir des ministres de la Culture au Fespaco pour ne pas en rester aux déjeuners informels. L’argent existe mais est mal réparti : les capacités sont extraordinaires. Il nous faut éviter de toujours revenir à la case départ et développer une véritable volonté politique commune !
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