Maputo vient de voir s’achever la 6e édition du Dockanema, festival de documentaires qui présente chaque année des films venus du monde entier.
Depuis sa création en 2006, le Dockanema, festival de documentaires de Maputo (Mozambique), n’a pas démenti sa qualité, ni en terme de sélection ni en terme d’organisation. Du 9 au 18 septembre dernier, pour la 6e édition, plus de 90 documentaires ont été présentés, en présence de seize réalisateurs (2).
Les films étaient répartis en cinq sections et trois programmes spéciaux. À l’occasion de la 10e édition des Jeux Africains (3), qui ont eu lieu au Mozambique en même temps que le festival, l’une des sections était dédiée au Sport. La traditionnelle question du sport et de l’argent était abordée dans Life is not a home game de Franck Pfeiffer et Rouven Rech et à grand renfort de musique et de suspense dans le très américain The two Escobars de Jeff et Michael Zimbalist. Mais c’est finalement la politique qu’on retrouvait en toile de fond de presque tous les films de la section : l’apartheid dans Have you heard from Johannesburg ? de Connie Field ou dans More than just a game de Junaid Ahmed, la guerre ou les troubles politiques dans One goal de Sergi Agusti et The team de Patrick Reed, le pouvoir oppresseur dans Mundialito de Sebastian Bednarik, Out of the Ashes de Tim Albone et Tin Town de Geoff Arbourne
La section « Sal da Terra » (Sel de la Terre), qu’on retrouve chaque année, est consacrée aux documentaires mozambicains ou tournés au Mozambique. C’est sans doute celle qui donne tout son sens au festival : « Ma volonté est de rappeler, de ne pas permettre d’oublier, l’importance du documentaire pour notre société, et particulièrement pour notre mémoire collective. » annonce Pedro Pimenta, directeur du festival, dans son texte d’ouverture au catalogue. Il y évoque également la célèbre phrase de Patricio Guzmán, « Un pays sans documentaire, c’est une famille sans album photo ».
Cette année on a pu découvrir trois figures mozambicaines, les peintres Noël Langa et Estavao Mucavele, respectivement dans Pfunguza de Lionel Moulinho et dans Eu, Mucavele de Patrick Schmitt, ainsi que l’héroïne nationale Josina Machel dans Vozes de Moçambique de Susana Guardiola et Françoise Polo Moya, film qui s’empêtre malheureusement dans sa tentative de faire de cette guerrillera de la lutte pour l’indépendance le point de départ d’une réflexion sur la place de la femme dans le Mozambique d’aujourd’hui. Des questions de développement ont été posées à travers Campo Meu Futuro de Gabriel Salvador Mondlane, Itoculo 2009 de Nuno Ventura Barbosa et les vingt courts-métrages Um Minuto Junior, financés par des organisations internationales. La thématique de la présence chinoise en Afrique a également été traitée à travers deux films très humains et sans partis pris, Pourquoi ici ? Histoire de Chinois en Afrique de Yara Costa et Subverses – China in Mozambique d’Ella Raidel.
À noter que le Mozambique était également le pays le mieux représenté du programme spécial Vidéo de Arte, qui donne une ouverture artistique au festival.
Mais le Dockanema est loin d’être un festival qui se cantonne au Mozambique. En témoigne l’importance des sections « Janela Aberta » (Fenêtre Ouverte) – qui avec 26 films est la mieux fournie du festival – et « Original Docs« , qui présente des films étrangers en version originale (4). Les films qui y sont présentés viennent le plus souvent d’aires géographico-culturelles proches du pays.
L’Afrique bien sûr, principalement l’Afrique du Sud voisine. Mais aussi le Zimbabwe, le Tchad, le Congo, la Guinée-Bissau, le Ghana et le Cameroun, qui avec le film Life propose l’un de ces rares documentaires qui donnent à voir l’Afrique citadine, loin des villages et des conflits politiques
que son réalisateur Patrick Epape en soit remercié !
L’Amérique Latine a tenu une place prépondérante dans le festival, puisque la section « Mémoire » était consacrée au Chilien Rodrigo Gonçalves, qui a travaillé de nombreuses années au Mozambique, que le film projeté en ouverture était le beau Nostagia de la Luz, du chilien Patricio Guzmán et que l’édition en elle-même était un hommage à Ruy Guerra, figure du cinéma brésilien bien qu’il soit né au Mozambique (5). Le Brésil à lui seul était présent à travers pas moins de 17 documentaires, dont l’émouvant Diario de uma Busca de Flavia Castro, qui parvient à évoquer feu son père militant politique sans tomber dans l’hagiographie et les trois films A Falta que me faz, Aboio et Acácio de Marilia Rocha, qui ont brillé par leur qualité esthétique et la profondeur de leur regard sur les personnages.
L’Europe latine a marqué sa présence à travers un Focus Espagne de huit films (6) et les programmes spéciaux sur Raquel Scheffer (Portugaise) et Vittorio de Seta (Sicilien).
La volonté du Dockanema est de « montrer ce qui se fait de mieux », « des regards neufs« dit Pedro Pimenta, qui aime à prévenir qu’il « ne supporte pas la médiocrité ». Ce sont la qualité et la pertinence du regard sur le monde qui comptent, plus que l’origine des films présentés.
Un regard qui doit notamment savoir garder une « distance éthique face à la tentation du misérabilisme et du voyeurisme », comme cela a été discuté via une table ronde avec trois réalisatrices dont les films ont su éviter cet écueil : Christine Bouteiller, dont le film Les Égarés évoque les déplacés-réfugiés du génocide Kmer Rouge au Cambodge ; Ditte Haarlov Johnsen qui dans son film Homeless suit le quotidien de trois SDF groenlandais à Copenhague et Lotte Stoops, qui avec son film Grande Hotel montre l’organisation de la vie dans les ruines d’un des projets architecturaux les plus mégalomanes que les Portugais aient réalisés au Mozambique.
L’objectif de ces tables rondes qui se déroulent chaque année est de profiter du festival et des professionnels du cinéma qu’il amène d’un peu partout pour structurer le secteur cinématographique au Mozambique.
Pour Pedro Pimenta, le principal enjeu est celui de la diffusion : « Nous ne pouvons pas nous offrir le luxe de penser à la production sans penser à des alternatives sérieuses et durables pour la diffusion » soutient-il. Si le festival remplit en partie cette carence, la question du public reste problématique. Les salles sont remplies, mais les étrangers, nombreux à Maputo, y sont majoritaires. Le festival, qui dans la lignée des initiateurs du cinéma mozambicains post-indépendance, veut « permettre au public mozambicain de se regarder à travers ses propres images et de s’y identifier » (7) a, durant plusieurs années, fait un vrai travail de conquête de nouveaux publics, à travers des projections ambulantes gratuites dans les quartiers périphériques de la ville et une extension du festival à Nampula, au Nord du pays. Faute de financements, cet élan s’est brisé et le festival a dû revenir à sa forme initiale. Un élan qu’il pourrait certainement retrouver si on lui en donnait les moyens
1. Extrait du texte de présentation de Pedro Pimenta, directeur du festival.
2. Treize réalisateurs étrangers : Christine Bouteiller (France), Christian Karim Chrobog (US), Rodrigo Gonçaves (Chili), Susana Guardiola (Espagne), Ruy Guerra (Brésil), Ditte Haarlov Johnsen (Danemark), Koulsy Lamko (Tchad), Nacho Martin (Espagne), Belen Santos Osario (Espagne), Ella Raidel (Autriche), Marilia Rocha (Brésil), Patrick Schmitt (France) et Lotte Stoops (Belgique) ; et trois réalisateurs mozambicains : Aldino Languana, Gabriel Mondlane et Lionel Moulinho.
3. Compétition qui se déroule tous les quatre ans depuis 1965 à l’échelle du continent.
4. La principale différence entre ces deux sections tient dans la langue de projection : les films « Fenêtre Ouverte » sont sous-titrés en Portugais tandis que les « Original Docs » sont sous-titrés en Anglais ou sont projetés sans sous-titres.
5. Ruy Guerra est né au Mozambique en 1931, a étudié en France et participé à la Nouvelle Vague, avant de déposer définitivement bagages au Brésil en 1958. Il est revenu quelques temps au Mozambique au moment de l’indépendance en 1975 pour participer à la naissance du cinéma national.
6. Del Poder de Zaván, El Alumno de Miguel Luna, El Cerco et El nino Miguel de Nacho Martin, Los dioses de verdad tienen huesos de David Alfaro Simon et Belén Santos Osorio, One goal de Sergi Agustí, Voces desde Mozambique de Susana Guardiola et Françoise Polo et Welcome to Tsukiji de José Almena Redondo.
7. Texte d’ouverture du catalogue de Pedro Pimenta toujours…///Article N° : 10420