Eunice de Lisette Lombé : un roman féministe et sensible sur l’expérience du deuil

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Avec Eunice, la slameuse, poétesse et romancière belgo-congolaise Lisette Lombé offre un roman puissant et sensuel sur la reconquête de soi après l’expérience traumatique du deuil. 

Eunice est avant tout un livre de deuil. Dès les premières pages, l’héroïne éponyme est quittée brutalement par son petit ami et apprend le lendemain la mort accidentelle de sa mère lors d’une soirée trop arrosée. La relation mère-fille est explorée dans ce roman à la prose rythmée et poétique : colères rentrées, frustrations, désarroi de la perte, sont tour à tour évoquées à travers une narration à la deuxième personne, qui s’adresse à Eunice sous la forme d’un « tu » affectueux et bienveillant. 

Au-delà de cette relation mère-fille, les relations féminines sont au centre du roman, qu’il s’agisse de relations amicales, sentimentales ou familiales. La tante Madou apparaît ainsi un temps comme une figure de référence, puissante et charismatique, qui bientôt s’écroule face au poids du deuil. À l’inverse, la grand-mère, Marcelle, est une femme autoritaire, manipulatrice et potentiellement meurtrière qui porte la responsabilité d’un certain nombre de tabous et du sentiment de mal-être généralisé qui règne au sein de la famille. Quant à Jennah, le nouvel amour d’Eunice, elle permet à la jeune femme de développer de nouveaux rapports de tendresse et d’affection, et de prendre une distance salutaire avec les tourments familiaux. De fait, l’homosexualité féminine n’est à aucun moment présentée comme une lutte que devrait endosser Eunice, ni comme une revendication. Elle est un état de fait, orientation sexuelle et mode d’être vécus de manière simple et spontanée, sensuelle et assumée.

Par le choix d’une héroïne féminine et queer, l’importance des relations entre femmes ainsi que le traitement de thématiques féminines comme la sororité (parfois mise à mal, de manière consciente, par les jeunes femmes), l’atmosphère familiale incestuelle et le lesbianisme, Lisette Lombé offre au lecteur un roman féministe puissant et empreint de douceur, qui refuse constamment le manichéisme, notamment en offrant de beaux rôles secondaires à certains personnages masculins, touchants et sensibles. 

À aucun moment il n’est fait de référence explicite à la couleur de peau d’Eunice. Certains détails, comme la scène chez la coiffeuse ou le choix de l’évocation de la couleur de peau dans le portrait d’autres personnages (comme la mère d’Eunice, blanche, ou Jennah, métisse), ou l’allusion à un aïeul ayant vécu au Congo, peuvent faire penser qu’Eunice est une afro-descendante. Cependant, là encore, l’autrice évite toute explicitation déplacée ou pesante et préfère s’attarder sur les sensations, les émotions et les valeurs partagées par les personnages. 

De manière semblable à l’architecture du recueil Milk and Honey de Rupi Kaur, le roman trace dans ses différentes parties (Couper, Recoudre, Cicatriser, Vivre) l’itinéraire d’une rémission, d’une guérison du deuil qui passe par la recherche d’explications face à l’incompréhensible, mais surtout par les multiples expériences du corps qui, littéralement à terre dans les premières pages, se relève pour cheminer, puis danser et, le moment venu, « brûler » de désir. 

Gabrielle Bonnet

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