Festival Niofar 2019 : réfléchir sur le genre

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Pour sa 6ème édition parisienne, le Festival Niofar invite à réfléchir sur la question du genre d’un point de vue décolonial. Du 2 au 8 juin, des rencontres rassemblent des écrivain· e· s, des chorégraphes, des artistes plasticien· ne· s, des militant· e· s, des photographes, des performeur· se· s queer et des universitaires. Une programmation au croisement des disciplines qui permet d’élargir l’horizon porté à la question du genre. Compte-rendu de la première journée.

« Homosexuel, ce n’est pas africain »

La Colonie a accueilli, à Paris, dimanche 2 juin, la première journée de la sixième édition du Festival Niofar. En ouverture,  les portraits du film de Juan Gelas Homosexualité en Afrique, ont servi d’émouvant préambule à l’échange « L’Islam et l’homosexualité » avec l’écrivain Mehammed Amadeus Mack, auteur de Sexagon : Muslims, France, and the sexualization of national culture, et l’imam Ludovic-Mohamed Zahed, fondateur de la première mosquée inclusive d’Europe.

Le débat s’ouvre d’abord sur l’idée répandue selon laquelle « au Moyen-Orient et dans les quartiers », l’homosexualité serait une importation culturelle venue d’Occident. Ceci comme si le monde musulman refusait que l’homosexualité lui préexiste. Une autre idée répandue voudrait que des ONG qui défendent les droits des homosexuels chercheraient à « créer des homosexuels de style occidental au Moyen-Orient ». Des idées  reçues que les deux invités de cette rencontre s’empressent de déconstruire, citant tour à tour Le Coran ou des essais comme How to do the history of homosexuality, Desiring Arabs, Les lesbiennes pendant le Moyen-Age ou Dire les homosexualités d’une rive à l’autre. On apprend alors que des voyageurs voyaient dans le Moyen-Orient un lieu où élargir leur horizon sexuel, ou que des hadiths témoignent que le Prophète a accueilli et défendu homosexuels et transgenres… Pour l’imam Ludovic-Mohamed Zahed, l’Islam ne condamne pas l’homosexualité. La « fahicha » ou l’abomination des sodomites viendrait surtout d’une lecture du monde patriarcale, dogmatique et viriliste.

Petit à petit, l’échange glisse vers une autre question qui divise car elle oppose l’identité homosexuelle panarabiste et ses pratiques locales et régionales à l’identité homosexuelle mondialisée par la circulation d’images. « Il faut faire attention à une nostalgie qui voudrait qu’on fasse revivre des cultures sexuelles menacées par la mondialisation à la manière d’une zone protégée – voire homonationaliste », réagit Mehammed Amadeus Mack

Enfin, une question du public mérite d’être rapportée ici : « Est-ce que le coming out, c’est un truc de Blancs ? »  « La pudeur et l’implicite sont aussi des stratégies d’émancipation, non verbales », répond Mehammed Amadeus Mack. Et la discrétion n’est pas forcément de l’invisibilité.

 

Lire aussi la Revue Africultures : « Homosexualités en Afrique » 

Colonialité de genre : carte blanche à Françoise Vergès

Dans les mythes, la sortie du « chaos » indifférencié s’opère grâce à l’organisation de la différenciation. Cette parabole, racontée par la politologue Françoise Vergès, marraine de cette 6ème édition du Festival Niofar, illustre la fabrique du genre par l’Occident. L’organisation de la différenciation, c’est l’imposition de la binarité, d’une différence biologique comme norme où il y a une « bonne masculinité » et une « bonne féminité » – ce qui recouvre la sexualité, la maternité, l’état civil et les fonctions sociales ; autant de « fictions du genre ». Toute manifestation du genre située entre les deux relève alors de la psychiatrisation ou de la criminalisation. Dans les colonies d’Afrique ou d’Asie, pas d’entre-deux possible non plus, y compris dans des sociétés où aucune position genrée ne s’est fixée, dans les arts comme dans l’armée. S’exerce alors la « colonialité de genre », formulée en 2007 par la philosophe féministe argentine Maria Lugones.

« Comment subvertir les genres pour les décoloniser ? », s’interroge Françoise Vergès. « L’organisation du genre sert l’État et son régime de gouvernance […] Décoloniser le genre ne peut que passer par la fin du mot genre, car le genre est toujours normatif. » Il s’agit donc de sortir de toute reproduction politique, et d’abandonner les fictions du genre. Vergès admet tout que la « gender fluidity » est entrée en marchandisation, qu’une loi comme le Mariage pour Tous a créé de l’homonationalisme… et invite à inventer d’autres liens familiaux, à décoloniser l’idée de l’amour, de la solidarité et du désir :

« La fluidité de genre ne suffit pas : il faut résister à la marchandisation et faire de la reproduction sociale mais pas aux bénéfices de l’État, il faut créer une communauté de liens de protection et d’interdépendance hors du système de reproduction de l’État. »

Retrouvez l’intégralité de la programmation du festival NIO FAR : http://www.spla.pro/fiche.evenement.festival-nio-far.49286.html 

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