Histoire de la bande dessinée au Sénégal (1/3)

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Christophe Cassiau-Haurie est l’auteur de plusieurs articles et ouvrages collectifs sur l’état de l’édition en Afrique et plus particulièrement de la bande dessinée. Pour Africultures, il retrace régulièrement l’histoire du « neuvième art » pays par pays.

Durant l’occupation française, les autorités coloniales en Afrique noire et à Madagascar ne se sont pas fait remarquer par leur politique en faveur du livre et de l’édition. De fait, hormis quelques territoires où existait une colonie de peuplement, aucun éditeur n’était réellement actif dans les ex-territoires français d’Afrique sub-saharienne au moment de l’indépendance. De façon générale, à la « belle époque des colonies », le pouvoir colonial a à la fois impulsé et contrôlé la production de savoirs scientifiques et scolaires, de leur élaboration (cadres, méthodes, thématiques, auteurs…) à leur validation (prix, récompenses) et à leur diffusion (publication d’ouvrages, de revues). Les manuels produits sur place étaient l’œuvre de fonctionnaires. De fait, au moment des indépendantes, beaucoup d’Etats africains se sont retrouvés sans aucune maison d’édition ni réseau de diffusion. Seules quelques imprimeries émergeaient pour la production de documents officiels. Quelques chiffres montrent le résultat de cette faiblesse : au début des années 1960, l’Afrique représentait moins de 1,5% de l’ensemble des livres produits dans le monde. Soit entre 5000 et 6000 titres publiés sur le continent sur un ensemble mondial d’environ 380 000 annuels. Les dix premières années d’indépendance n’ont guère changé la donne. Créé en 1961 en Côte d’Ivoire, l’éditeur CEDA était détenu en grande majorité par des éditeurs français, et seul l’éditeur camerounais Clé fut créé à Yaoundé en 1963. Il faudra attendre 1972 et la création des Nouvelles éditions africaines au Sénégal (NEAS) pour voir émerger une maison d’édition digne de ce nom dans le pays.

L’histoire de la bande dessinée sénégalaise proprement dite commence dans les années 1970 dans le quotidien dakarois Le Soleil

A l’époque coloniale

La presse sénégalaise est la plus ancienne d’Afrique de l’Ouest puisque l’on trouve des titres dès le 19ème siècle. Après la guerre mondiale de 1939-1945, en 1948 on peut d’ailleurs noter l’apparition de La condition humaine, créé par Léopold Sedar Senghor. Cependant, le Sénégal, à l’époque coloniale, ne connut qu’un seul titre parodique, susceptible d’accueillir des strips, des planches de BD ou même des caricatures. Il s’agissait du journal Echos du Sénégal, fondé par Maurice Voisin dans les années 1950 qui signait ses caricatures sous le pseudonyme de Le petit Jules. Rien de glorieux cependant, Voisin ne s’en prenait pas à l’administration coloniale mais croquait plutôt du « nègre » forcément lippu et débile dans ses dessins.

Plus tôt, on peut citer aussi le travail de Charles Boirau (1889 – 1949) qui collabora lors de son passage à Dakar (1931 – 1935) à trois organes de presse : Les annales coloniales, Le monde colonial illustré et surtout Paris-Dakar, le plus connu. Il y tenait deux rubriques, « Le mois humoristique » et « Monsieur Touron » où il se mettait en scène. A la différence de Maurice Voisin, ses caricatures et dessins chargés ne visaient pas particulièrement la population indigène[1].Mais tout cela ne forme pas un courant particulièrement favorable en faveur d’un 9ème art ou d’une caricature locale. Au contraire, ce contexte permet de comprendre pourquoi – faute de support – la bande dessinée au Sénégal ne commence réellement que dix années après l’indépendance, comme dans la quasi-majorité des pays du continent.

Les années 1970 : le début d’une histoire de la bd sénégalaise

En effet, l’histoire de la bande dessinée sénégalaise proprement dite commence dans les années 1970 dans le quotidien dakarois Le soleil, héritier de Dakar Matin (1961-1970), lui-même héritier de Paris-Dakar (1933-1961). Critique d’art et littéraire, chroniqueur, écrivain, ancien conseiller du Président Senghor, Amadou Guèye Ngom (1948-2010) y a écrit à cette époque des scénarios de bandes dessinées dessinés par Seyni Diagne Diop[2]. Parmi ces séries (qui ne furent pas éditées en album), la première fut Assane Ndiaye cadre, l’histoire d’un homme qui dilapidait les deniers publics afin de satisfaire la cohorte de courtisans qui le suivait. Puis ce fut La peau de Bouki et Vérités inutiles, adaptations d’histoires tirées des Contes d’Amadou Koumba de Birago Diop. La main d’une linguère vint clôturer ce cycle.

Une autre histoire, L’homme du refus, fit l’objet d’une édition en album en 1975 par les Nouvelles Éditions Africaines (NEA). L’ouvrage revenait sur un épisode célèbre de la colonisation opposant en 1904, à Thiès, le prince Diéry Dior Ndella à un officier français, le Capitaine Chautemps, qu’il tue avant de s’enfuir. Il fut finalement rattrapé et exécuté. Cet incident est resté sous le nom de La geste de Jeeri Joor Ndeela. L’homme du refus est le premier album publié au Sénégal et l’un des tous premiers en Afrique de l’Ouest[3].

En ce sens, A.G. Ngom fut un précurseur. Un journaliste du Soleil l’explique parfaitement lorsqu’il revient sur la démarche de ce dernier à l’occasion d’un échange avec des étudiants lors d’un atelier d’échange organisé en décembre 2009 à l’Ena (Ecole Nationale des Arts) de Dakar : « Un regard instructif sur l’art rupestre. Ce langage iconographique est porteur d’une intention, souligne-t-il. Les animaux qui vivent autour de l’homme sont représentés, dessinés. L’homme utilisait déjà cette représentation pour anticiper sur une action, car ce dessin va lui servir à « dominer » l’animal qu’il va chasser. […] Ce rappel de la présence du dessin et du signe dans la vie de l’homme depuis les âges farouches de la préhistoire permet à Guèye Ngom d’avancer qu’il n’y pas de projets humains achevés sans dessin, sans concept. […] Dans cet objectif, le besoin de communiquer nous mène naturellement vers le dessin en tant que source d’apprentissage. M. Ngom cite à ce sujet la bande dessinée, le fameux 9ème art. Dans un échange étayé d’anecdotes instructives, il défend la BD : « Ce n’est pas un art mineur, mais un art à part entière ». Il affirme avec conviction que dans une société comme la nôtre (au Sénégal), l’homme a besoin de signes. [4]» D’autres dessinateurs ont également publié dans Le soleil, ce fut le cas d’Assane Diagne qui a dessiné une histoire, Le mystère de Keur Yambe, à la même époque sur un scénario de Daour.

Plombé par les dettes, Bigolo cessera de paraître malgré des tirages atteignant 5 000 exemplaires. Il n’y aura plus de revue spécialisée BD dans le pays jusqu’à plusieurs décennies plus tard et la revue Puissant, qui ne durera pas.

Du côté de l’édition d’albums, Maxureja Gey, chauffeur de taxi s’inspire d’une célèbre émission radiophonique diffusée de 1960 à 1980 et dont l’auteur était Ibrahima Mbengue (1932-1982). Maxureja Gey fut adapté en bande dessinée par les NEAS en 1977, avec des dessins d’Alpha Waly Diallo sur un scénario de Mbengue[5]. Composé d’anecdotes, pas toujours très déchiffrables, l’album met en scène Aladji Moor, l’irascible propriétaire d’une vrai « flotte roulante » de taxis et Maxureja Gey, chauffeur nouvellement recruté. Le décor est Dakar, la grande ville, avec sa circulation intense, ses tracasseries quotidiennes, les petites combines, les agents de la circulation qui guettent les conducteurs au tournant, les clients en tous genres… Cette BD décrivait un climat quotidien bien agité et un patron bien agité… Principal dessinateur des Nouvelles Éditions Africaines, Alpha Waly Diallo (aujourd’hui décédé) a également dessiné Lat Dior : en couleurs, d’après l’ouvrage Le chemin de l’honneur de Thierno Ba (1975)[6]. L’album – dessiné sur un mode épique – relate l’itinéraire héroïque de Lat Dior, dernier souverain du royaume Wolof du Cayor au 19ème siècle et, depuis, entré dans la légende. A grands traits sont évoqués les principales étapes de sa vie et l’engagement du guerrier, impuissant, malgré son courage, à repousser l’avance impérialiste française. On peut citer Il était une fois… Le Sénégal et L.S. Senghor qui réserve une place considérable à l’histoire du Sénégal, et/ou d’une grande partie de l’Afrique de l’Ouest, depuis la période préhistorique jusqu’à la constitution de l’Etat sénégalais contemporain : il met en évidence certains faits historiques connus comme les conquêtes de l’Empire du Ghana avec la dynastie Tounkara, l’Empire du Mali avec le grand Soundjata, l’Empire Diolof, le trafic des esclaves et l’arrivée des Français au début du 17è siècle jusqu’à l’indépendance du Sénégal avec Senghor. J.P. Jacquemin traite cette bande dessinée de « mercenaire », de grand profit, car elle semble être faite sur commande afin de servir de « catéchisme idéologique » dans ces pays[7]. Elle est inventée, continue-t-il, d’une façon grossière et avec des variations sur un même thème. Le scénariste aurait travaillé sur le matériel biographique obtenu de services officiels de ses clients duquel il sélectionne « avec un sens indéniable de la pirouette, de l’euphémisme et une mémoire historique plus que sélective, les données qui lui semblent aptes à être magnifiées, en suivant, pour chaque monarque, un canevas typiquement répétitif »[8]

1978 : lancement de Bigolo, premier journal de BD du pays

Il se crée avec comme devise « contre ceux qui prennent la vie trop au sérieux ou trop à la légère », Bigolo accueillait beaucoup de séries à suivre et de gags en une planche de dessinateurs comme Soorësi (Mouhamadou Mansour Sy), Babacar Mbaye Touré[9], Babacar Hamallah Doukouré[10] ainsi que Daouda Diarra (qui y a dessiné L’invalide et des illustrations), futur directeur respectif de l’Ecole Nationale des Beaux-Arts, de l’Ecole Normale Supérieure d’éducation artistique, de l’Ecole Nationale des Arts et directeur des arts au ministère de la culture[11]. Publié en marron et blanc, le journal était également diffusé au Togo et au Bénin. Plusieurs séries y virent le jour : Ndiaga ag Sokhna (Djib au scénario, Mbaye aux dessins), Les tribulations de Saaxewar (Soorësi[12])… Publié par les éditions Jinaab, le directeur de publication en était Djib Diédhiou et le directeur artistique, Charles Diagne. La politique n’était jamais abordée frontalement. Le premier numéro est sorti en décembre 1978, le deuxième était daté de février-mars 1979 et le troisième et dernier d’août-septembre 1979. Plombé par les dettes, Bigolo cessera de paraître malgré des tirages atteignant 5 000 exemplaires. Il n’y aura plus de revue spécialisée BD dans le pays jusqu’à plusieurs décennies plus tard et la revue Puissant, qui ne durera pas.

Les années 1980 : le début des grandes séries en BD

Dans les années 80, Le soleil continue à publier de la BD. Comme beaucoup d’autres titres de presse édités sur le continent, il accueille en son sein des histoires proposées et diffusées par l’éditeur français Segedo (éditeur des revues Kouakou et Calao) comme Le gaspilleur, réalisé par Serge Saint-Michel (Scénariste) et par Cl.-H. Juillard (dessinateur), paru en 1981. L’histoire expliquait aux agriculteurs comment ils doivent vendre leur production, en illustrant l’histoire d’un père de famille, qui en voulant prendre une deuxième épouse se fera arnaquer par les marchands de la ville en leur vendant sa récolte au lieu de la vendre à l’Office National des Centres Vivriers. Puis, il y eut Alerte sur le forage en février-mars 1982, toujours de Cl.-H. Juillard.

Cette même année, Babacar H. Doukouré y continue la série Ansou Foné, tirée de la tradition orale et commencée dans Bigolo, avec deux histoires qui se succèdent: Ansou Foné et le roi-sorcier (commencée le 6 mai et terminée le 5 juin) et La sagesse des anciens (du 8 au 26 septembre). Puis du 10 mai au 7 juin 1983, il fait paraître la troisième et dernière série, Serigne Assane (les jumeaux).

Entre temps, du 17 au 26 janvier 1983, Le soleil avait publié une série avec des extra-terrestres, Le mystère de Bari Diame dessinée et scénarisée par un artiste signant sous le pseudonyme de Jah.

Le soleil restera, tout au long de la décennie, un lieu d’accueil pour les auteurs de BD qui pourront y publier leur travail.

L’année 1983, plus particulièrement le mois d’octobre, voit apparaître l’une des premières grandes séries de la BD sénégalaise : Aziz, le reporter. A travers le récit du journaliste Aziz, Samba Fall (né en 1950), ancien agent du centre des chèques postaux de Dakar devenu dessinateur pour les suppléments estivaux (Le soleil vacances), y racontait des histoires sur des personnages qu’il croisait. La série commençait avec Tialki à Tougal qui racontait les aventures de Tialki, ancien informateur pour la police qui, prenant conscience de la médiocrité de sa vie, prenait la décision de partir à « Tougal » (l’Europe en wolof). Puis, en 1984, il crée le personnage de Boy Melakh. Série BD policière, humoristique et de couleur locale truffée d’expressions en argot, Boy Melakh, racontait les péripéties d’une sorte de jeune Robin des Bois qui volait aux riches pour donner aux pauvres. Toujours relatés par Aziz, le reporter (qui reste le titre de la série), ses exploits permettaient de venger les faibles des injustices qu’ils subissaient de la part de gens importants. En 1989, Samba Fall publie en petit format aux Nouvelles Éditions Africaines (NEA) L’ombre de Boy Melakh et Sangomar, les deux premiers tomes de Les aventures d’Aziz le reporter qui reprenaient une partie des aventures du héros éditées dans le journal[13]. Le premier tome reprenait le personnage de Tialki, qui hérite d’un vieil oncle et s’installe comme marchand de tissu à Dakar. Mais son argent et ses marchandises lui sont volés par Boy Melakh. Tialki reprend donc son travail d’indic pour le commissaire Diawara. En fouillant et se renseignant, il se rend compte de quelque chose de bizarre : jusqu’à ces trois hold-ups d’affilée, personne n’avait jamais entendu parler de Melakh depuis son évasion de prison… Sangomar raconte l’arrestation de Boy Melakh dans un bar de la banlieue de Dakar. Il est condamné à une peine de dix ans de prison et envoyé dans le pénitencier modèle de Sangomar, la prison dont on ne s’évade pas. Mais Melakh n’a pas l’intention de « blanchir ses cheveux dans ce trou »…. Ces deux albums, aujourd’hui épuisés, constituent une excellente série policière avec de l’humour, de l’action, du suspense et truffée d’expressions argotiques. Samba Fall a réalisé dans les années 80 une autre série intitulée Bari Baïré qui relatait les déboires d’un père de famille face aux difficultés de la vie quotidienne, sorte de précurseur de Goorgoorlou, le célèbre personnage que TT Fons créera quelques années plus tard avec beaucoup de succès.

Boy Melakh ne fut pas la seule série publiée aux Nouvelles Éditions Africaines puisque Saliou Sène y a également publié les deux tomes de Moussa le vagabond en 1983 : Keur bougouma et Le marabout de Bari-Xam Xam. De format oblong, ces deux mini-albums ont pour héros le jeune Moussa, enfant rebelle et bagarreur mais courageux qu’un père sévère contraint à s’enfuir. Réfugié chez son oncle, un vieux sage qui le protège, il finit par arriver en ville après avoir opportunément dépanné un « toubab[14] ». Pris malgré lui dans une rafle de voyous, il tombe entre les mains d’un curieux marabout…

Le soleil restera, tout au long de la décennie, un lieu d’accueil pour les auteurs de BD qui pourront y publier leur travail. C’est le cas de Simon-Pierre Kiba qui bien que d’origine burkinabé, a fait l’essentiel de sa carrière au Sénégal. En 1988, il sort en feuilleton Vol SA 415 appelle Dakar qui raconte l’histoire d’un Boeing 707 ayant décollé à l’aéroport de Dakar, et qui doit y retourner pour un atterrissage d’urgence. Il est également l’auteur de la trilogie Les aventures du Lieutenant Hann dessinée à la fin des années 80 et au début des années 90 : Point noir à Keur Pajass, Otages et Panique à bord. Dans Point noir à Keur Pajass (1989), le lieutenant Hann, officier de gendarmerie territoriale, est confronté aux déchets toxiques. Otages (1990) narre les aventures du même lieutenant Hann, devenu officier au Groupement national des sapeurs-pompiers (GNSP), qui croise un malfaiteur évadé de prison. Camion-citerne volé, prises d’otages, braquage, l’action ne manque pas. Dans Panique à bord (1991), le lieutenant Hann se retrouve parmi les passagers d’un Boeing 707 sans pilote, à 12 000 m d’altitude… Seul Otages, dessiné en 1990, fut publié en 1992 à compte d’auteur.  Les histoires de Kiba se font remarquer par leur grande précision. Les décors et les objets sont reproduits à l’identique et les concepts techniques sont expliqués et font même l’objet de notes de bas de page.

En parallèle, Alpha Waly Diallo a continué à produire des albums. Le plus notable est Chaka le fils du ciel, avec Ibrahima Baba Kaké au scénario (1983), fruit d’une coédition avec les éditions camerounaises CLE. Relatant la vie du chef zoulou Chaka, grande figure historique de l’Afrique australe du début du 19ème siècle, l’ouvrage accord une large place aux années de jeunesse. Il montre comment une naissance royale, un rejet vers l’exil comme bâtard, l’isolement et l’hostilité dans les lesquels vécut Chaka développèrent son courage et sa détermination, comme germes de sa revanche. Devenu roi, Chaka (« Le lion ») sera un homme de conquête et d’unité avant de sombrer dans la démesure. L’album sera par la suite traduit en anglais et édité en Tanzanie dans le cadre d’une coédition entre la Foundation Books Ltd de Nairobi et la Library service board de Dar es-salaam, devenant le premier album francophone traduit en anglais sur le continent[15]. A.W. Diallo a également dessiné en 1980 La fin héroïque de Babemba, roi du Sikasso, sur un scénario de Cheikhou Oumar Diong, qui racontait une page tragique de l’histoire du Mali dans les dernières années du siècle dernier : Babemba succède à Tièba, roi de Sikasso l’un des plus puissants souverains du Soudan. Après une alliance avec les français, l’extension continue de leur puissance l’inquiète et c’est la rupture puis la résistance : la ville est prise rue par rue. Plutôt que de se rendre, Babemba se suicide dans la salle du trône. La BD met l’accent avec beaucoup de forces sur la noblesse des sentiments : « Mourir dans l’honneur n’est pas mourir… »

La fin des années 1980 :  la montée en puissance de la caricature et strips humoristiques dans la presse

Plusieurs dessinateurs de presse, mélangeant dessins satiriques et BD, font leur apparition. Sorti de l’École des arts en 1968, Khoun Khounoor (Médoune Mbaye Sarr, décédé en 2012) a d’abord travaillé comme dessinateur à l’IFAN de l’Université de Dakar avant de rejoindre le journal satirique dakarois Le Politicien qui l’envoie en stage au Canard Enchainé, en France. Il y contribuera à faire de la caricature un genre journalistique majeur. En matière de BD, il a dessiné une histoire pour adultes sous le nom de Khoun : Dëm (terme signifiant « esprit malfaisant mangeur d’âmes »).

Diplômé de l’École des beaux-arts de Dakar, Mamadou Diop, dit Joop (1957 – 1997), crée en 1988 le personnage de Weex Dunx (Le bouc émissaire), caricature du Sénégalais débrouillard et, au départ, sosie physique du principal opposant de l’époque Abdoulaye Wade. Après avoir démarré sa carrière au journal Le politicien en 1982, Joop a fait le bonheur des lecteurs du journal satirique Le cafard libéré de 1987 à sa mort avec ses strips et planches savoureuses, en particulier son hilarante rubrique Feuilleton autour d’un fauteuil qui chaque semaine mettait en scène l’opposant Abdoulaye Wade au Président Ndiol (Abdou Diouf). Un ouvrage de 54 pages fut même publié en 1996, Weex Dunx : la victime en vedette, recueil des aventures d’un antihéros par l’atelier du cafard.

Egalement diplômé de l’École nationale des beaux-arts en 1982, Mapenda Sène a dessiné en 1986 une série écologique, Les aventures de Waali et Awa, assisté de Papa Gougna Diattara et Mandir Thiam, album conçu par la direction de l’environnement du ministère de la Protection de la nature du Sénégal[16].

En 1988, l’ENDA tiers monde Dakar adapte en mini-album (16 planches) une des histoires de la revue centrafricaine, Tatara : Les neveux d’abord[17] (Olivier Bakouta-Batakpa, Côme Mbringa aux dessins et Aloi Ngallou), créant un précédent pour la suite puisqu’il s’agissait d’une première réédition entre pays africains en matière de BD. L’album abordait le thème de l’entraide familiale comme l’une des valeurs africaines essentielles. Ces formes de solidarité adaptées à la vie des villes, jouent un rôle extrêmement positif et compensent, pour une part, les conséquences du sous- emploi, de l’absence de sécurité sociale, et du fonctionnement parfois incertain de nombreux services publics. Cependant, la solidarité entre parents et amis peuvent représenter une négation de l’intérêt général et une forme d’injustice pour les autres. Les neveux d’abord, certes ! Mais jusqu’où ?

Suite : Histoire de la bande dessinée sénégalaise (2 / 3 )  / Histoire de la bande dessinée sénégalaise (volet 3) 

 

[1] Pour le lecteur qui serait intéressé par la carrière africaine de ce dessinateur talentueux mais méconnu, cf. le catalogue édité par Images et mémoires de l’exposition Charles Boirau, regards croisés sur un dessinateur de l’outre-mer, présentée du 6 au 10 juin 2016 à l’Académie des sciences d’outre-mer et toujours diffusé.
[2] Amadou Guèye Ngom a raconté ses incursions dans la BD dans un article publié dans le N°5 d’Afrik’arts (avril 2007) : Les qui et quoi de la bande dessinée.
[3] Par la suite, les Nouvelles Éditions Africaines qui étaient partagées entre Dakar et Abidjan ont édité la première série de bande dessinée publiée en Afrique à savoir les trois tomes des Contes et histoires d’Afrique, publiés entre 1977 et 1979, mais les auteurs étaient tous ivoiriens ou burkinabés.
[4] « Nous devons être des producteurs de civilisation », Le soleil, 6 janvier 2010, repris dans le catalogue 40 ans d’art et de soleil, Ed. du Soleil, avril 2010.
[5] Mbengue fut l’auteur et le producteur de plusieurs émissions radiophoniques célèbres dont le fameux Cosaanu Sénégambie.
[6] Lat Dior, le chemin de l’honneur, drame historique en huit tableaux, Dakar, Imp. Diop, 1970, 100p.
[7] L’album fait partie d’une collection publiée par Segedo et Africa Biblio Club (A.B.C.), constituée d’albums d’autoglorification et de messianisation et qui se caractérise par l’exaltation des trajectoires politiques de dirigeants africains. Parmi les titres parus : il était une fois…Eyadema ;…Mobutu ;…Hassan II ; …Kadhafi ; …Ahidjo, …Houphouet Boigny ; …Bongo et Il était une fois …le Sénégal et L.S. Senghor.
[8] . J.P. Jacquemin, « BD africaine : masques, perruques », publiée dans le volume collectif « L’année de la bande dessinée 1986-1987 », paru aux éditions Glénat.
[9] De nos jours, Mbaye Touré (né en 1956) est dessinateur de presse pour le magazine Nouvel horizon, le tabloïd Sud Quotidien et le site internet afreecartoon.com.
[10] Babacar Doukouré (formé à l’École nationale des arts) y a dessiné la série Les larmes amères d’Ansou Foné ainsi que diverses illustrations. Il est décédé au début des années 80.
[11] Daouda Diarra est également plasticien et a participé à plusieurs expositions et biennales, dont la Biennale internationale des Arts plastiques de Dakar en 1994. Daouda Diarra a illustré des ouvrages pour enfants pour les Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal (Diaxaï l’aigle et Niellé le moineau, Picc l’oiseau et Lëpp, Lëpp le papillon). Il est également l’auteur de plusieurs articles de critique artistique.
[12] Soorësi (né en 1950) a également fait quelques illustrations pour des revues africaines (Jonction, Tribune africaine) ou estudiantines (L’étudiant sénégalais). De nos jours, Soorësi est urbaniste et vit à Londres (http://www.sooresi-international.com/).
[13] Les aventures d’Aziz le reporter feront également l’objet d’une adaptation télévisée en 2002, par Moussa Sène.
[14] Européen.
[15] L’album est recensé sur le site Bédéthèque avec le commentaire d’un visiteur plutôt sévère sur le style graphique : https://www.bedetheque.com/BD-Chaka-Tome-1-Le-fils-du-ciel-92327.html
[16] Actuel directeur des créations à la société Phénix communication, Mapenda Sène est ancien champion du Sénégal de jeu de dames (1989).
[17] La couverture avait été dessinée par Odia.

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