Histoire du cinéma ambulant au Mali

Entretien d'Alice Jolin avec Falaba Issa Traoré

Bamako (Mali) en décembre 2001
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Falaba Issa Traoré, exploitant de salles et de cinéma ambulant, cinéaste et directeur d’une troupe de théâtre malien, est une bibliothèque vivante. Dans cet entretien avec Alice Jolin réalisé dans le cadre d’un mémoire universitaire, il témoigne de son vécu d’exploitant de cinéma ambulant et de cinéaste.

Depuis combien d’années vous occupez-vous de cinéma ambulant au Mali ?
J’ai commencé à faire du cinéma ambulant à partir de 1979 jusqu’à maintenant, mais c’est désormais mon fils qui a pris le relais depuis trois ans parce que je me fais vieux. Il a donc repris la relève ce qui ne m’empêche pas de le suivre de très près.
Dans quelles régions exerce-t-il ?
Sur toute l’étendue du territoire. Je lui fais bénéficier de mon expérience. En ce moment, il est à Bamako, parce que le matériel n’est pas au point. Le matériel est en 16 mm ou 35 mm, cela dépend des films que l’on va projeter et des endroits. Le matériel 16 mm est moins encombrant.
Il reprend donc une activité qui existe depuis de nombreuses années au Mali.
Oui, en effet. Le cinéma est apparu dans ce pays vers 1918, à la fin de la Première Guerre mondiale, lorsque des  » images mouvantes  » ont été projetées pour des soldats africains et des tirailleurs sénégalais. Cette première projection a eu lieu sur une place publique où se trouve l’actuel lycée Haskia Mohamed.
Comment a été accueillie cette première projection ?
Après qu’ils ont constaté que le cinéma intéressait les  » indigènes « , comme on appelait les habitants du Soudan français à cette époque, ils ont construit la première salle de cinéma, Le Cinéma Male, du nom de son propriétaire français. Cette salle existe encore et s’appelle maintenant Le Soudan Cinéma.
Le cinéma est donc arrivé au Mali bien avant l’avènement du parlant ?
En fait, le cinéma a toujours été en quelque sorte parlant ici. Des personnes, cachées derrière l’écran, assuraient les commentaires des films muets et les gens ont confondu à cause de cela commentaires et cinéma muet car ils pensaient que c’était l’image elle-même qui parlait.
Le Mali comptait beaucoup de salles de cinéma ?
Plus tard, il y a eu une autre salle, Le Rex, qui est toujours une salle de cinéma aujourd’hui. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que les cinémas ont proliféré, mais uniquement à Bamako. Cela étonne peut-être, mais le cinéma est encore au Mali un privilège de seigneur. Toute la population ne peut pas en bénéficier, on le trouve seulement dans les grandes villes. Avec l’apparition de la télévision, les gens peuvent profiter de l’image mouvante, mais la plupart des villes maliennes sont dépourvues de cinéma.
Ceci est dû uniquement à des raisons économiques ?
En général, le cinéma est tributaire de l’électricité, or il n’y a pas le courant électrique partout. Il a donc fallu faire venir le cinéma dans les campagnes par le biais du cinéma ambulant. Il s’est développé surtout à partir de l’Indépendance du Mali, le 22 septembre 1960, quand nous nous sommes engagés dans la voie socialiste du développement. Dans un pays où l’analphabétisme touche près de 95% de la population et où tout manque, le cinéma est un divertissement de choix, mais surtout un moyen d’éducation. C’est pourquoi l’Union Soudanaise, qui était le parti qui a conduit le Mali à l’Indépendance, a voulu que le cinéma puisse être accessible à la grande majorité des Maliens.
Quels ont été les moyens débloqués ?
Le pays n’avait bien sûr pas les moyens de construire des salles partout. C’est l’Union Soviétique qui a fourni des cinébus en nombre suffisant pour parcourir tout le pays et présenter  » l’image mouvante  » aux populations à partir de 1960. Les cinébus étaient bien équipés. Il y avait du matériel de couchage, de toilette et de projection. Les projections se faisaient quant à elle sur les places publiques puisqu’il n’y avait pas de salle de cinéma. Cependant les programmes fournis devaient conditionner le peuple. C’était des films sur l’Union Soviétique, la collectivisation de l’agriculture, le développement des plantations, la vie dans les kolkhozes. Le cinéma était surtout éducatif, mais très peu distractif pour répondre aux exigences de développement que le Mali s’était fixé à l’époque. Les films distractifs avaient pour sujets les athlètes soviétiques, la gymnastique, la danse, les ballets de Moscou, la vie de Lénine, etc.
Comment réagissaient les gens devant ces images en quelle sorte exotiques ?
Pour des personnes qui ne voient jamais d’images mouvantes, voir des hommes et des femmes se trémousser, des jolis ballets, cela leur plaisait. Les Soviétiques quant à eux en profitaient pour semer les graines du développement socialiste qu’ils voulaient voir germer ailleurs. Le cinéma ambulant a duré plus d’une décennie, mais petit à petit le matériel s’est dégradé et il a été difficile de le remplacer. En même temps, cela correspond à la sortie du Mali de l’orbite du socialisme à la fin des années 1960. Il y a eu le coup d’état en 1968 où les militaires ont renversé le système socialiste ici et pris le pouvoir. Les cinébus, qui étaient déjà à bout de souffle, ont peu à peu disparu. Il n’en reste aujourd’hui que des lambeaux.
Quelle évolution a connu par la suite le cinéma ambulant ?
On a eu besoin d’insuffler aux masses paysannes une éducation socialiste à laquelle on croyait et on s’est servi des cinébus pour le faire. Maintenant, le cinéma est ambulant parce que les salles de cinéma sont très rares. Il y a beaucoup de chefs lieux de préfecture au Mali, appelés cercles depuis l’époque coloniale qui n’ont pas de salle de cinéma. Un groupe de villages forme une commune et c’est cet ensemble de communes qui compose un cercle administré par un commandant ou un préfet si vous préférez. Plusieurs cercles d’un même tenant forment une région et le Mali en compte huit. Bref, beaucoup de ces chefs-lieux ne peuvent pas profiter du cinéma puisqu’ils n’ont pas l’électricité.
Mais toutes ces populations étaient en demande d’images animées ?
Je me souviens qu’un jour j’étais chez moi, lorsque des militaires sont venus me chercher. Dans le quartier, les gens inquiets disaient : « Ca y est, les militaires se sont emparés d’Issa, ils vont le torturer.  » Mais, ils m’ont juste dit :  » Tu prépares ta valise, ton matériel, demain on t’emmène à Gao, pour que tu présentes ton film, Emben Odo, parce que la population de Gao dit que les films maliens sont projetés à l’étranger, mais pas chez elle.  » Cette anecdote illustre la difficulté de faire circuler le cinéma ici. Au Mali, toucher les masses avec le cinéma reste un gros problème, parce que les distances sont très grandes et les groupements humains pas très denses. De plus le prix des entrées dans les salles est dérisoire et l’argent récolté couvre à peine le prix de l’essence que l’on met dans le véhicule pour y parvenir. Alors, autant ne pas y aller ! On en est à ce point-là.
L’Etat aide-t-il la diffusion cinématographique ?
Nous, les cinéastes, avons demandé à l’Etat de consentir à un effort financier. En 1968, l’Etat a presque nationalisé les salles, tandis qu’après le coup d’Etat, on a libéralisé la fonction d’exploitant de cinéma. Depuis cette époque n’importe qui peut ouvrir un cinéma, or vouloir créer une salle et pouvoir le faire sont deux choses différentes. Le coût du matériel nécessaire est au-dessus des moyens du commun des mortels ici. Les projections ne sont également pas rentables. La nuit dernière, ma salle de cinéma qui est dans un quartier populaire a rapporté 3.250 FCFA (5 euros). Et il n’y a qu’une séance par jour avec un ou deux films car les salles étant à ciel ouvert, on ne peut projeter qu’une fois la nuit tombée.
Quel est le prix d’une entrée ?
Suivant les salles, le prix oscille entre 150 à 300 FCFA. Seule La salle de l’amitié pratique des prix exorbitants, 800 FCFA. Ce n’est pas une salle accessible à la plupart des Maliens, mais plutôt faite pour les expatriés. Les salles sont en petit nombre, leur rendement est très médiocre et il n’est pas question d’en construire de nouvelles. Tout cela grève un peu le développement du cinéma chez nous. Le cinéma ambulant a été fait pour pallier l’absence de salles de cinéma dans les zones rurales. Mais le cinéma ambulant doit lui aussi être rentable, sans quoi il ne peut pas se renouveler et les films soviétiques ont vite lassé les gens. La vie de Lénine ou de Marx, c’est bon pour les intellectuels, pas pour les paysans, mais le renouvellement n’était pas possible puisque les projections étant gratuites cela ne générait aucune rentrée d’argent. On ne savait même pas si ce public avalait les leçons qu’on leur dispensait à travers les images! C’était très aléatoire! Ils voyaient les gens se mouvoir, danser, mais qu’est-ce que ça leur apportait comme éducation ? Pas grand-chose à mon avis.
Cette volonté d’éduquer par le cinéma a donc été un échec ?
Oui, parce que les films présentés n’étaient ni adéquats ni construits selon les normes du vrai cinéma. Sans rentrée de fonds pour pouvoir améliorer les programmes, la chose est rapidement tombée en désuétude et il n’y avait pas non plus de moyens pour réparer le matériel. C’était l’ère du cinéma ambulant étatique géré par des fonctionnaires de l’Etat, sans aucune visée mercantile, mais fait pour l’éducation et la distraction des masses. Avec la mort de ce cinéma ambulant étatique est né le cinéma ambulant privé. Le public ayant pris goût au cinéma, des entrepreneurs de spectacle s’en sont emparés, et j’étais un de ceux-là.
Comment l’idée de faire du cinéma ambulant a-t-elle germé ?
Je dirigeais la troupe théâtrale Yenkadi (Ici, il fait bon) avec une vingtaine de comédiens. Entre deux représentations artistiques, ou durant la préparation de deux programmes, j’avais du temps libre pour sillonner le pays et faire du cinéma ambulant. Je réinvestissais les recettes dans la production de spectacles de théâtre. Je venais dans les villages avec ma 404 bâchée présenter de vrais films qui collaient au goût du public : des films hindous, de karaté (particulièrement appréciés) ou de gangsters.
Et pas de films français ?
J’aurais bien voulu me procurer des films français de style péplum, mais même en France, j’ai du mal à en trouver pour pouvoir les présenter ici. Ces films représentent une partie de ma jeunesse puisqu’ils étaient très populaires à l’époque. Je suis persuadé que si je les repassais maintenant, les salles afficheraient complet. Les gens de ma génération ont peut-être pour beaucoup les moyens d’aller au cinéma, car la possibilité d’accéder aux salles de cinéma reste un problème. Les entrepreneurs de spectacle comme moi, après le cinéma ambulant de type étatique, se sont engagés, non seulement dans la gestion de troupes artistiques, mais aussi dans celles de salles mobiles de cinéma. Et nos moyens financiers sont limités.
L’investissement en matériel est important ?
Pour l’écran, on se sert d’un pagne blanc de trois ou quatre mètres de long sur deux mètres de large qui se roule facilement. Il y a un groupe électrogène de type soviétique : simple, sobre et performant. Parce que quoi qu’on dise, les soviétiques ont beaucoup contribué à l’avancée du cinéma en République du Mali. Les projecteurs sont aussi de type soviétique. Je pars ainsi avec deux ou trois films et je peux voyager comme cela durant toute la saison sèche, tant qu’il est possible de circuler pendant huit mois. Chaque soir, je projette dans un village et je peux y rester deux ou trois jours suivant la demande. Certains n’ont jamais l’occasion de voir du cinéma et réclament de bisser les séances. Je poursuis ma route allant de village en village. Une commission me précède toujours dans le prochain, pour expliquer qu’il faut préparer un endroit où l’on peut recevoir les gens contre le paiement d’un ticket. Si la projection se tient sur la place publique, ce n’est a priori pas possible. Mais j’ai trouvé une solution en demandant au village de se mettre d’accord sur l’opportunité d’accueillir le cinéma. En général, les habitants se mettent d’accord, les responsables des jeunes et des femmes les réunissent et ils rassemblent de l’argent. Si c’est un gros village, ça peut aller jusqu’à 15 000 ou 20 000 FCFA, mais ça, c’est quand même rare. Ils me remettent l’argent en me disant :  » Il n’y a pas de salles ici, on ne peut pas vendre de billets. Et si on vend des billets, il y a certains qui ne pourront pas en acheter. Alors, nous préférons te donner ça et tu n’as qu’à présenter le film pour toute la population.  »
Après la projection, il y a parfois des discussions au sujet du film ?
Cela arrive parfois quand je ne suis pas trop fatigué. Il y en a qui posent des questions sur les  » Blancs « . D’où viennent-ils ? C’est les mêmes que ceux qui étaient ici avant ? Parce qu’il y en a beaucoup qui ne font pas la différence entre un Canadien et un Français. Ce n’est pas de leur faute ! Ceux qu’ils arrivent à identifier facilement, c’est les Asiatiques parce qu’ils constatent qu’ils  » ne sont pas comme les autres, ils sont de courte taille…  » D’autres intrigués me demandent :  » Mais celui-là, il a pris un bon coup, il est tombé, là, il est mort. Mais est-ce que c’est vrai qu’il est mort ? Parce que si on doit tuer comme ça, tout le temps, il n’y aura plus grand monde pour tourner dans les films. » Il y a des remarques comme ça qui peuvent sembler un peu bêtes mais ces gens-là en définitive ne connaissent pas ces choses-là. Parfois la discussion peut être plus sérieuse et porter sur la moralité de l’action dramatique, ou certains peuvent s’amuser à porter des jugements sur les personnages principaux du film. C’est parfois très intéressant, très enrichissant même ! Mais les discussions sont plutôt rares, parce que ce ne sont pas des films éducatifs, c’est simplement une distraction. Du Cinéma, quoi!
Comment sélectionnez-vous les villages où vous organisez des projections ?
Les villageois profitent de mon passage pour passer commande. Pour les contenter je leur dis que je reviendrai, mais en réalité, le Mali compte plus de 10 000 villages et on ne peut pas aller dans un même village deux fois dans la même année ! Ce n’est pas possible. En ce qui concerne la commande, elle peut être soit collective, c’est tout le village qui demande la projection, soit le promoteur vient avec son matériel et projette sous un abri improvisé, dans un vestibule ou une école et fait payer les entrées. Souvent des gens sans argent veulent resquiller et cela pose des problèmes de conscience, parce que je suis là en tant que visiteur. Je suis reçu, nourri et logé chez le chef du village, le président de la jeunesse ou chez un homme influent. On peut difficilement leur refuser l’accès à la salle, alors on est obligé de faire avec et d’accepter quelques personnes âgées parmi les notables en expliquant qu’on ne peut pas faire entrer gratuitement tout le monde, parce que le film a été loué et qu’il faut payer la location au distributeur, les patentes, les impôts, etc. Il y a aussi d’autres solutions, le troc par exemple. On permet aux gens d’assister à la projection s’ils donnent l’équivalent de 150 FCFA de mil. Il faut savoir exploiter et s’adapter à toutes les conditions du lieu. Ce sont les difficultés du cinéma ambulant, mais ce sont aussi une partie de son intérêt. Cela permet de connaître la vitalité du cinéma, l’attrait qu’il exerce sur le public, et d’évaluer tout le chemin qu’il reste à parcourir. Et, au niveau du cinéma, on n’a encore rien fait!
Quels sont les autres problèmes que vous rencontrez lors des projections ?
Les problèmes de programmation ou de films sont fréquents. Il y a aussi des problèmes avec les films eux-mêmes. Dans certaines parties du pays très islamisées, voir fanatisées, si le propriétaire du cinéma ambulant n’est pas averti et qu’il programme dans un village un film osé, il va se faire lyncher, ou tout du moins avoir beaucoup de problèmes. Les scènes avec des acteurs s’embrassant ou se caressant sont prohibées. Ils vous accusent de venir pervertir et d’amener la civilisation malsaine des villes.
Quelle est votre définition du film osé ? Par exemple, est-ce que vous classez le film Titanic dans cette catégorie en raison de quelques scènes de baisers ou d’attouchement ?
Ça, ce n’est pas grave. Les gens ne tolèrent pas de voir des acteurs dénudés à l’écran. C’est un contraste avec la ville, car à Bamako les films érotiques, et même pornographiques, font fureur. L’Etat a tout fait pour museler les salles où ils sont projetés, mais impossible ! J’ai été pendant près de 40 ans éducateur et enseignant dans le secondaire, alors, il me déplaît de projeter ces films. Je n’en programme pas dans les deux salles de cinéma que je possède et j’arrive difficilement à rentrer dans mes frais. Cela montre la démission de l’Etat qui dit de ne pas en projeter, mais ne sanctionne pas ceux qui en projettent et gagnent avec beaucoup d’argent. Que faut-il que je fasse?
Est-ce vous qui avez acheté le matériel nécessaire aux tournées de cinéma ?
Oui, j’ai acheté tout mon matériel. Tout est à ma charge, aussi bien la construction et l’équipement de la salle, le salaire du personnel, les impôts, les taxes et l’entretien du matériel.
Avez-vous vous-même produit vos films ?
J’ai produit et réalisé moi-même quatre films. Première lueur d’espoir, en 1979, a beaucoup été projeté en France. C’est un moyen-métrage de 45 minutes sur les handicapés physiques. En 1980, j’ai réalisé Anbé no don (Nous sommes tous coupables) à la demande de l’Union nationale des femmes du Mali. Il traite du délicat problème des filles-mères et des enfants adultérins. A cette époque, lorsqu’une fille était enceinte, elle était renvoyée de l’école contrairement au garçon qui l’avait engrossée. J’ai dénoncé cette injustice dans mon film, et depuis lors, une fille enceinte n’est plus renvoyée de l’école. Toujours à la demande de l’Union Nationale des Femmes du Mali, j’ai réalisé Duel dans les falaises. Mon film Contes et récits du terroir, que j’ai tourné en 1985, est tiré du dernier texte d’un de mes recueils datant de 1970. L’histoire raconte une coutume en pratique chez les Dogons qui consiste à ravir une épouse à son mari sans que cela porte à conséquence. Mais il y a eu un cas, en 1964, je crois, où cela s’est très mal terminé. C’est un fait réel que j’ai relaté dans mon recueil, mais comme les Dogons ne savent pas lire, l’Union Nationale des Femmes du Mali m’a demandé de mettre cette histoire en images.
Tous vos films sont-ils des commandes ?
Oui, j’ai réalisé Bamunan (Le Pagne Sacré) pour la Fondation Raoul Follereau. Le but était de montrer que la lèpre peut se guérir et j’ai utilisé le symbole du pagne, avec lequel les Africaines portent leurs enfants dans le dos, car pour moi ce pagne est sacré. Il maintient en contact l’enfant et sa mère depuis le berceau jusqu’à ce que l’enfant puisse se libérer de l’étreinte et puisse marcher où il le désire. Et, dernièrement, à la demande d’une O.N.G., j’ai tourné dans mon propre village, Sidaso (La maison du sida) qui est régulièrement diffusé à la télévision malienne. Quand je pars faire du cinéma ambulant, en général, je pars avec eux, mais parfois, j’y ajoute un film karaté, parce que la jeunesse aime les films de violence et un film hindou, parce qu’il a des traits de culture communs entre notre civilisation et la civilisation hindoue. Lors d’une tournée, trois films suffisent puisque je ne passe que quelques jours dans chaque village.
Programmez-vous également d’autres films africains ?
J’en projetterais avec plaisir, mais je ne le fais pas parce que l’on fixerait un taux usurier pour la location. Cela me coûterait trop cher et ils ne me les prêteraient pas. La commercialisation des films ici est difficile car il n’y en a pas dans les grands circuits commerciaux. La qualité de nos films fait que nous ne pouvons pas y accéder, le cinéma malien a des difficultés pour concurrencer le cinéma européen. Ce n’est pas les mêmes moyens ! J’ai fait ma formation de cinéaste en Allemagne Démocratique. On visionnait le soir les rushs des pellicules qu’on exposait le matin. Ici, il faut attendre trois mois, parfois d’avantage, pour voir si les images sont réussies ou pas. Et dans l’intervalle, l’équipe de réalisation s’est déjà disloquée ! Alors, tu es obligé de te contenter de ce que tu as, tu ne peux pas réunir encore l’équipe pour faire des corrections. Ces raisons font que le cinéma malien patauge comme ça. Quand les films sont produits dans de telles conditions, c’est difficile de les donner gratuitement.
Le cinéma ambulant n’est donc pas une activité rentable ?
Quand je faisais les circuits, avant que mon fils ne prenne la relève pour cause de maladie, je passais par Fana, Duila, puis par Macidi, Senso (où il y a les mines d’or), et par Koumancou. Il y a une grande route qui relie Bamako à Ségou et une autre qui relie Bamako à Sikasso, et je circulais entre ces deux grandes artères qui constituaient un itinéraire porteur. L’autre circuit porteur est au pays Sarakolé, à l’Ouest du Mali, parce que les villages sont très peuplés et que les gens ont de l’argent car beaucoup de jeunes ont immigré en France. Ils peuvent ainsi se payer plusieurs entrées au cinéma. Un exploitant de cinéma trace aussi des trajets pour des raisons strictement économiques. Il faut tenir compte du prix de l’essence et de l’usure du matériel. Et, si tu fais un circuit qui n’est pas porteur, tu risques de te créer des histoires parce que tu ne paieras pas les impôts.
Il y a des impôts à payer ?
Pour le cinéma ambulant, cela dépend. Si j’assure moi-même les tournées, personne n’ose me demander de payer. Parce que je suis un vieux routier de la culture, ici au Mali. Je suis dans le théâtre depuis 1955 et en 1956 j’étais déjà demi-finaliste de la coupe d’Afrique Occidentale Française de théâtre. En 1958, j’ai représenté le Soudan Français, au premier Festival de la Jeunesse d’Afrique Noire, avec une pièce de théâtre désormais célèbre. Bref, si c’est moi, on ne me demande rien, mais mon fils est obligé de payer certains droits. Mais en général, cela peut se négocier.
Qui demande le versement de tels droits?
Le ministère de la Culture a des représentants parmi les chefs-lieux de cercle à qui on doit s’acquitter d’une taxe. Cependant, on arrive toujours à un arrangement car la population a besoin de divertissement, et que les représentants seraient mal vus s’ils privaient leurs administrés de ce plaisir.
La taxe se révèle-t-elle élevée par rapport aux gains d’une tournée ?
Non, ce n’est pas insoluble. Il y a toujours moyen de discuter en s’appuyant sur des documents comptables ils constatent que les recettes sont faibles. Quelques fois, on est tout de même obligé de laisser un petit pourboire et on continue.

retravaillé par Corinne Garnier en vue d’une publication///Article N° : 4236

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