Rappeur depuis plus de vingt ans sur la scène française, Kery James reste une des références du rap dit « conscient ». Entré dans le rap sous le blaze de Daddy Kerry, remarqué par MC Solaar, il sort ses premiers albums avec le groupe Ideal J. Membre de la Mafia K’1 Fry, qui réunit plusieurs rappeurs comme Rohff ou RimK, il sort en solo sept albums, dont le dernier Dernier MC (2013). Avec des titres phares comme « Banlieusards » ou « Lettre à la république », il ausculte l’histoire de France, l’histoire des banlieues et leurs réalités, en alternant avec des textes plus introspectifs et personnels. Rencontre quelques jours avant son concert à Bercy (Paris), le jeudi 21 novembre 2013.
Vous commencez votre carrière artistique très jeune, avec Ideal J et des titres phares comme « Ghetto français » ou « Le Combat continue ». De quoi se nourrit ce discours de revendication qui fait de vous un rappeur dit du « rap conscient » par opposition au « rap commercial » ?
Une partie de ma musique porte un discours de revendication. Mais je pense que ce qui caractérise davantage ma musique est un discours de responsabilisation des gens que je prétends représenter. J’ai compris depuis longtemps qu’on ne nous donnera pas les choses, il faut les arracher soi-même, il faut se faire respecter. Et pour se faire respecter il faut d’abord se respecter soi-même. J’ai aussi compris depuis quelques années, que cette lutte est économique avant d’être raciale. Quand tu atteins un certain niveau économique, il n’y a pas de racisme. Tout le monde s’entend bien entre riches et très riches ! Pour moi ce qui compte c’est le résultat. Nous, ce qu’on recherche en réalité c’est être respecté. Je sais malheureusement que dans cette société on se fait respecter avec l’argent. C’est vrai en France, c’est vrai aux États-Unis. C’est vrai aussi que les gens gardent en eux des préjugés. C’est vrai pour les Blancs par rapport aux Noirs et c’est vrai pour les Noirs par rapport aux Blancs. Mais dans tous les cas, je pense qu’on obtient le respect, dans cette société, avec l’argent.
Pensez-vous qu’il en est de même à l’égard des médias ? Le journaliste spécialiste de hip-hop Olivier Cachin constate notamment que ce style, catalogué de musique de « Noirs et d’Arabes », reste relativement peu traité par les médias malgré son impact commercial.
Aujourd’hui les médias s’en prennent à qui ils peuvent s’en prendre. Par exemple, aujourd’hui on ne voit que les Roms. On peut dire tout et n’importe quoi à leur sujet. Et ça ne choque personne parce que les Roms « c’est quelques mecs dans des camps, dans des caravanes ». Ils n’ont aucun poids politique ni économique. Ils ne sont pas capables de se défendre médiatiquement. Actuellement, on peut en dire plus sur les Roms que sur les Arabes et les Noirs. Malgré le fait qu’on soit complètement désorganisé et presque inexistant politiquement
Je pense que cela est une question de poids économique et électoral. Il n’y a pas de fatalité.
Et qu’en est-il du milieu du rap ?
Le rap malheureusement s’est adapté à la réalité de l’époque. C’est pour ça que Dernier MC sera mon dernier disque de rap sans aucun doute. Personnellement, j’ai fait la musique qui était le plus possible en accord avec ce que je pense et ce je crois. Je n’ai pas dit « totalement en accord » parce que c’est faux. À partir du moment où on fait de la musique, et qu’on veut être écouté par le plus grand nombre, on est parfois dans l’auto censure. Certains rappeurs se forcent à être agressifs et violents dans leurs propos parce qu’ils pensent que ça plaît à leur public. D’autres refusent à tout prix une violence qui pourrait parfois être quand même justifiée. J’essaie d’être le plus honnête possible. Mais aujourd’hui je ne m’y retrouve plus. C’est devenu un écho du système capitaliste. Il n’y a plus de fond, il n’y a plus de motivation pour essayer de changer les choses.
Un de vos titres prône pourtant « le retour du rap français ». Pensez-vous que le rap conscient n’existe plus ?
Certains vont dire que le rap conscient, militant était une illusion. Moi je sais qu’à l’époque, les disques de IAM m’ont poussé à des réflexions vers lesquelles je n’étais pas poussé à l’école. Il a des sujets que j’ai découvert dans des disques de rap. Par exemple, l’un des premiers morceaux qui m’a sensibilisé sur le thème de l’esclavage quand j’étais ados c’est Tam tam de l’Afrique.
IAM – Tam-tam de l’Afrique par Nayper
Socialement le rap est apparu à une époque où, il me semble, une partie de la France ignorait ce que vivaient les gens en banlieue. Le rap avait cette fonction de faire du journalisme ; de dire voilà ce que vivent ces gens en banlieue. L’un des premiers textes « Le monde de demain », de NTM, avait vraiment une raison d’être à ce moment-là. Après, c’est devenu le fait inverse : tout le monde a grossi ce qui se passait en banlieue. On est passé de la description, à la glorification. Aujourd’hui on a besoin de responsabilisation. Tout le monde a compris qu’il y a des gens en banlieue qui n’ont pas les mêmes chances que les autres. Bon et après on fait quoi ?
Vous dites que tout le monde est conscient des réalités de banlieues, pourtant votre titre « Banlieusards » a été fortement critiqué par des élus UMP pendant les Francophonies de Nice [ici]. Comment l’avez-vous vécu ?
Kery James – Banlieusards Version Longue Clip
par rap2bomb
Je l’ai très mal vécu. J’ai trouvé ça très inquiétant. Finalement, il fallait s’y attendre de la part des gens qui ont provoqué cette polémique. Mais ce qui est très grave c’est qu’il y a des gens qui veulent absolument qu’il y ait toujours ce segment entre deux France. Est-ce qu’ils sont vraiment sincères dans ce qu’ils prétendent ? Je ne crois pas, ce sont des petits filous. Ils ont voulu envoyer un message aux électeurs de Nice : « Faites attention, nous on ne tolère pas qu’un Noir monte sur la scène et utilise le mot révolution peu importe le sens dans lequel il l’a utilisé. On ne tolère pas. On est toujours aussi raciste ». C’est désolant en vérité. De même, une partie de l’islamophobie est électoraliste. Mais il ne faut pas confondre le peuple et ceux qui le dirigent ; les médias et le peuple ce n’est pas la même chose. Malheureusement beaucoup de gens sont influencés par le discours dominant.
Si vous deviez choisir trois de vos titres qui vous représentent le plus, quels seraient-ils ?
« 28 décembre 77 » dans l’album Si c’est à refaire, « Hardcore » dans l’album Le combat continue et « Constat amer » dans l’album Dernier Mc, mais ce n’est pas moi qui l’ai écrit.
Et trois titres de rap non écrits par vous ?
« Génération sacrifiée » de Rohff, « Post scriptum » que j’ai interprété mais pas écrit, et « L’Aimant » d’Akhenaton.
Quels sont vos projets ?
Le prochain projet sera un livre autobiographique. Et après ? Une chose est sûre ce ne sera pas du rap. Si je dois continuer à faire de la musique j’aimerais que cela ressemble à ma dernière prestation aux Bouffes du nord ; du slam-poésie. Lors de ces concerts acoustiques aux Bouffes du Nord, je me suis vraiment senti en accord avec moi-même, avec ma maturité. Les gens sont assis, écoutent, et le texte est mis en avant. Dans le rap les gens sont fermés dans des codes et ne veulent pas en sortir. Je me demande si le rap n’est pas en train de s’essouffler. Mais moi je ne veux pas faire du lisse, jamais. Je vais faire du Kery James. Je vais juste changer la forme. Le rap est une étape dans ma vie et là j’ai envie de passer à autres choses. Et puis je vais essayer de consacrer un peu plus de temps à mon association de soutien scolaire. Faire des albums juste pour en faire ce n’est pas la peine.
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