Les Éditions Bruno Doucey viennent de publier – à titre posthume – Rhapsodie pour Hispaniola, la dernière uvre du poète Jean Métellus, décédé le 4 janvier 2014. Mais un poète ne meurt jamais, son esprit s’envole et ses écrits restent. Pour exhumer des mots de l’auteur, voici une interview. D’outre-tombe…
Cher Jean Métellus, et si nous parlions ?
De la littérature…
La littérature a été ma folie quotidienne. Toute ma vie, j’ai lu, et écrit. À peine rentré de l’hôpital où j’exerçais -comme neurolinguiste-, je plongeais dans mes manuscrits, romans, essais, recueils de poèmes, j’allais me perdre ou me retrouver, dans mon imaginaire et mes songes.
D’Haïti…
Terre meurtrie et terre d’immortalité
Terre de désolation et terre promise
Terre pure et de rétribution
Terre de rédemption
Sacrée et sacrifiée
Mystique et scarifiée
Garante du serment de Bois Caïman
Mais aussi terre de lumière et de prédiction
Elle plaça Toussaint à la tête d’esclaves traités comme des bêtes
Terre de la naissance du premier état nègre du monde
Oui, c’est une terre étonnante, cette terre d’Haïti
Où jaillissent des cris qui ébranlent les préjugés
Elle suscite tant de mystère
C’est le pays des morts-vivants
Pays où s’enracinent les légendes
Où naissent de très grandes aventures
C’est le pays de Toussaint Louverture
L’homme de tous les commencements
L’homme phare du verbe prémonitoire
De l’exil ?
J’appartiens à la vaste diaspora haïtienne contrainte à l’exil par la dictature des Duvalier, mais j’ai su, j’ai pu maintenir un lien étroit avec mon pays. Par l’écriture et sa mystique magie.
Je suis né à Jacmel, et malgré mon départ, Jacmel ne m’a jamais quitté.
Jacmel, ma cité musicale aux lèvres tropicales
Ma ville couleur de miel au goût caramel
Ville héroïque et magique. (…)
Tantôt Jacmel, tantôt Jacquemêle
Fraternelle et éternelle.
Le seul bienfait que je dois à l’exil, c’est de m’avoir fait rencontrer ma femme. Je lui dédie avec constance tout ce que j’écris. Tous mes livres commencent par « à Anne-Marie Métellus ». C’est ma première lectrice. J’ai besoin de son approbation. Elle entre très vite dans mon délire, dans mes fantasmes.
J’ai besoin de sa complicité pour écrire. Je suis noir et vis un catholicisme baroque, teinté de vaudou. Elle est blancheet protestante. J’ai l’impression de l’avoir toujours connue.
Je n’en sais pas plus.
Jean Métellus, comment avez-vous vécu, ou essayé de vivre ?
Sous la dictée du vrai. Comme une voix nègre, rebelle, fraternelle.
Au service du langage et de l’Homme. De plein vent.
Mon cher Jean, oserai-je vous demander de m’offrir quelques vers, pour la route ?
Au pipirite chantant pèse la menace d’un retour des larmes
Au pipirite chantant les heures sont suspendues aux lèvres
des plantations
Et le paysan haïtien enjambe chaque matin la langue de
l’aurore pour tuer le venin de ses nuits et rompre les épines
Et si revient hier que ferons-nous ?
des cauchemars
Et dans le souffle du jour tous les loas sont nommés.
Au pipirite chantant le paysan haïtien, debout, aspire la
clarté, le parfum des racines, la flèche des palmiers, la
frondaison de l’aube
Au pipirite chantant chaque goutte de rosée, chaque
branche frémissante, le vent caressant les tonnelles sont
Au pipirite chantant la tristesse peint le cur
messagers des esprits
L’espoir lui-même est sulfureux
La campagne avive les mystères
Elle traque déjà ses morts
Son ventre est gros de portées de soucis
Les morts grandissent sous les vivants
Et la plaine d’Haïti a reçu son brin d’eau
L’eau de la source amenée par les canaux
L’eau du ciel comme un toit de rosée
L’eau des yeux d’un enfant sans pain
Le sang d’une mère happée par le délire
Couleur, saveur, odeur ont voltigé sous la machette du
paysan
(…..)
Au pipirite chantant avec l’eau vive de mes rêves j’efface les
graves promulgations issues des rives du profit
Et mon propos, lié à ma source, bâillonne l’écume de
toutes les eaux étrangères, de tous les cris de convenance
et chausse l’irrévérence pour fouler le brouhaha de tous les
mots d’ailleurs.
R.I.P (Rest In Poetry) Jean Métellus
///Article N° : 12803