Je suis suffoqué par le beau roman de Lyonel Trouillot La Belle Amour humaine. Je dis Je parce que ce roman m’a pris par la main comme si j’en étais le seul lecteur. À l’évidence c’est le roman de la maturité lorsque le talent fait corps avec l’auteur et cisèle des éclats de voyance qui loin de nous aveugler console toutes les nuits.
J’ai presque envie de dire que c’est la plus belle réponse donnée au séisme car c’est un éloge à la vie.
Qui ne se souvient de la formule de Jacques Stephen Alexis ? Notre Alexis vers lequel, de temps à autre, nous nous penchons pour récolter le beau soleil des âmes. Certains auteurs s’en souviennent et font trembler les mots avec l’élan d’une philosophie imparable : celle de « la belle amour humaine ».
L’histoire démarre comme un conte et de boucles en boucles, de récits de vie, en récits de vie, converge vers la question centrale : Quel usage faut-il faire de sa présence au monde ?
Certains l’ignorent tel le colonel Pierre André Pierre pour qui la vie se résume à la brutalité. Cette violence pachydermique qui écrase l’autre en dehors de toute considération convaincu « que le pouvoir de l’uniforme et des armes en imposait parfois aux dieux ». D’autres l’esquivent comme l’homme d’affaires Robert Montes onctueusement cynique et cyniquement onctueux. Deux existences totalement différentes en apparence mais qui cultivent l’amitié du Mal. Et puis, il y a les habitants d’Anse-à-Fôleur ! La sentimentale marchande d’illusions, l’accueillant Justin législateur du bonheur, l’oncle aveugle et peintre, Solène et tant d’autres ! Ils sont l’antidote, malgré la maladie de la mer, d’un monde qui racle sa pauvreté même pour trouver un rien de bonheur ! Ce rien de bonheur qui adhère à la vie comme une limace sur un mur.
La question du Bien et du Mal étant posée, Lyonel Trouillot nous emmène dans plusieurs mondes où l’art, l’amour, la mémoire, l’innocence même, s’emmêlent, se détachent, suivant le débit du « raconteur », souffleur intime de la parole de Thomas qui engendre les lieux, les personnages, les sentiments, les émotions, tout en conduisant Anaïse vers sa destination et sa révélation.
Par notations discrètes, par touches successives, par clapotis de la parole, se dessine devant nous, un paysage humain aux polarités multiples, aux diversités extrêmes (Nord-Sud), mais à la trame sensible et mystérieuse. La belle amour humaine est là devant nous, entre voyage dans l’espace, voyage intérieur, errance existentielle, comme si les hommes ou les peuples n’étaient que des carrefours de mots, des sonates de nuits, des tangos de mer, des souffles d’amour qui sèment des rêves que nul ne peut conjurer.
C’est Anse-à-Fôleur ! C’est Haïti et ça ne l’est pas ! C’est la vie ! C’est un rideau levé sur le sens de la ronde humaine. La vie n’est jamais qu’un ouvrage collectif ! Eh oui ! Quel usage faire de ma présence ? La réponse est dans la question même !
La Belle Amour humaine n’est pas seulement un roman haïtien c’est une fable universelle ! À cela se mesure l’écrivain. En cela assume-t-il magnifiquement l’héritage de Jacques Stephen Alexis. Chaque phrase est une sentence. Chaque sentence est une philosophie. Chaque philosophie renvoie à l’obsédante question du bonheur. Pour ma part, parmi tant d’autres, je prends celle-là : toute personne devrait pouvoir être l’aide-bonheur d’une autre personne.
Lyonel Trouillot ou l’aide-bonheur de la littérature et des humains que nous sommes.
Lyonel Trouillot, La Belle Amour humaine, Paris, Actes Sud, 2011Faugas/Lamentin
Le 1er Octobre 2011///Article N° : 10423