Haïti, une traversée littéraire propose un voyage à travers la littérature pour découvrir Haïti autrement. Cette anthologie de textes sélectionnés par Louis-Philippe Dalembert et Lyonel Trouillot, est complétée d’un CD Audio d’archives sonores.
L’intégralité des recettes de la vente de ce livre sera reversée en faveur de la reconstruction de la Bibliothèque Nationale d’Haïti, en partenariat avec l’ONG « Bibliothèque Sans Frontières ».
« Soudain, un petit homme moustachu, coiffé d’un chapeau de paille et portant une culotte de plage bariolée, se tourne vers l’oncle Gabriel.
– Quel beau pays, dit-il, amis comme vous êtes pauvres ! Malgré tout, vous donnez une impression d’enjouement et même de joie. Peut-on savoir votre secret ?
Instantanément, le sourire disparaît des lèvres de l’oncle Gabriel […] et je l’entends grincer :
– S’il vous plaît, Monsieur le touriste, ne touchez pas à notre joie […] nous côtoyons la mort quotidiennement et pourtant nous vivons dans un état inexplicable de joie : peut-être parce que nous gardons une secrète espérance au fond de notre cur. L’espérance est une herbe folle. Elle est indéracinable, tenace, violente. Ne touchez pas à notre joie et ne vous posez pas de questions sur ses causes, elles sont insaisissables
Monsieur le touriste, il y a un instant, j’étais jovial, accueillant, hospitalier mais voilà que maintenant la mélancolie et bientôt la colère vont monter en moi
» (1)
Haïti n’est pas seulement un pays de douleurs et de catastrophes. Non qu’il faille oublier l’histoire chaotique d’un état et d’un peuple, ni les misères engendrées par les aléas de la nature, les imprévoyances et la rapacité des hommes.
Le Haïti littéraire que nous découvrons dans cette « traversée littéraire » échappe en effet à l’image traditionnelle de cette moitié orientale d’une île – Hispanolia- partagée en deux états, la République Dominicaine et la République d’Haïti, celle-ci particulièrement soumises aux soubresauts de la nature.
À la fois livre d’une histoire littéraire riche et complexe et anthologie de textes contemporains, l’ouvrage présente aussi une bibliographie que complète une nécessaire chronologie des événements, tant historiques que littéraires.
Il fait aussi un sort à l’image que nous apportent les médias.
Aux mots « pauvreté » et « laisser-faire » qui viennent à l’esprit après chaque catastrophe, tant nous pensons que l’image suffit à résumer un pays, cette « traversée littéraire » oppose « richesse » et « initiatives ».
Richesse : d’une littérature foisonnante, diverse, mobile qui s’inscrit dans l’histoire complexe d’un pays devenu très tôt indépendant (1804) – une indépendance très chère payée, et longtemps, l’emprunt (2) sera remboursé aux banques jusqu’aux années 1970 ! – surmontant les handicaps, dont son isolement, et les cataclysmes.
Initiatives : On ne compte plus les cercles, les écoles, les groupes, les mouvements, les périodiques non plus que les éditeurs – longtemps des éditions à compte d’auteurs en raison des structures insuffisantes sur l’île – qu’animent des écrivains parfois très engagés politiquement – d’où les exils et les voix haïtiennes qui se font entendre du Québec, des USA et d’Europe -, écrits du dedans et du dehors, de la diaspora, « à condition que l’on comprenne que ladite diaspora participe de la réalité même d’Haïti » (3) – confondues dans la même sincérité et la même justesse.
Me vient aussi à l’esprit le mot « identité », trop souvent dévoyé par des discours et des actions indignes, mais qui trouve, ici, son sens noble : identité née d’une histoire singulière d’un peuple libéré par lui-même – expression très gaullienne et qui prend ici tout son sens – à la fois de l’impérialisme et de l’esclavage, et soudé par les mêmes réponses quotidiennes aux mêmes épreuves.
La lecture de l’ouvrage permet de repenser l’information – customisée par les médias – en fonction d’un critère trop souvent oublié, celui de la Culture.
Française et créole à la fois, elle est le ciment – et il en faut pour construire et reconstruire ! – qui lie tout un peuple. Et, s’il s’agit aujourd’hui d’aider à la reconstruction, pas seulement matérielle, il est nécessaire de comprendre et d’accompagner le peuple d’Haïti dans sa Culture, et dans ce domaine précis, la Littérature : riche, dynamique, diverse, créole et française à la fois, nourrie de son histoire et de la nôtre, présente – très présente – dans notre paysage littéraire contemporain, drainant et irriguant à la fois, nourrissant notre langue et notre réflexion. La littérature est un édifice, invisible mais non virtuel, qui soutient tout un peuple – son « poto-mitant » (4), nous dirions en Lorraine, son « arbre-debout » (5) – qui fait front et chaque fois se relève, fier de ses origines et espérant de son destin.
1. Emille Ollivier, Mère-Solitude.
2. La France a obligé Haïti en 1825 à rembourser 150 millions de Francs pour dédommagement, le dernier paiement daterait de 1972
3. Jean-Claude Charles, Ferdinand, je suis à Paris.
4. « poto-mitant » : la poutre verticale qui soutient la case en son milieu
5. « arbre-debout » : en Lorraine, poutre verticale de chêne (un tronc façonné à l’herminette) qui soutient la charpente depuis le sol.
6. Yves Chemla, Haïti, une traversée littéraire.///Article N° : 9861