La diaspora afro-argentine

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Alors que certains historiens dénient son existence, la population noire constitue en Argentine un groupe numériquement important, mais ne se reconnaissant pas en tant que tel.

C’est José Manuel Estrada qui le premier annonça en 1860 qu’il n’y avait presque plus de Noirs à Buenos Aires. (1) Il fut suivi en 1883 par Sarmiento qui prédit la disparition totale de la race noire les vingt années qui suivraient. Il alla plus loin en disant qu’en 1900, si un Argentin voulait voir un Noir, il devrait se rendre au Brésil. (2) Le deuxième recensement de la population argentine en 1887 indique : « On peut dire qu’actuellement il n’existe de noirs en quantité appréciable que dans la province de Buenos Aires et spécifiquement dans la Capitale Fédérale, où ils occupent préférentiellement les postes de service domestique, principalement dans les familles riches. (…) Le demi siècle qui inclus l’époque de l’indépendance et de la constitution organique du pays a vu un grand nombre de vaillants noirs faire partie de l’armée, et qui sont presque tous morts dans les champs de batailles, dans les camps militaires… »(3)
José Ingenieros le redit dans un chapitre de son œuvre  »Sociología Argentina », intitulé  »La formación de una raza argentina »:  »Les noirs se sont anéantis ; les mulâtres de la zone tempérée sont de plus en plus blancs. A Buenos Aires un noir argentin constitue un objet de curiosité ». (4)
Cette insistance tient davantage du désir que de la réalité. L’on parlait de disparition alors même que la communauté afro-argentine existait encore. Cependant, il faut reconnaître qu’aucune étude anthropologique, sociologique ou historique n’est arrivée à présenter les afroargentins dans leur ensemble.
Au début du vingtième siècle, il y eut plusieurs essais de réorganisation de la communauté afro-argentine, avec des associations comme La Juvencia, Los Aparecidos, nom très significatif et El Martin Fierro qui n’eurent aucun succès. (5) Jusqu’en 1970, le Shimmy Club était le rendez-vous obligatoire pour célébrer le nouvel an et les carnavals de la communauté afro-argentine à Buenos Aires.
Pour toute l’Argentine, Nicolas Besio Moreno a calculé un demi million d’âmes de sang noir visible. Ce chiffre se base sur des sondages et des observations dans divers points du pays. (6) En plein vingtième siècle, la population d’origine africaine s’estimait selon plusieurs calculs respectivement à 15.000 (5.000 noirs et 10.000 mulâtres) ; 17.000 ; 3.000 ; 4.500 ; 10.000 noirs et 30.000 mulâtres. (7) Donc, rien de bien précis.
Pourtant, les descendants des esclaves existent toujours. Appelés  »criollos », ils vivent dispersés dans le pays. Selon Cristina de Liboreiro, en 1980, il y avait de petites communautés dans la Capitale Fédérale (Munro, Palermo, Liniers ou Morón) et dans la province de Buenos Aires (Chascomús, La Plata) ; à Santa Fe et d’autres localités du Nord-ouest à l’intérieur du pays. (8) Ces communautés vivaient dans le même contexte socioéconomique et culturel que leurs ancêtres : pauvreté, marginalisation, indifférence et discrimination.
Actuellement, deux associations d’Afro-argentins défendent au niveau national la racine africaine. La première s’appelle Africa Vive, siège à Buenos Aires et fut fondée par María Magdalena Lamadrid. A travers son association, elle lutte contre la situation précaire de ses frères de race en Argentine.
La deuxième se dénomme Centro Indo-Afro-Americano, siège à Santa Fe et fut fondée par Lucía Molina qui a organisé et participé à de nombreux congrès et rencontres internationaux sur les Afro-américains. Le centre a plusieurs publications mais le siège se trouve au sous-sol d’un laboratoire de biologie et partage l’espace avec les animaux empaillés…
Si Lucía a eu la  »chance »d’obtenir un local, Carmen Platero n’a pas connu le même sort. Depuis 24 ans, elle sollicite sans succès un local pour créer un centre culturel africain, la Casa del Negro à Buenos Aires qui serait le centre de coordination de toutes les associations noires du pays.
L’absence d’une communauté homogène rend les choses difficiles, la majorité des Afro-argentins ne se reconnaissant pas comme descendants des Noirs.

1. Estrada, José Manuel: El tambor, Almanaque Agrícola, Industrial y Comercial de Buenos Aires, Buenos Aires, 1863, p 15 et suivantes.
2. Sarmiento, Domingo Faustino: Conflictos y armonía de las razas en América, Buenos Aires, 1900, Tomo 1, pp. 72-73.
3. Ibíd. p. XLVIII.
4. Ingenieros, José: Sociología Argentina, editorial Elmer, Buenos Aires, 1957, p460.
5. Andrews, George Reid: Los afroargentinos de Buenos Aires, ediciones de la Flor, Buenos Aires, 1990, p71.
6. Nicolás Besio Moreno cité par Binayán Carmona, Narciso: Pasado y permanencia de la negritud, Todo es Historia, Nº 162, Buenos Aires, 1980, p70.
7. dem. Ces chiffres son offerts respectivement par Rosenblat en 1941, le journal La Nación en 1963, la revue Panorama en 1967, Atlántida en 1968 et le journal La Razón en 1970.
8. Liboreiro, Cristina de: ¿No hay negros argentinos?, Editorial Dunken, Buenos Aires, 1999, p52.
Jean Arsène Yao est docteur en Histoire d’Amérique (Universidad de Alcalá / Université Abidjan-Cocody, Rep. Côte d’Ivoire). [email protected]///Article N° : 2284

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