Laboratoire de langue pour dissection poétique et autopsie sonore
Ne pas aborder le théâtre de Sony par la scène, mais par la langue, par la dimension sonore, la matière sonore qu’il convoque, et les mots qu’il fait s’entrechoquer et qu’il bouscule pour mieux réveiller le français, voilà le véritable défi du parti pris radical choisi par Jean-Paul Delore.
Pas de jeu scénique, pas d’incarnation, pas de personnages, mais des voix, des échos, dans un vaste dédale de tables qui encombrent le plateau et quelques micros dressés comme des fleurs, quelques objets aussi manipulés par un créateur acoustique, Dominique Lentin, en fond de scène. Les acteurs qui prêtent leur voix à cet oratorio ont le visage peint. Peintures de guerre ? Masques ? Les acteurs semblent transfigurés en forces magiques, en formes spectrales et la présence scénique se joue ailleurs que dans les corps, elle a soudain une prégnance qui touche le spectateur autrement que par les artifices de la scène. Rituels secrets, médiatico-scientifique, voyage dans la matière vocale et linguistique : tout se passe comme si le matériau sonore et poétique de Sony prenait place dans un laboratoire de langue, un laboratoire de création acoustique qui apprend aux spectateurs à entendre autrement et invente une esthétique linguistique.
Mettre en scène Sony Labou Tansi ? Je ne sais pas faire avoue Jean-Paul Delore, c’est pourquoi il lui fallait trouver une autre entrée dans le texte, d’autres circulations que celles d’une mise en espace scénique. Et on ne peut que se réjouir de cet aveu d’impuissance, car Jean-Paul Delore a trouvé un autre pouvoir scénique que celui du plateau. La force incantatoire des mots de Sony, l’épaisseur décapante et ludique des calembours et des effets rabelaisiens qu’il affectionne résonnent avec simplicité, offrant une truculence sans affectation. Le travail de Jean-Paul Delore est parvenu à éliminer le vert de gris, pour faire ressortir tout l’éclat de la pièce, sa modernité se jouant au plan linguistique bien plus qu’au plan dramaturgique. Une belle entreprise, digne d’un metteur en scène qui n’a pas froid au yeux, mais qui sait mettre en incandescence les oreilles des spectateurs !
La Parenthèse de sang, de Sony Labou Tansi, Mise en scène de Jean-Paul Delore Compagnie LZD-Lézard dramatique
Avec : Germain Basset, François Curtillet, Léa Drouet, Elodie Grumelart, Abdelslam Laroussi-Rouibate, Douce Mirabaud, Florian Santos, Aurélie Sorrel-Cros.///Article N° : 4652