La première séquence est belle en intensité.
Un carton vient de nous orienter : L’Algérie en 1960, durant l’occupation française. Et l’inconcevable va se produire.
L’action se situe dans un petit village du sud algérien. Très peu d’habitants, une région désertique et une tension que l’on sent envahissante. Puis, c’est le noir. De l’ombre éparpillé dans l’image, des silhouettes qui se déplacent, des bruits de pas et des voix très peu familières. Cet instant, Faucon le filme comme si sa propre vie en dépendait, en privilégiant le désordre et l’effroi. Ce plan est beau car les lumières que produisent les torches électriques des soldats français transpercent l’image, créant une beauté sauvage et nocturne. En ces quelques secondes, le cinéaste installe une thématique qu’il tentera d’approfondir tout au long du film : le doute, débouchant sur la question de savoir qui trahit quoi ?
Auteur d’un film remarquable sur la condition d’une jeune beurette dans la société française, tiraillée entre sa culture musulmane et son éducation occidentale, Philippe Faucon, avec Samia (2000), s’était imposé comme un cinéaste à suivre. Sa filmographie qui compte une dizaine de films (5 longs-métrages et 4 téléfilms), est placée sous le signe de la parole. Comme chez Rohmer, Faucon l’utilise pour mieux cerner les errances, les rapports amoureux et la solitude de ses personnages. Mais au-delà, ce sont surtout la sobriété visuelle et le mouvement des acteurs qui construisent la signification. La caméra se place très souvent à hauteur des personnages, la lumière est souvent blafarde et les dialogues, travaillés à la virgule près, soutiennent l’action. Il n’y a jamais de phrases futiles ou de mouvements de caméra gratuits dans un film de Faucon. Le résultat donne souvent des films courts (90 minutes pas plus, pas moins) où le récit est divisé en blocs séquentiels, véritables atouts qui renforcent les propos de l’auteur tout en donnant une sorte de légèreté au film.
Dans La Trahison, c’est lorsque cette construction narrative doit ménager la place à des dialogues académiques que le film perd en intensité. Sans doute Faucon devait-il préserver de tels instants pour que le spectateur comprenne le bon déroulement de l’intrigue (rappel historique, cause et effets de l’éventuelle trahison). Mais c’est dans les ellipses que le film gagne en profondeur, qui permettent au cinéaste d’explorer le doute qui saisit tous les esprits en présence.
Les véritables intentions de ces quatre » Français de souche nord-africaine » qui font leur service militaire en combattant leurs frères sont assez floues. On ne sait trop ce qu’ils ont à défendre mais on devine aisément qu’ils sont perpétuellement en proie au doute, lequel débouchera sur une prise de conscience déterminant l’issue de leurs vies. Les personnages principaux (Taieb, surtout) font partie de la première génération d’immigrés qui ont uvré pour la construction ou le développement de la France (politique et économique). Leurs réactions sont minimes. Ils parlent peu, ne sourient guère et suivent les ordres de leur lieutenant (troublant Vincent Martinez).
C’est bien sûr dans cette tension que se joue la force du film. En finesse et par petites touches, Faucon livre un réquisitoire implacable contre cette guerre où, message profondément actuel de la révolte des banlieues aux rapports avec les anciennes colonies celui qui trahit n’est pas forcément celui qu’on croit. Il se garde de juger ses personnages, allant jusqu’à créer une ambiance glaciale au sein du commando français, symbole d’une absence totale de communication. La subtilité est dans la façon qu’a Faucon de filmer le quotidien de ces hommes, comme dans les séances de photo ou la rupture d’une journée de Ramadan. Tout comme dans la séquence de la torture, il crée un cinéma tout en retenue et incroyablement juste, convergeant vers le dénouement final, image juste d’une période qui ne l’a jamais été.
avec Vincent Martinez, Ahmed Berrhama, Cyril Troley
France/Belgique Durée : 1h20///Article N° : 4271