En plein cur de Londres, l’Africa Centre a quarante ans. Perspectives et bilan.
A Londres, qui pense Afrique se dirige vers l’Africa Centre. Véritable centre culturel, il groupe galerie d’exposition, salle de spectacles polyvalente et centre de documentation. Mais aujourd’hui, la galerie est vide et poussiéreuse
Pourtant, l’Africa Centre a connu son heure de gloire. Fondé en 1961 sous forme d’uvre caritative, il s’était fixé la mission de « promouvoir des initiatives culturelles, économiques, et socio-politiques contribuant au développement de l’Afrique ». Plus simplement, il permettait aux membres de la diaspora de se retrouver, le temps d’une expo, d’une soirée musicale ou d’un bon repas.
Dès ses débuts, l’ouverture culturelle était réelle : arts plastiques, musique, projections de films, conférences et même gastronomie. De même, Le Centre ne s’est jamais cantonné à la partie anglophone du continent. Des Lusophones ainsi que des Francophones comme Francis Bebey et Mongo Beti y ont fait escale. Il a aussi occasionnellement donné la parole aux Caraïbes et un certain Linton Kwesi Johnson y a toasté quelques poèmes.
Au cur des années 60, les animateurs du Centre se sont très vite donné les moyens d’aborder la diversité de la communauté noire en s’intéressant notamment au langage, moyen de communication par excellence d’une culture qui intègre dans son histoire une grande tradition orale. Des cours de langue y étaient dispensés : le français bien sûr mais, pour trouver une alternative à l’utilisation d’une langue d’emprunt qui, comme le pensait André Gide, « risque de tout fausser »*, le swahili, l’arabe, ainsi que des langues régionales.
C’est ainsi que dès 1969 des lectures de poésies eurent lieu en anglais, français et langues africaines. La première de ces lectures, dirigée par le poète sud-africain Dennis Brutus, se demandait : jusqu’à quel point la poésie africaine en anglais est-elle africaine ?
Composé d’un balcon rectangulaire faisant office de galerie d’art, donnant, en son centre, une vue plongeante sur la salle de spectacles, l’Africa Centre est en soi un très bel espace. Installé dans une ancienne salle de ventes aux enchères datant de 1776, on y vit transiter au XIXe siècle des objets provenant de peuplades sud-africaines, ainsi que des bronzes arrachés au Royaume du Bénin. Signe du destin, ce bâtiment avait ainsi été d’abord dédié à l’Afrique pillée et exposée malgré elle.
L’Africa Centre est né à l’époque de la Black Consciousness (conscience noire). Il fut donc porté à l’origine par un dynamisme et un enthousiasme avivés par les indépendances des années 60. Il ne s’est pas seulement engagé à être la maison des expatriés et des exilés mais a pleinement fait appel à des acteurs issus de la diaspora. Artistes, écrivains, économistes et politiciens en ont forgé le programme culturel. Fonctionnant comme une association, il a compté pendant longtemps des pays africains parmi ses donateurs.
Une collaboration étroite avec des spécialistes et partenaires africains lui a permis de s’inscrire dans la réalité du continent. Ainsi a-t-il été en maintes occasions la plate-forme de causes comme la lutte contre l’apartheid ou, récemment, le sida.
Cette participation active de la diaspora est bien ce qui différencie notre communauté d’une rive à l’autre de la Manche. Ici, on ne parle pas d’assimilation mais de cohabitation culturelle. C’est la communauté qui exprime elle-même sa propre identité.
L’Africa Centre n’est pas un lieu élitiste. Jusqu’à présent il a été véritablement ouvert à tous. Certains événements y étaient programmés et financés en interne, d’autres par des associations ou entreprises louant les différents espaces. Chaque projet était soumis à un comité de sélection mais, ces dix dernières années, on a pu constater que les contraintes financières ont eu pour conséquence de tirer vers le bas la qualité de certaines expositions. Après avoir organisé quelques rendez-vous notables comme la présentation de Sekiapu (1987), exposition de Sokari Douglas Camp venue en résidence à Londres pendant six mois, et la sculpture du Zimbabwe à la Barbican Art Gallery (1988), l’Africa Centre semble être à bout de souffle. Et, c’est en connaissance de cause qu’il a décidé de suspendre les activités de la galerie pour repenser totalement la gestion de son espace d’exposition.
Agrandi et rénové, il espère accueillir en automne prochain des expositions qui s’inscriront dans l’Histoire de l’Art Contemporain Africain. C’est l’ambition de Peter Jenkins, coordinateur artistique du centre qui a pris ses fonctions en 1999. Son projet : travailler davantage en collaboration avec des artistes africains situés sur le continent, organiser plus de résidences et, si le centre en a la possibilité, commander des uvres aux artistes. La résidence des Sud-africains Sipho Hlati et Thembinkosi Goniwe en automne 2000, au cours de laquelle Goniwe a créé une uvre retraçant l’histoire de l’Africa Centre, est un signe de cette nouvelle orientation.
Jenkins souhaite aussi renouer ce lien initial que le centre avait avec la diaspora. Car, s’il a été pendant longtemps la maison des Africains, il a aussi été victime de son succès en fournissant un modèle aux community centres qui ont fleuri dans les différents quartiers de Londres et sont parfois bien plus représentatifs de la communauté. Situé en zone touristique, à Covent Garden, l’Africa Centre est devenu une vitrine qui, pour l’instant, n’a plus grand chose à présenter. Restent toutefois les soirées musicales, les ateliers artistiques et ses actions éducatives auprès des écoles. Sur place on peut aussi visiter la boutique d’artisanat, sillonner les rayons de la librairie et déguster quelques plats régionaux dans son restaurant. Enfin, depuis 1999, le centre dispose d’un site internet : www.africacentre.org.uk.
Alors que l’on se pose encore beaucoup de questions sur la représentation de la culture noire en France, l’exemple de l’Africa Centre fournit quelques réponses. Comme tout organisme, il s’est régulièrement remis en question afin de redéfinir ses objectifs culturels, en particulier depuis la fin de l’apartheid. En tant que structure indépendante, il connaît depuis des années les mêmes tribulations et tourments financiers que le continent qu’il entend représenter. Néanmoins, il a le mérite de s’être toujours accroché à sa mission première.
À l’heure ou certains réfléchissaient encore à la valeur artistique de l’art dit « primitif », l’Africa Centre donnait la parole à une Afrique contemporaine. Il a sans conteste influencé l’histoire et l’intégration de la diaspora dans la société britannique et il ne fait aucun doute qu’il manque à l’hexagone un centre culturel tel que l’Africa Centre.
* André Gide, Avant-propos in Présence Africaine, n°1 nov-déc 1947, pp 5-6.///Article N° : 2306