Le 18 septembre 2012, Aminata Dramane Traoré a longuement parlé de son ouvrage L’Afrique mutilée avec notre collaborateur Raphaël Thierry. Son coauteur, Nathalie M’Dela-Mounier, revient sur [cet entretien] pour réitérer ses inquiétudes quant à l’avenir de l’Afrique.
Depuis cet entretien, plusieurs jours ont passé, des événements aussi. Lors de la réunion en marge de l’assemblée générale de l’ONU, François Hollande a demandé une réunion urgente du conseil de sécurité pour une intervention militaire africaine que la France soutiendrait politiquement. Les rumeurs de guerre se font insistantes et malgré la rhétorique politique, c’est à pas de moins en moins comptés que la France avance dans cette voie. J’écoute atterrée par ce qui se dessine autant que par ce qui se dit, par les explications données à mes compatriotes comme aux Maliens de l’extérieur pour valider ces choix : l’Afrique comme « nouvelle frontière » à conquérir ; le « Sahelistan », immense bourbier de sable et de cailloux à sauver ; les « graines de chaos » à ramasser avant qu’elles ne germent, fleurissent et forment un bouquet d’horreurs ; une opinion française qui serait « prête au sacrifice de ses otages » ; la prochaine « déferlante de réfugiés » non seulement sur les pays frères mais surtout sur l’Europe, cette belle enfermée grelottant derrière ses frontières visibles et invisibles.
Mais tous ne sont pas dupes. Beaucoup n’ignorent rien de ce que la France doit à l’Afrique, les intérêts stratégiques et économiques. On ne dira jamais assez comme la France a besoin d’Afrique
et de ce Mali dont certains feignent de découvrir l’instabilité septentrionale et la fragilité de l’apparence démocratique à la faveur de cette crise.
Dans L’étau, Aminata D. Traoré avait déjà tout écrit sans pour autant être suffisamment entendue. Chaque livre, manifeste, appel est une clé pour une meilleure compréhension des véritables enjeux, pas un passe-partout. C’est dans ce jeu de clés que se trouve L’Afrique mutilée, porte-voix de femmes qui ne se taisent pas. Là-bas, dans ce quartier populaire de Bamako, avant que le bruit des armes et des trépignements ne précèdent le grand abandon, écoutons leur cri. Elles ne se sont pas tues parce que L’Afrique mutilée est parue et leur livre choral à paraître (1) ! Elles continuent de se faire entendre malgré les difficultés qui s’accroissent, la vie quotidienne plus complexe, l’afflux de réfugiés du nord que l’on se doit d’accueillir même si l’on a moins, même si l’on n’a rien. Dans le livre, nous disons que leurs enfants meurent comme des chiens ; elles aussi. L’une d’entre elles vient juste de mourir d’un mal guérissable comme il y en a tant. Elle faisait partie de ces femmes à la conscience aiguisée qui en ont mobilisé bien d’autres toutes ces dernières années et savait, elle aussi, qu’en cas de guerre, le prix à payer serait encore plus lourd pour les femmes. Ce soir, je pense aussi à sa voix qui manquera à l’appel ; une de plus. Intolérables sont les images des victimes de la charia, battues et mutilées au nom d’un dieu qui a détourné les yeux ; intolérable est la souffrance inaudible de ces femmes que le silence enveloppe d’un suaire médiatique. Nos peuples, ici et Là-bas, forts d’une expérience commune qui les lie indéfectiblement, seront-ils capables d’innover en matière de solidarité et d’éviter le pire ?
1. Mille et Une femmes debout pour un autre Mali, Bamako, Taama éditions, parution en décembre 2012.///Article N° : 10999