Le court métrage : petits moyens, grandes ambitions

Table-ronde au festival d'Apt avec Youssef Chebbi, Amine Chiboub, Hassen Ferhani, Walid Mattar, Omar Mouldouira et Haminiaina Ratovoarivony.

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Le court métrage procure des moments de bonheur, d’émotions fortes, de rires et de sourires, de découvertes d’écritures originales, séduisantes et innovantes… Est-ce seulement le passage obligé, mais temporaire, pour un jeune cinéaste avant de réaliser un long ou bien cela peut-il être aussi un choix esthétique durable, auquel on revient par plaisir et pas seulement par contrainte ? La liberté de choix des sujets, de l’écriture est-elle aussi grande qu’il peut le sembler ? Et l’économie de sa production, pour être modeste, n’est-elle pas malgré tout souvent difficile et contraignante ? Quelles en sont les perspectives de diffusion ?
Une table-ronde a rassemblé les réalisateurs présents au dernier festival des films d’Afrique en pays d’Apt le 11 novembre 2013, animée par Olivier Barlet.

Olivier Barlet : Le court métrage, on aime ! Il est léger, il a de l’idée, il est condensé, novateur, un laboratoire de cinéma au même titre qu’une revue est un laboratoire de la pensée. Des premiers pas ? Certains grands cinéastes continuent ! Mais les courts sont mal diffusés, souvent confidentiels, visibles dans les seuls festivals (350 en France !) et de rares émissions tardives à la télévision. Par contre, ils alimentent les bonus des dvds, et on les trouve de plus en plus sur internet où ils sont très prisés.
Un peu d’Histoire. En France, on avait souvent un double programme avec deux longs et donc pas de place pour un court. La loi de 1940, confirmée par celle de 1948, a rendu le court obligatoire en début de séance. Les recettes de la salle (3 %) allaient au court métrage, mais la loi ne précisant pas les contenus, la promotion a pris le dessus, si bien qu’une nouvelle loi en 1953 a supprimé l’obligation du court en même temps qu’elle imposait une prime à la qualité. Le double programme est donc revenu mais la profession (le groupe des 30) a réagi en organisant un festival de courts métrages à Tours de 1955 à 1971, puis à Grenoble, Lille pour enfin se fixer en 1982 à Clermont-Ferrand. L’Agence du court métrage date de 1983 et a un catalogue de diffusion de 10 000 titres, 1 300 nouveaux par an, une revue critique, etc.
Le court métrage est une double démarche : un geste de création et un geste d’existence, au sens d’une nouvelle culture, dans une filiation vécue comme une tension. Un court métrage est inférieur à 30 minutes, un moyen étant entre 30 et 60. Mais comme le moyen est incasable, on le met avec les courts, si bien que les courts ont tendance à s’allonger ! Les formats de télévision (13′, 26′, 52′) s’imposent en raison du temps nécessaire aux publicités et promotions dans les grilles de programme. Il n’est pas question de faire du court métrage un genre, mais le temps reste quand même un facteur essentiel : l’enjeu est d’élargir ce temps vers le temps de la relation humaine et de la complexité, le temps du monde. Filmer le temps, c’est donner cours à la poésie comme dernier rempart contre l’aliénation. Luc Moullet disait que l’esthétique du long est celle de la pièce montée tandis que celle du court est celle du diamant.
Le risque est de produire un acte brillant, hyper-codé, « du petit malin qui se fait une carte de visite » pour citer Alain Bergala, qui cherche en somme à séduire. Au contraire, l’enjeu est de filmer un personnage dans son épaisseur, dans son passé, dans sa part de mystère pour qu’il existe au-delà du « proprement scénaristique ». Il faut pour cela sortir de l’énonciation pour amener le sentiment du temps, à l’écoute du rythme des êtres et des choses, avec des personnages libres, sans être prisonniers d’un scénario.
Ma première question serait donc de vous demander dans quelle volonté esthétique vous situez vos courts métrages et comment vous gérez la question du temps…

Amine Chiboub : C’est proprement intuitif. J’ai une idée et je la couche sur le papier, sans envisager le temps.
O.B. : On trouve effectivement dans Pourquoi moi ? un thème que tu aurais pu trouver en famille ou dans la rue.
A.C. : Oui, il y a de ça. Obsession est venu de la réflexion d’un ami qui m’a dit que je devrais faire un film sur un gars qui a envie d’appuyer sur un bouton. J’écris rarement un traitement : je ne sais où je vais, cela prend forme à l’écriture.
O.B. : Cela puise ainsi dans le contemporain, dans l’air du temps, même si on n’en fait pas un discours… On sent derrière des tensions, une société.
A.C. : Je n’avais aucune intention au départ et je m’aperçois ensuite que cela parle de moi et de la société. Cela se fait tout seul.
O.B. : Pourquoi avoir fait Résistance en 2013, un film engagé, à l’opposé du style que tu as jusqu’ici adopté ? (film visible sur youtube au demeurant)
A.C. : L’un des seuls acquis depuis la révolution, c’est la liberté d’expression. Sous Ben Ali, c’était « ferme-la » et maintenant c’est « cause toujours » : on peut parler mais ça n’aboutit à rien. Nous avons en face de nous des monstres : menteurs et manipulateurs prêts à tout pour arriver à leur fin. A regarder sur Facebook ce qui se passe dans le pays, je me sentais mal et me suis mis à écrire, tout en me souvenant d’un ancien scénario que j’ai adapté. J’ai appelé des amis pour leur proposer une participation bénévole. Quand je leur disais que je préparais un court métrage frontal contre Ennahda, ils étaient tout de suite d’accord sans hésiter. Le film a bien circulé sur internet. J’ai reçu menaces et insultes mais j’ai été frappé par un flot de réactions positives auxquelles je ne m’attendais pas.
O.B. : Omar Moudouira, avec Margelle vous avez à la fois une histoire bien cadrée et un passé mythique qui élargit singulièrement sa durée.
Omar Mouldouira : Oui, tout à fait, mais cela n’empêche que je me sens prisonnier de la durée du court. La première démarche de cinéma est de faire des plans, de la mise en scène, de toucher le spectateur davantage par la forme que par le contenu. J’essaye d’écrire une histoire sans le souci de sa durée, pour avoir la liberté de cette histoire, sans trou, pour que les personnages soient le plus cohérents possible, que le voyage émotionnel soit le plus abouti possible. Un personnage commence avec une émotion, une peur, puis va se battre avec ses démons intérieurs pour arriver à quelque chose. Je passe beaucoup de temps à faire des petits schémas en espérant qu’ils vont disparaître pour que le personnage prenne le pas dessus et véhicule une émotion. C’est alors que la durée s’impose. La première version du scénario de Margelle faisait 40 à 45 pages, ce qui faisait de l’ordre de 45 minutes. Mon producteur Philippe Avril m’a dit que ce serait très dur à financer et m’a conseillé de le développer en long ou bien de le raccourcir en un court. Je me suis pris la tête durant trois mois et ai eu l’impression que si j’allongeais le film, cela donnerait l’impression d’un café allongé. Comme je voulais conserver l’idée de la fable, je me suis dit que ce serait plus direct en étant plus resserré.
O.B. : C’est un choix courageux car la visibilité du court est nettement plus faible.
O.M. : Oui, mais j’avais l’impression que ce serait artificiel. Au montage, on a enlevé tout ce qui n’était pas rattaché à l’histoire. C’est de la sculpture : on enlève pour arriver à la forme définitive.
O.B. : C’est effectivement un film qui travaille beaucoup l’ellipse. Le rapport au spectateur est de lui dire : « devine ».
O.M. : C’est le plus bel apport du court métrage. A l’écriture et jusqu’au montage, on enlève en faisant confiance dans l’intelligence du spectateur et c’est ainsi que le film gagne en force. Même pour un long, il faut travailler l’ellipse.
O.B. : Walid Mattar, tous vos courts sont basés sur un clin d’oeil au spectateur. C’est leur moteur.
Walid Mattar : Je suis en écriture d’un long mais ce sera pareil : j’aime beaucoup l’humour noir, les grands messages sur un air léger. On n’est pas conditionnés à faire des courts mais on commence jeunes et on doit passer par là. Je commence à avoir de l’assurance et passe au long. Je veux faire passer une vision, alors que dans le court de 15 minutes, on reste sur les intentions, qui ne suffisent pas pour le long.
O.B. : Baba Noël est basé sur la relation avec un personnage. On comprend sa relation à sa famille au pays qui demande une multitude de cadeaux et la fragilité de sa situation de clandestin, jusqu’au final inattendu qui propose de tout relire avec un regard neuf. Cela paraît simple mais demande une grande force d’élaboration.
W.M. : La fin fait partie de l’inspiration du début. Les images qui inspirent le court métrage peuvent être les images clefs du film : l’inspiration et l’intention sont très proches du produit final. Je trouve ça très bien car on n’est pas obligé de chercher trop loin. L’écriture est une étape importante mais elle est plus simple dans ces conditions. Pour Le Cuirassé Abdelkarim, j’avais juste une fin et il me fallait trouver le contenu ! Condamnations, c’est la vie qui me l’a offert : j’étais dans un café en face d’une administration à l’époque du conflit avec Israël, et j’avais mon film. Il me suffisait d’ajouter des détails de fiction et je pouvais tourner !
O.B. : Youssef Chebbi, vous choisissez avec Les Profondeurs un type de récit très particulier. Pourquoi ?
Youssef Chebbi : J’aime beaucoup le cinéma de genre.
O.B. : Ce n’est pourtant pas vraiment un film d’horreur.
Y.C. : Non, pas vraiment, mais cela offre un filtre qui permet de parler en profondeur et d’avoir un recul face à la situation. La première version du scénario se déroulait en France. J’ai quitté la Tunisie assez jeune, à 17 ans. J’étais revenu durant quatre mois sur un tournage et j’ai découvert Tunis la nuit et cela m’a convaincu qu’il fallait y tourner le film : cette ville a un potentiel cinématographique immense qu’on ne met pas assez en valeur avec des films seulement sociaux. Le film se déroule aussi dans le Nord du pays, où les superstitions sont encore fortes. Cela me permettait d’installer une atmosphère. Il faudrait sur un court métrage avoir le temps d’approfondir pour préparer le suivant. C’est pour moi un champ de recherche : on prend forcément une direction de film en film.
O.B. : Haminiaina Ratovoarivony, vous n’avez pas réalisé de court avant votre premier long, Malagazy MankanyLégendes de Madagascar ?
Haminiaina Ratovoarivony : Non. J’ai réalisé un documentaire en moyen métrage produit dans un cadre de télévision. J’ai eu l’occasion de participer à des courts dans le cadre d’ateliers ou de kinos : faire du mieux qu’on peut avec très peu de moyens. C’est notre destin à Madagascar.
O.B. : Les kinos sont des films de trois à cinq minutes.
H.R. : Oui, faits très vite avec très peu de moyens mais essayant de dire beaucoup, avec de la recherche et de l’écriture derrière. Je suis arrivé sur de tels projets et ce que j’en retiens le plus c’est l’atmosphère : il faut l’installer superbement vite. J’ai beaucoup utilisé cela dans mon long, installer une atmosphère dans les différents modules pour que les gens suivent tout en respectant une atmosphère générale.
O.B. : C’est vrai que Malagazy Mankany est construit comme un road movie où l’on rencontre différentes atmosphères et ainsi différents aspects de Madagascar.
H.R. : Exactement, alors que le court demande une idée d’atmosphère homogène qu’il faut atteindre pour ne pas se louper.
O.B. : Hassan Ferhani, quelle est votre expérience du court métrage ?
Hassen Ferhani : J’aime bien le terme de recherche. On est effectivement comme un chercheur dans un laboratoire qui essaye des combinaisons. J’ai fait trois métrages où j’essaye à chaque fois une narration nouvelle. Cela reste une école : il n’y a pas de règles et on peut aller au bout de ses idées, essayer, transcender. La question du temps se pose en permanence, dans l’écriture, au tournage, au montage.
O.B. : Effectivement, Tarzan, Don Quichotte et nous est comme un laboratoire : deux hommes cherchent et rencontrent tandis que la vision d’un quartier se construit peu à peu pour le spectateur.
H.F. : Exactement, j’essaye de recoller les morceaux d’un quartier, un patchwork, une mosaïque disparate. Je projette sur un arbre les extraits d’un film pour voir ce que ça peut donner… L’intuition vient en marchant. Pour mon premier court, Les Baies d’Alger, j’étais en voiture et je regardais les fenêtres et c’est ainsi que la forme est venue. Elle est parfois très vague ou floue : il n’y a pas de règles. Les idées viennent d’elles-mêmes, au contact.
O.B. : Tout l’art est donc de transgresser les règles ! Deuxième partie de notre échange : le court métrage en tant que tremplin. Chacun tend vers son long, qui lui demande énormément d’écriture, de préparation, une grosse équipe, des années de travail… Aller vers le long demande cette démarche de filiation dont nous parlions mais aussi de formation. Arrive un moment où le saut vers le long s’impose. Le court est-il ainsi une expérience qui permet d’accéder à la maturité nécessaire pour demander à d’autres de nous accompagner vers le long ?
Amine Chiboub : Je discutais avec un ami chanteur en lui disant qu’il avait la chance de pouvoir expérimenter sans grands moyens. Je me souviens de mon premier tournage avec une équipe de gens qui avaient dix ou vingt ans de plus que moi, et à qui je devais dire tout ce qui devait permettre à ce film de sortir de moi et d’exister… Tout le monde te regarde : suis-je dans le juste ? Et puis après, ça se fait tout seul et j’ai l’impression que ma vie est sur un plateau. Il me semble indispensable de passer par le court pour comprendre comment fonctionne un plateau de tournage, la direction d’acteurs. Cela s’aiguise. On découvre beaucoup sur le terrain. Trois courts me semblent un minimum pour s’aguerrir !
Omar Mouldouira : C’est touchant ce que tu dis : sur un plateau, on se sent parfois comme un poisson dans l’eau. C’est je crois Kubrick qui disait que faire un film c’est comme écrire Guerre et paix dans une auto tamponneuse ! Et il ajoutait que quand on y arrive, il n’y a pas de meilleure satisfaction au monde. Mais le réel résiste sous toutes ses formes et un film quel qu’il soit est un accouchement douloureux. Lorsqu’on le présente en festivals, le film se met à exister et on se dit qu’on va continuer ! On est condamnés à forger pour devenir forgerons. Le producteur Philippe Avril me disait qu’il fallait qu’un réalisateur ne soit jamais satisfait de son film car c’est la seule façon qu’il en fasse un autre. Il faut une frustration pour vouloir faire mieux !
O.B. : Il y a parfois des retours négatifs ?
O.M. : Oui, à toutes les étapes. On fait des erreurs. Tout va trop vite au tournage et souvent on sauve les meubles en tournant les plans qui sont essentiels à l’histoire car on ne peut plus réaliser les autres alors qu’il n’y a plus d’argent. Le montage est alors une délicate séance de rattrapage où on devient très dépressif en se demandant pourquoi on est né et pourquoi on n’a pas ouvert une pizzeria ! Cela forge le caractère ! On se dit qu’on sera plus humble la prochaine fois, on apprend par l’erreur, on simplifie. On veut toujours faire trop complexe, comme si cela voulait dire maturité, puissance, cinéma. Et finalement, on simplifie, allant vers quelque chose de plus pur peut-être. Epurer, c’est le plus dur !
O.B. : Walid, dans le cinéma amateur, on apprend sur le tas !
Walid Mattar : Oui. J’ai commencé à tourner mon premier court à 22 ans. On ne réfléchit pas : on écrit et on tourne la première version du scénario ! Et on est obligatoirement dans le court pour rester dans le domaine du possible. La recherche de financement en professionnel change la donne.
O.B. : Le cinéma amateur a cependant pris beaucoup d’importance en Tunisie.
W.M. : Oui, à cause de la centralisation sur Tunis. La Fédération des cinéastes amateurs a donné des clubs et des sujets de proximité, loin de la capitale. Cela a ramené des cinéastes de tout le pays, mais aussi des sujets, et un autre esprit. Mais cela ne suffit pas pour faire des longs métrages. Baba Noël, c’est la onzième version du scénario ! Mon premier court, j’avais tourné la première version ! Pour moi, c’est la veille du tournage le stress maximum et où je me demande pourquoi je ne suis pas fonctionnaire à la poste !
Hassen Ferhani : L’envie de budget vient en écrivant, pour élargir les possibles. Peut-être qu’un premier long peut se faire comme un premier court : plus libre, sans passer par les commissions. Histoire de dégonfler cette pression du premier long. Certains y arrivent.
O.B. : C’est la fameuse histoire de Donoma fait avec 20 euros et surtout avec les copains, sur la base d’un contrat de redistribution s’il y a des bénéfices. Rengaine a également une économie de ce type. Et tous deux sont de grands succès.
Hassen Ferhani : Ce sont des films qui se font différemment.
Walid Mattar : Cela dépend aussi du pays : il est difficile de trouver de bons comédiens et techniciens qui s’engagent ainsi dans un pays où il n’y a pas d’industrie et où chacun est en position de survie.
Omar Mouldouira : Margelle aurait coûté beaucoup moins cher si on l’avait fait en France. Des copains m’auraient aidé. Certains auraient profité de l’intermittence. J’aurais eu des gens qui auraient participé pour se faire la main. Au Maroc, ça n’existe pas. Une journée peut-être mais sur 13 jours de tournage, il faut les nourrir, les loger et les payer correctement.
Haminiaina Ratovoarivony : Je suis à la fois lésé et privilégié. Je viens d’un pays sans économie du cinéma. Mais je peux faire les films que je veux, sachant qu’il me faut en trouver les moyens. Je n’ai pas le souci de me demander ce que je fais là : je suis sociologue de formation et je voulais parler du pays aux Malgaches. Le cinéma me semblait le moyen privilégié pour cela. Je suis allé faire une école de cinéma à Strasbourg dans ce projet. Dans l’école, j’ai pu faire un documentaire de télévision. J’ai compris que cela demandait de se conformer à des normes. Je voulais donc d’une part basculer vers la fiction et d’autre part maîtriser la production. Le souci à Madagascar est de trouver les techniciens et les acteurs. J’ai fait des ateliers d’initiation au court métrage à Madagascar et ai ainsi formé des jeunes qui avaient un réel intérêt pour le cinéma. Lorsqu’ils étaient prêts, on s’est mis ensemble pour autoproduire une fiction de 93 minutes en 28 jours de tournage. Un cyclone nous a fait perdre 15 jours et m’a forcé à réduire le scénario, mais le film existe. J’arrive maintenant au moment où je me dis que j’aimerais avoir des moyens pour le suivant ! Malagazy Mankany est le premier d’une trilogie. Un producteur m’a contacté au festival de Cordoue et nous envisageons une coproduction.
Hassen Ferhani : Cela me fait penser au roman d’Aziz Senni : L’ascenseur social est en panne… J’ai pris l’escalier. Un long métrage n’amène pas forcément un statut social, restaurants, belle maison, etc. Mais il y a quelque chose à gravir. Cela me démange aussi pour accéder à un public plus large que les festivals. Mais il faut arriver à la maturité de pouvoir sauter le pas. Je ne suis pas encore à ce stade.
O.B. : Dans un festival, le statut du long et du court n’est pas le même. A la limite, les réalisateurs ne dorment pas dans le même hôtel ! Le court métrage est encore considéré comme un exercice d’école : on fait ses armes. Pourtant, on est déjà cinéaste, avec souvent une économie et une grosse équipe.
Omar Mouldouira : Quand on arrive au Maroc, on doit remplir une carte de débarquement où l’on doit inscrire sa profession. Quand je mets « réalisateur », le douanier me demande toujours « de quoi ? ». Quand devient-on vraiment réalisateur ? Peut-être quand on parle des films ?
Walid Mattar : Quand on me le demande, je dis que je fais des films !
Haminiaina Ratovoarivony : Comme en anglais : filmmaker ! Mais comme c’est en français, à Madagascar où j’ai dû remplir une fiche, on m’a demandé mes fiches de paie ! Je n’en avais pas ! Mais le fait de créer une boîte de production donne un statut.
Youssef Chebbi : En 2006, j’étais venu présenter un court à Cannes dans le cadre de « Cinémas du monde ». Je suis revenu et redevenu le lendemain étudiant…
O.B. : A mon niveau, j’ai arrêté de mettre « journaliste » comme profession sur les fiches aux frontières car cela me valait toujours une convocation au bureau et une demi-heure d’explications. Je mets donc « critique de cinéma », ce qui me vaut des « c’est quoi ça ?  » ou bien « ça existe ce métier ? »…
Mais revenons à l’économie : vos courts trouvent-ils des financements, comment cela se passe-t-il dans vos pays ?
Hassen Ferhani : Mon premier court avait été produit dans le cadre d’un atelier en compagnie de quatre autres. Le deuxième était un documentaire, Afric Hôtel, entièrement autoproduit. On avait créé une association nommée Fugues de Barbarie et on a mis de l’argent de notre poche, sans du tout rentabiliser, tandis que des amis nous ont aidés, notamment pour le montage. Un été à Alger était une commande à cinq réalisateurs algériens pour qu’ils racontent leur ville. C’est vraiment la diversité.
O.B. : On observe en Algérie autour des Rencontres de Bejaïa une dynamique nouvelle.
H.F. : Il y a une effervescence, des initiatives, sans qu’on puisse y appliquer le terme de Nouvelle vague comme certains critiques. Il se passe des choses.
Haminiaina Ratovoarivony : J’ai tourné mon long dans la logique Afric Hôtel, mais ce n’était pas mon désir : j’ai frappé à toutes les portes, mais sans succès. Le fait d’être basé à Chicago m’interdisait l’accès à certains fonds. J’ai créé une boîte de production aussi bien à Madagascar qu’aux Etats-Unis. J’ai fait toute la technique sauf la caméra et la prise de son. Un fonds existe à Madagascar, alimenté par les taxes de tournage des documentaristes des télévisions étrangères. Si on arrive à mettre en place un centre du cinéma, cela devrait changer les choses, notamment pour soutenir toutes les démarches nécessaires aux longs.
Youssef Chebbi : Pour mon premier court, un producteur tunisien m’avait soutenu de sa poche et pour le second en cherchant un financement français. Le ministère de la Culture tunisien n’est pas encore adapté.
Walid Mattar : Je suis maintenant une voie plus classique avec un producteur : je n’ai plus le temps ni l’envie d’envoyer les dvds aux festivals. La production et la diffusion sont liées.
Omar Mouldouira : Notre problème est qu’il faut de l’argent, même avec des amis. Pour Margelle, le fait de travailler avec un producteur était comme des fiançailles : on mise sur l’avenir. Le court est chronophage mais cela permet de sentir si on peut faire un long ensemble. Mais pour trois ans de travail, mon salaire ne dépassait pas le smic.
Amine Chiboub : Bien souvent, nous ne vivons pas de notre métier. Ce que je gagne avec des courts est ridicule. Mais ma grande frustration est que le système des subventions nous condamne à un genre de films, « le cinéma d’auteur », et nous empêche ainsi de faire du divertissement intelligent. Je galère à faire une comédie…
Walid Mattar : Il faudrait généraliser la solution française du CNC et de ses aides financées par les entrées.
Omar Mouldouira : Une fois qu’on a l’avance sur recettes au Maroc, il n’y a que ça. Les producteurs doivent donc se tourner vers les fonds occidentaux ou internationaux. Mais pour avoir l’argent de ces structures, on a l’impression qu’il y a une attente d’un certain cinéma, qui ne correspond pas aux attentes de notre public qui privilégie « les films commerciaux d’auteur » comme Zéro ou Casanegra. On voulait ainsi développer un film de genre polar pour traiter du rapport homme-femme mais on s’est heurté à des refus car on ne rentrait pas dans le schéma attendu.
Walid Mattar : Il est logique que l’argent français finance des films pour le public français… Ce n’est pas un truc contre nous !
O.B. : Cette question des imaginaires dans les commissions a fait l’objet d’une vieille bataille qui fut gagnée au sens où des professionnels du Sud sont entrés dans les membres des commissions, mais dans le vieux rapport colonial où l’on sait trop bien ce que doit être l’Autre, c’est tout simplement une partie du public qui se détourne lorsqu’on ne répond pas à cette attente. C’est un travail à longue haleine auquel participe Africultures.
Question « indiscrète » de la salle : De quoi vivez-vous ?
Oumar Mouldouira : Disons plutôt comment je survis. J’ai travaillé à une époque dans un cinéma ! Si on n’est pas passionné et endurant, on ne le fait pas ! Cela fait 13 ans que j’ai fini la Femis, et je vis aujourd’hui depuis deux ans en donnant des cours dans des écoles de cinéma.
Amine Chiboub : On fait en général, surtout pendant le ramadan, des spots publicitaires pour la télévision, mais les budgets sont moindres aujourd’hui et cela devient très difficile.
Walid Mattar : Je suis venu faire mes études en France car le salaire minimum permet le minimum ! J’ai cette chance. Je fais des piges dans une régie technique de télévision.
Youssef Chebbi : Les droits d’auteur des achats télé constituent des revenus intéressants, mais cela reste difficile ! On n’est pas financés pour écrire un scénario : il faut un job à côté et arriver à gérer le temps !
Haminiaina Ratovoarivony : J’ai le privilège de vivre à Chicago. J’anime des ateliers de films d’animation au lycée français. Ma femme fait de la recherche. On est tous les deux avec des métiers de passionnés mais c’est bien qu’il y en ait un qui ait un revenu stable.
Hassen Ferhani : Mon deuxième métier est d’être assistant réalisateur. Les aides sur le court métrage sont très limitées, cela reste compliqué.

///Article N° : 12357

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