Le Journal d’une vieille folle

De Umar Timol

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Umar Timol est à l’île Maurice mais, connecté en permanence, ses textes circulent sur la toile dans tous les réseaux francophones. Après trois recueils de poésie, il propose avec Le Journal d’une vieille folle un long monologue à la première personne, comme dans plusieurs nouvelles déjà publiées dans des recueils collectifs. La nouveauté vient de l’identité du personnage, une vieille Mauricienne qui vit à Paris et ressasse son amertume et son mal-être. Elle note scrupuleusement, dans un journal qui dure deux mois, les étapes visibles et invisibles qui mènent une femme en apparence sage et exotique à une manipulation meurtrière présentée comme une impitoyable quête d’amour. Dès l’incipit, elle manifeste la lucidité qui nourrit sa révolte : « Je suis un cliché. D’abord, cliché exotique » (11). Tout le journal sera une adresse à ceux qui ne voient pas en cette femme ordinaire et effacée l’être insatisfait qui mûrit sa vengeance : « narguer est tout un art et je suis une artiste […] Je veux être au monde pour exercer mon plein pouvoir de domination, de contrôle, je veux être au monde pour le changer, pour le transformer » (37 et 103). Face à elle mais absents du texte, les ombres du mari détesté et du jeune homme qui surgit de nulle part comme un divertissement miraculeux. Elle le traite d’ « ange » et de « fils » en notant le défi muet qu’elle lui lance : « il faut que quelqu’un m’aime, il le faut, et ce sera toi » (104). Elle semble s’abandonner à l’illusion d’un désir qui est possession plus que don et qui la mène, entre lucidité et folie, au paroxysme final.
Le romancier élargit le sujet en faisant de cette femme l’image de l’humain dont le cœur est naturellement complexe : « je suis l’étrangère, celle qui vient d’ailleurs, alors que je suis comme vous, bien plus que vous ne le croyez, que je suis emplie de cette même merde qui grouille dans les bas-fonds de vos rêves avortés » (11). Cherchant à échapper aux conventions et aux routines étouffantes, cette femme énonce les questions existentielles : « Je suis en quête d’une lumière qui m’assènera le sens. J’ai envie de rassembler tous les éléments disparates de mon existence, les unir pour en soutirer l’essence […] il y a en moi un vide » (39 et 105).
L’alternance des longues phrases aux formules répétées et des brèves coupures, ces « mots qui jaillissent à tout vent » (105) entretiennent une tension qui ne faiblit pas si bien que cette confession se lit d’un trait. Cette femme à la fois minable et monstrueuse, monstrueuse parce que perdue, folle et lucide, apparaît comme le personnage central d’un drame, celui d’une humanité prise dans la contradiction entre ses idéaux et la violence de la réalité. On est très loin, avec elle et avec Umar Timol, des gentils insulaires sous leurs cocotiers. Il faut entendre cette voix, se laisser cisailler par la violence contenue dans une langue épurée et rejeter les clichés car la vieille folle est aussi l’auteur quand elle réclame : « il faut que quelqu’un m’écoute, me comprenne, il le faut. Et ce sera toi » (105).

Umar Timol, Le Journal d’une vieille folle, Paris, L’Harmattan, 2012, 114 p.23 août 2012///Article N° : 10932

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