Christophe Cassiau-Haurie passe en revue les créations africaines de manga francophone. Le genre est en plein expansion et donne un nouveau souffle au monde l’édition. Partie 2 consacrée à l’Afrique centrale et océanique.
En Afrique centrale
Le manga Camerounais se manifeste surtout via l’édition de revues à l’exception de Victorien Bazo (né en 1987) qui avait auto publié en 2016 les 20 pages du premier chapitre (Prise de conscience) de Sirial, album diffusé à 1000 exemplaires1 au prix modique de 400 Fcfa2.
C’est en effet au Cameroun qu’est née la première revue spécialisée manga du sous-continent. C’est en décembre 2014 que Brice Ludovic Bindzi a lancé Afro shonen, revue de 120 pages dédiée au manga diffusé à 1000 exemplaires pour 1000 FCFA (1,50 €). La revue ne connaîtra qu’un unique numéro3. Par la suite un groupe de dessinateurs (Martini Ngola, Yannick Obada4, Objel, Sanama, F-MAN Capitole, Styve Seme, HUGE, Amande Sama) sortira les deux numéros du magazine Blacktrek (novembre 2017 puis novembre 2018) qui présentait des histoires inspirées de style manga (même si – tout comme Afro shonen – le format de Blacktrek ne respectait pas les codes en vigueur dans le manga).
En cette même année 2018, sort le dernier numéro de 3’ag magazine avec toute une jeune génération de dessinateurs (les quasi-débutants Kevyn Ndoe, Cedric Dipoko, Arnaud Bekolo, Atemkeng Azankang) au style encore améliorable. 3’ag avait déjà publié plusieurs mini-albums quelques années auparavant. En 2017, l’unique numéro de Team impact était édité par une jeune équipe, mais ce titre, comme les autres, n’aura pas de suite5.
En république du Congo, le jeune ponténégrin6 Sayane Kid (de son vrai nom Ngamy Olsen), s’il a déjà publié en autoédition – en particulier Kaba en 2019 – s’exprime essentiellement sur le net via sa page Facebook.
En RDC, le manga fait de plus en plus d’adeptes. En effet, dans ce pays qui fut longtemps sous influence franco-belge, la jeune génération se tourne de plus en plus vers ce style graphique. Oyo ya biso comics (OYB) a été créé en 2018. Réunissant une vingtaine de personnes (artistes, graphique designers, scénariste, chargé d’administration etc…) et dirigé par un comité de gestion, constitué de 3 personnes, un chargé administratif, un chargé de production et un web master, OYB a été fondé par Nick Kayala et Dan-Marcel Lubala.
Les 5 premiers albums sont tous des mangas, leurs auteurs sont quasiment tous encore étudiants à l’Académie des Beaux-Arts. Ce sont Gaël Sefu (auteur de Macho, et Miye : le gardien de Lumière), Alex Bakankumu (Zaïrois), Glody Makiese (Cronos), Israël Inghoy (Motema) et Elvis Bahati (Paradis Noir). L’objectif d’OYB est de donner une chance à « ceux qui créent des bandes dessinées au Congo de partager leur création avec les autres peuples du monde. Les congolais ont beaucoup à donner mais les opportunités sont limitées […] OYB est un mouvement qui vous fait prendre conscience du talent que vous avez au fond de vous et que vous devez développer maintenant7. »
En parallèle, l’éditeur vise à redonner le gout et la passion de la lecture à la jeunesse Congolaise et à faire en sorte que les artistes soient capables de vivre de leur art. Pour ce faire, OYB promeut le style « Liyemi », inspiré à la fois du style Manga japonais et des codes graphiques de la BD congolaise. En parallèle, OYB a également édité Milema de Moïse Boyoto, sous un label, sans doute propre à l’auteur : Moyes comix.
Un autre éditeur kinois est Art Antron8, créé la même année 2018 qu’OYB. A ce jour, sur les 9 séries ou revues qu’a sorti cet éditeur (pour un total de 21 mini-albums ou numéros), toutes en couleur, certains titres relèvent du manga (La croix d’Octave, Yoga, Yoga the first).Dernière initiative, David Tshibuyi a créé en fin d’année 2019 sa propre maison d’édition (Bantu) pour éditer son premier manga, La guerre des richesses, qui raconte la guerre à l’est de la RDC.
Enfin, Asimba Bathy a créé son propre label, il y a quelques années : Les éditions du crayon noir. En 2019, il décide de lancer en parallèle un numéro de 4 revues différentes dont Manga zine, le magazine Congolais du manga, qui se veut – comme son nom l’indique clairement – une revue tournée vers de jeunes mangakas : Gilson Kitoko, Ger Mokanse, Gloria Muluku.
Ces acteurs du 9ème art n’hésitent pas à créer des évènements autour du manga. C’est le cas d’OYB qui, en novembre 2019, à l’occasion de la 2ème Edition de la Manga and Geek Days, fêtait la sortie de ses deux premières Bande-dessinées. La 3ème BD sortira d’ailleurs lors du SABDAM (Salon de la BD et de l’Autre Musique, créé par Barly Baruti) en décembre 2019. David Tshibuyi (La guerre des richesses), pour sa part, a organisé en octobre 2019, le premier salon du manga Congolais. Plusieurs animations étaient prévues : concours Gaming, chasse aux trésors, défi Manga, Karaoké Congolais et Japonais, concours de dessin et Manga, cuisine japonaise, quiz, projection des films, portrait, table d’échange, show arts martiaux et origami. Par contre, un seul manga était proposé à la vente : le sien. Peu à peu, la culture manga se diffuse au sein de la jeune génération….
A l’étranger, le Gabonais Ivan-Elfried Bussa-Bu-Kumb est l’auteur de deux mangas, le premier sous le nom de Kta en 2017 (D’encre et de feu chez H2T), le deuxième sous le pseudonyme de Shizuha en 2018 (Ragnafall chez Tsume Art en édition numérique et chez Kurostume en version papier en 2020). Certains sont même allés plus loin puisque Daniel Sixte, auteur de quelques parutions sur le web (via le webzine Words without borders en 2017 avec son compatriote Sinzo Aanza) ou sous format papier (L’Autre Vie dans le cadre d’un projet sur le futur appelé MAONO en 2012 et 2013), vit maintenant au Japon où il poursuit un doctorat au Tokyo university of Art. Il y continue à produire des BD (la dernière en date est Super Kadogo, disponible via sa page Expanding drawing lab) qui sont à la frontière entre Manga, comics et BD franco-belge.
Dans l’océan Indien
Il n’existe qu’une seule mangaka originaire de Madagascar : la française Jenny, auteure d’une trentaine de volumes pour six séries, principalement chez Delcourt. Mais Jenny est une exception, et aucune autre production relevant du manga n’est visible sur l’île ou dans la diaspora. Si Madagascar résiste encore à la vague du manga, il n’en est pas de même pour les autres îles de la région.
Sensibles à l’influence du manga, beaucoup de jeunes auteurs mauriciens dessinent dans ce style. Regroupés en association, ils sont très actifs et mènent plusieurs actions communes. Les plus actives sont deux sœurs, Dominique et Christelle Barbe. Un site recense d’ailleurs leurs productions (nou manga) ainsi qu’une page Facebook. La revue Koli Xplozif, dont un seul numéro avait été publié en 2005, n’avait pas donné lieu à un second numéro du fait de la défection de sponsors. L’équipe ayant publié ce magazine a alors décidé en 2011 de continuer l’aventure avec un fanzine intitulé Ultimate Otaku Fanzine. Neuf numéros sortiront jusqu’en 2015 ainsi que deux hors-séries (Spécial Valentine et Mort d’ange). En 2012, de jeunes mangakas ont publié huit numéros d’un autre fanzine, Animu Jump Pilot. Certaines des histoires sortiront aussi sous la forme de deux compilations, la première parue en décembre 2012 à l’occasion de l’événement AnimuExpo (organisé par Christelle Barbe9), la seconde l’année suivante. Enfin un « Manga Contest » est organisé chaque année entre 2010 et 2015 à l’occasion des AnimuExpo.
Si les projets d’albums sous format numérique sont légions, seule Christelle Barbe sort sous format papier certains de ses travaux sous le nom de suicidollxp. Une partie de sa production est en effet vendue et imprimée sur demande sur le site Lulu.com : Akira Boys, Bitter 16, Seven Star Battles (en collaboration avec Méduse A) mais aussi Mort d’ange renaissance.
Pour les 23hBD, en 2017, elle a également dessiné La cité des explorateurs. Puis, en avril 2018, pour l’Uom (University of Mauritius) Cosplay Festival, elle a fait un mini manga intitulé Red ribbon et pour le Freecomicbookday le 6 mai, encore un autre, Run Depuis 2016, elle a également sorti sur le marché mauricien les deux tomes de sa trilogie Stare.
A la Réunion, les éditions des Bulles dans l’océan (DBDO) met en valeur les différents talents de la région avec des albums de qualité. C’est le cas avec Redskin de Staark. A l’époque métazoaire, les monstres, animaux et autres créatures mythiques règnent sur le continent d’Asalea. Les hommes en sont réduits à vivre reclus dans des forteresses, en proie à la peur et au désespoir. Alors que tout espoir semble perdu, d’incroyables guerriers dotés de pouvoirs font leur apparition : les Redskins. Parmi eux, un jeune garçon de 14 ans, Agatho, qui a une ambition, devenir le plus grand guerrier redskin et rétablir la civilisation de ses ancêtres, celle où régnait la loi du plus fort…. Un joli coup que réalise DBDO avec ce premier manga réunionnais publié chez un éditeur local10.
Le succès du manga, résultat d’une sourde lutte d’influence
Comme on a pu le constater, le manga n’est pas absent de la partie francophone du continent. Encore ce constat n’est-il qu’imparfait puisqu’il faudrait rajouter à l’ensemble de ces titres tous les travaux qui, sans être classés dans le style manga, sont tout de même influencés par celui-ci tant sur le point du graphisme que du cadrage. On peut citer par exemple le Congolais Yann Kumbozi ou les Camerounais Maître show et Jean Philippe Steve Ondoua et bien d’autres…
Mais tout cela n’est pas uniquement le fruit du hasard, des effets de la mondialisation ou des réseaux sociaux. A travers un thème qui peut paraître finalement assez négligeable (un simple style graphique de bande dessinée) se joue une lutte d’influence culturelle assez claire entre l’Europe, les États-Unis (le style comics a aussi beaucoup d’adeptes en Afrique) et l’Asie.
Les japonais ne s’y sont pas trompés et leur réseau culturel, présent sur le continent, aide autant qu’il le peut les différentes manifestations autour du manga (salon, festival, etc.) mais aussi des mini-albums et des cours en ligne. Depuis 2007, le Prix international du Manga (International manga award) vient récompenser des mangakas étrangers. Ce prix prestigieux est souvent accordé à des asiatiques ou des européens, plus rarement au reste du monde.
Lors de la dernière édition, en 2019, parmi les 345 travaux envoyés, pour la première fois deux œuvres originaires du continent africain ont fait partie des lauréats : DiKiXi – The Reconciliation des angolais Bomcomix e Gildo Pimentel et Migrants du béninois Gjimm Mokoo (Gjimm Keita)11.
Il est vrai qu’il devient plus facile pour les jeunes artistes africains de se former, les cours et formations en ligne sont de plus en plus présents, comme l’Ecole Internationale du manga et de l’animation (EIMA – Toulouse). Certaines institutions pédagogiques ont même l’Afrique comme objectif déclaré comme c’est le cas de l’Ecole de Manga de Montréal à travers le projet « Manga Africa »12.
Mais le succès grandissant du manga n’est pas uniquement dû à un attrait artistique et une influence culturelle. Pour les auteurs et jeunes éditeurs, il est aussi un moyen d’éditer à faibles coûts en touchant un public captif.
En effet, pendant longtemps, le développement de la BD locale en Afrique a été limité par l’image négative qu’elle avait aux yeux du grand public mais aussi par les frais importants qu’entrainait l’édition d’albums calqués sur le modèle occidental (couverture rigide, pages en couleur…). Or, faire du manga permet de s’autoéditer ou de se faire éditer à moindre frais (couverture souple, impression en noir et blanc, petit format, etc.), ce qui représente un atout important pour toute la chaine du livre.
Alors, le manga, futur de la bande dessinée sur le continent africain ? Peut-être pas, mais un genre qui a de l’avenir assurément.
Christophe Cassiau-Haurie
Le 15 juin 2020
Remerciements à Joëlle Ebongué pour son aide précieuse.
1 A noter qu’en 2018, Victorien Bazo, aidé au scénario par son frère Armel, avait proposé un projet intitulé Ayéné (qui ne relevait pas réellement du manga) sur la plateforme de financement collaboratif aujourd’hui disparu, Sandawe.
2 On peut voir la couverture à cette adresse : https://btveditions.blogspot.com/2016/05/normal-0-21-false-false-false-fr-x-none_6.html?m=1
3 L’auteur de ces lignes n’ayant malheureusement pas pu se procurer un exemplaire, le lecteur peut se faire une idée du contenu de de ce numéro en lisant une critique au lien suivant : http://www.mangaafrica.com/blog/afro-shonen-la-nouvelle-revue-destinee-aux-fans-de-mangas-cameroun/
4 Sa biographie est visible sur http://www.mangaafrica.com/artistes-mangafricains/
5 Si des lecteurs veulent en savoir plus sur l’imprégnation de la culture manga (pas forcément BD au sens strict) au Cameroun, ils peuvent lire ce témoignage fort intéressant : http://www.mangaafrica.com/blog/le-manga-au-cameroun-une-culture-bien-plus-presente-quil-ny-parait/
6 Habitant de Pointe noire.
7 Extrait du site de l’éditeur (en construction).
10 Un manga autoédité par un jeune auteur a déjà été diffusé entre 2010 et 2011 sur l’île.
11 Pour mémoire, en 2007, pour la seconde édition, sur 368 travaux envoyés, seuls 5 venaient d’Afrique.