Le musée, un concept à réinventer en Afrique

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Si les questions d’hier se reposent aujourd’hui, c’est que leurs réponses ont laissé le mal presque entier. Oser changer de direction : telle est la proposition de ce maître-assistant de l’université d’Abomey-Calavi, pour qui le développement ne passe pas par l’imitation de solutions toutes faites et importées. « Nos ancêtres, rappelle-t-il, n’ont peut-être pas créé des musées, mais ils avaient certainement des institutions pour conserver leurs créations et les valoriser. Il faudrait sans doute les connaître et essayer de mieux les exploiter ». À méditer.

Il y a plus de quinze ans déjà, en 1991, le Comite international des musées (ICOM) initiait une rencontre où était conviée la crème des professionnels des musées et du patrimoine africain. Un des thèmes de cette manifestation tout entière dédiée aux musées, était leur pertinence pour l’Afrique. Quels musées pour l’Afrique ? Patrimoine en deveni, titre final de la publication, synthétisait la réflexion et les propositions des différents ateliers et séances plénières. Parmi les nombreuses contributions, le texte d’ouverture d’Alpha Oumar Konaré, alors président de l’Association, n’a pas échappé : il avait eu l’audace de remettre en cause l’utilité de l’institution muséale pour l’Afrique. Son texte, puissamment provocateur – comme l’avait été quelques années auparavant celui de Spero Stanislas Adotevi dans un ouvrage aujourd’hui épuisé, Négritude et négrologues -, mérite attention et relecture des professionnels des musées en Afrique. Certes, il y a certainement eu du chemin parcouru. Essentiellement par les institutions chargées de former les professionnels des musées et sans doute aussi par les différents États. Toutefois, l’effort de ces derniers est difficilement perceptible dans la plupart de nos pays même si l’état des musées diffère d’un pays à l’autre.
Comme si aucune autre solution ne pouvait être inventée
Lorsqu’on n’est pas un oiseau de mauvais augure, en ce siècle de globalisation, il faut se garder de dire du mal des musées même si on le pense. Pourtant, si nous nous reposons les mêmes questions aujourd’hui, c’est sans doute que les réponses apportées, lorsqu’elles l’ont été, ont laissé le mal presque entier. Dès lors, il paraît évident que l’institution n’a pas répondu aux attentes : à quelques exceptions près, le musée en Afrique au sud du Sahara est plutôt une institution « dévoreuse de sous » quelle ne sait pas générer. Il a du mal à drainer vers lui une population peu concernée, assoiffée tout de même de culture, c’est-à-dire de connaissance, d’histoire, de réflexion mais aussi de spectacle, bref, qu’il est encore trop mal inséré, un demi-siècle après son introduction, dans le tissu social africain traditionnel aussi bien que contemporain. J’oserais conclure qu’aujourd’hui, et de façon globale, le musée appauvrit bien plus qu’il n’enrichit notre continent et notre peuple. Ne vaudrait-il pas mieux alors s’en séparer ?
C’est à trouver des solutions à ce mal ainsi circonscrit que je consacre cet article, laissant à d’autres le soin de revenir sur les refrains que nous avons tous chantés sans trouver un écho qui y réponde. D’autres nous dirons sans doute qu’il manque du personnel formé, que l’habitude de fréquenter l’institution n’a pas encore été prise, que la plupart des pièces de nos patrimoines sont aux mains des anciens colonisateurs – comme si aucune solution ne pouvait être inventée contre de tels maux. La répétition est, nous en sommes bien d’accord, pédagogique ; mais lorsqu’elle s’installe comme une surdité, que personne ne vous entend plus, n’est-il pas sage, n’est-ce pas signe d’intelligence de solliciter d’autres sens, d’oser changer de direction et d’orientation, et pourquoi ne pas le dire, de tourner résolument le dos au passé fut-il celui hérité de la plus brillante civilisation au monde, celle qui nous domine tous actuellement ? C’est à cette alternative que j’ose inviter les amoureux de l’Afrique, de sa culture et de son patrimoine visuel, ses fils en premier lieu. Ma réflexion, bien trop brève pour clore un aussi grand débat, si elle prend appui sur ce qui se passe dans les musées de la République du Bénin, se permettra de temps à autre des échappées vers d’autres lieux et d’autres expériences parce que les exemples vivants ont toujours été puissants pour alimenter la réflexion.
Une floraison de musées qui n’est pas sans inquiéter
Depuis quelques années, les musées, qu’il convient de différencier des espaces d’exposition, fleurissent au Bénin et dans bien des pays de la sous-région ouest-africaine. Le dernier répertoire des musées, élaboré en commun par le West African Museums Program et l’ICOM, en a rendu compte en 2000. Dans la terminologie professionnelle, en effet, le musée est d’abord une institution qui possède, de façon permanente, une collection de pièces et qui les expose pour en faire profiter un public. La floraison actuelle n’est pas assujettie à une telle définition. Elle semble n’avoir perçu du musée qu’une partie de ce qu’il est, dans l’espace béninois tout au moins : un lieu de mémoire et d’identité d’abord puis un moyen de drainer la manne touristique. L’action des musées est en principe complétée par celle d’autres espaces d’exposition qui peuvent s’autoriser à vendre. Au Bénin donc, en plus des musées que l’État de son propre chef a dû construire ou aménager, différentes communautés voire des personnes physiques ont aussi pris l’initiative de créer et d’animer des musées. Le public ne fait pas beaucoup de différences entre les uns et les autres.
Un bilan nous permet de constater l’existence de huit musées sous la tutelle du ministère de la Culture et de quatre autres dirigés par des particuliers ou une ONG. Dans la ville capitale de Porto-Novo, le Musée ethnographique Alexandre Sénou Adandé et le Musée Honme relèvent de la tutelle de l’État ; le Musée da Silva appartient à un particulier tandis que le Jardin des plantes et de la nature est sous la tutelle de l’ École du Patrimoine africain. Il existe au moins un projet d’un autre musée privé, lié au Temple d’Avessan, en attendant sans doute d’autres dans la même ville ou dans sa proche banlieue. Cotonou n’a qu’un Musée des sciences naturelles animé par un individu tandis que Ouidah a, en plus du Fort Portugais transformé en musée depuis 1962, hérité de la Casa do Brasil transformée en Musée d’art contemporain, abritant les restes de la créativité artistique du Festival international des cultures vodoun depuis 1994. Si ces deux musées relèvent de l’État, il s’y trouve aussi un Musée Don Francisco Félix de Souza Chacha 1er (1821-1849), dédié au souvenir d’un célèbre traitant d’esclaves dont la descendance se retrouve sur toute la cote du Golfe de Guinée. Ce musée est privé. À Abomey, le Musée historique est une propriété de l’État. On attend avec impatience le Musée des cultures vodoun mis en projet par Cyprien Tokoudagba tandis que Gabin Djimasse anime déjà un embryon de musée consacré au même sujet. Dans le Mono, il n’y a pas de musée à proprement parler. Mais il y a quelques années, le Palais de Kinkinhoun a été ciblé pour le devenir. Dans le Borgou, l’État a construit un Musée ethnographique et de plein air à Parakou tandis qu’un ancien palais de Nikki a été transformé récemment en musée régional. Dans l’Atacora, Natitingou abrite un musée régional et l’État y a un projet, celui du Musée de la résistance de Kaba.
Créer un musée, c’est prendre des risques
Des diverses raisons responsables de l’engouement croissant pour les musées, je n’en retiendrai que deux. Le Festival international des cultures vodun a ressuscité de leurs cendres de nombreux chefferies et royaumes qui veulent tous avoir leur musées : Zagnanado, Adjarra, Tori, Hêvie en sont des exemples. Et la décentralisation, arrivée un peu plus tard, qui fait obligation à chaque municipalité de trouver les ressources nécessaires à son fonctionnement. La manne touristique intéresse les uns et les autres, puisque le visiteur des Musées d’Abomey doit en principe aujourd’hui payer une taxe municipale aussi élevée que son droit de visite. Le musée apparaît donc comme un excellent moyen de drainer l’apport des visiteurs nationaux et étrangers, de façon fixe et pour longtemps, pense-t-on, sans toujours se demander quelles sont les contraintes d’une telle institution et quelle en est aujourd’hui la rentabilité réelle. Les espoirs de gain font qu’il n’est pas étonnant que des pancartes apparaissent souvent au bord d’une voie principale vous orientant vers un musée a naître. Le nombre de projets de cette nature est exponentiellement croissant. Chacun pense à répéter le modèle qu’il connaît et qui est souvent celui du musée d’histoire. Peu songent qu’il faut une collection, c’est-à-dire quelque chose à montrer, que celle-ci doit être entretenue pour permettre le montage d’expositions qui, en principe, changent régulièrement. Peu songent à la sécurité requise pour préserver un tel patrimoine, au personnel formé nécessaire au fonctionnement de l’institution. Au fond, bien peu savent que créer un musée, c’est prendre des risques importants et se proposer des défis graves à relever sur le plan de la culture, tout le temps. Beaucoup oublient, par exemple, qu’un musée est aussi un indicateur de biens à piller dans les pays où le pouvoir d’achat n’est pas bien grand. Les musées du Nigeria en donnent l’illustration constamment.
Les musées auraient pu s’inspirer du Fo wa Te
Il est reconnu que la culture de façon générale n’est guère rentable de façon immédiate et directe, à quelques exceptions près. Les musées encore moins. Ceux qui sont fonctionnels au Bénin, comme ceux du monde entier, s’adressent tous au même public, celui de la nation et des touristes lorsqu’il y en a. Si le public national ne visite pas ses musées, comme c’est le cas au Bénin aujourd’hui, il ne reste à vrai dire que les touristes pour l’alimenter et profiter de ce qu’on peut leur offrir. Les salles de spectacles ont plus de succès que nos musées. Il s’y passe quelque chose de l’ordre du merveilleux qui répond bien a ce que l’on attend de cette Afrique dont on a écrit Et semper aliquid novi ex Africa, entendez qu’il en sort toujours quelque chose de nouveau. La prestidigitation est de tous les temps, la magie aussi. Les objets dont nos musées regorgent proviennent peu ou prou de cet univers qu’ils ne savent plus restituer dans une enceinte. On ne peut pas vraiment s’étonner de constater que les publics béninois ne les visitent pas beaucoup.
Au Bénin, le musée est resté, malgré toutes les tentatives et tous les discours la « chose du blanc », tout simplement parce qu’il s’intègre a une administration héritée de la colonisation et s’y lit mieux. Pourtant la culture, toujours très généreuse, offre bien des « pierres d’attente » et suggère des approches. En effet, dans les langues de la partie méridionale du Bénin au moins, il existe un mot pour traduire l’exposition, Fo wa Te. Mais le Fo wa Te dont la meilleure illustration est le Gan yi Ahi des anciens rois du Danhomé avait une durée limitée dans le temps. Il ne cherchait rien d’autre qu’à séduire la population par la montrance publique des richesses accumulées. Pour une fois, la discrétion exigée par la prudence traditionnelle disparaissait pour donner envie aux uns et aux autres de posséder, d’accumuler, d’avoir et de se donner le droit de montrer. Dans le cas concret des rois, un tel défilé signifiait de façon claire qu’ils avaient dans leurs mains le pouvoir mais aussi la richesse, deux biens qui ont toujours assurés la grandeur des nations et des hommes. La durée de la manifestation faisait qu’on n’en avait jamais vu assez pour s’en lasser. Il fallait, pour maintenir l’attrait, dérober rapidement au regard et ainsi donner une chance à l’imagination de continuer la création. La plupart des cérémonies des cultes vodun ont elles aussi gardé le même principe ; il leur assure une masse de visiteurs, à chaque prestation.
Les musées comme espaces culturels auraient pu s’inspirer du Fo wa Te dont le principe dans sa forme la plus simple continue d’être mis en application sur nos marchés et dans les institutions culturelles. Ce n’est malheureusement pas le cas. Nous avons choisi la voie qui nous a été imposée, celle de l’Occident. Nous y avons échoué. Nous avons même échoué à faire le bilan de notre propre incapacité. Elle nous aurait conduit à défier les règles de la nouvelle institution et à faire preuve de plus d’audace. Il aurait pu aussi profiter ou prolonger les expériences novatrices comme celles qui ont eu lieu a Ouidah en 1995 sur les patrimoines familiaux, suivies par un projet-pilote de même nature en 1996 – deux projets soutenus par le Wamp. Il n’en a jamais rien été.
Jouer sur le clair et l’obscur
Telle que l’Occident la conçoit, l’exposition dans un musée répond aujourd’hui à des règles de plus en plus précises, de plus en plus complexes que très peu de musées en Afrique de l’Ouest maîtrisent totalement ; la valorisation de l’œuvre d’art dans le processus contemporain d’exposition a besoin, pour créer son discours, d’un environnement spécifique impliquant obligatoirement la maîtrise de la lumière – par exemple. On peut ainsi jouer sur le clair et l’obscur dans la valorisation des formes. Le clair et l’obscur obéissent à l’éternelle loi du contraste visuel. Ils l’amplifient. Ils permettent, dans bien des cas, d’établir une intimité avec l’objet telle que celui-ci est mis en relief et, pour peu qu’il ait été choisi avec un peu d’attention et de goût, de s’imposer a l’admiration du visiteur. Dans un tel processus, l’objet est vraiment prêt à être questionné et écouté parce que bien vu dans un contexte culturel qui exalte l’imagination. Tout ceci est à l’évidence mis en œuvre pour séduire et retenir un visiteur qui appartient à une culture, l’Occidentale. À défaut de faire comme les inventeurs, les Africains auraient pu ajouter le son, en attendant le mouvement, à la perception des objets tridimensionnels qu’ils proposent dans la plupart de leurs expositions. Aucun musée à ma connaissance n’y est encore arrivé en Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, le visiteur national est attiré, comme je l’ai écrit plus haut, par ce qui se passe dans d’autres lieux de spectacle. Par rapport à cela, le musée a l’avantage de ne pas proposer seulement un spectacle, mais une réflexion sur l’histoire ou un autre aspect de la culture en principe intéressante pour la plupart des concitoyens. Il a l’inconvénient de le proposer dans un environnement stérile pour la moyenne des visiteurs nationaux, où il est bien difficile d’intégrer la donne émotionnelle.
Les statistiques ? Elles annoncent une croissance de la fréquentation et les courbes que l’on peut tracer sont de plus en plus séduisantes en particulier pour les musées des grandes villes. Mais la courbe ne correspond pas nécessairement à la rentrée des ressources nécessaires à l’entretien et à la valorisation des collections. En effet, pour corriger les tendances actuelles, la plupart des musées en Afrique ont choisi de familiariser le public des écoles à l’institution. On espère ainsi que demain, les hommes qu’ils seront devenus, auront pris l’habitude de se rendre dans ces lieux qui s’essaient à faire aimer la culture. On oublie qu’ils ne s’y rendront pas s’ils doivent y voir l’exposition de leur enfance… un quart de siècle après. Dans tous les cas, aujourd’hui, on ne doit pas compter sur leur contribution financière supposée pour l’amélioration des prestations du musée.
Conserver et valoriser le patrimoine autrement
Pour réinventer un musée autre, il faut repartir de la définition de ce qu’est cette institution, retenir d’abord ce qu’elle se propose de faire sans s’emmurer dans les détails du professionnalisme. On trouvera peut-être ainsi d’autres façons d’arriver aux mêmes résultats. Tout musée est un lieu où sont conservés des objets précieux que l’on propose à l’attention des visiteurs contre une rémunération. Mais le coût de la collecte, de l’entretien et de la préservation des objets et des lieux, le salaire du personnel, devraient être des soucis suffisamment importants pour dissuader d’entreprendre à la légère une telle initiative. L’état des musées nationaux qui en principe peuvent profiter du budget national pourrait convaincre ceux qui pensent autrement. Voici plus de cinq ans que le Musée Honme de Porto-Novo attend de refaire sa toiture de paille. Le Musée ethnographique de Porto-Novo n’a pas su trouver sur place le petit capital dont il avait besoin pour achever une exposition entamée depuis autant de temps. Akaba Idena, la seule structure militaire de fortification des Villes yoruba, a du mal à rester un lieu de promotion de la culture à Kétou. L’exposition permanente du Musée d’histoire de Ouidah, conçue par Pierre Verger peu après l’indépendance, a attendu la fin des travaux de l’archéologue américain Ken Kelly dans les années 1991 pour voir quelques vitrines s’ajouter à un ensemble dont la cohérence peut être questionnée. Le personnel formé est de plus en plus rare et il n’y a pas à ma connaissance un seul individu capable de prétendre être un restaurateur professionnel dans tout le pays. Les autres musées nationaux pourraient ajouter leurs complaintes à celles-ci.
Pour une meilleure insertion dans la culture locale
Les musées, tels qu’ils sont aujourd’hui, ne sont pas une émanation de la communauté locale. Ils devraient le devenir si nous voulons les voir prospérer et servir. Sans s’écarter du but final assigné, et pour l’atteindre, on devrait tout d’abord songer au choix de son emplacement. Le planning traditionnel de nos villages et villes intégrait toujours un espace de rencontres et de manifestations festives. Ceux-ci n’ont pas disparu partout, et l’arbre centenaire sur la place du village est un marqueur culturel plus important que la maison en briques dures et sûres qui vous fait transpirer dès que vous devez y passer quelques heures. Le marché, jamais bien loin du palais, reste un lieu de rassemblement important, d’où partaient les nouvelles mais où elles arrivaient aussi, colportées par les vendeurs de tous horizons. Ce n’est pas un hasard si le Gelede, par exemple, s’y exprime souvent chez les yorubaphones. À Pobe, c’est sous un hangar de ce marché que ses tambours sont conservés de génération en génération. Il est évident que tout ne peut pas se conserver de cette manière. Les masques, par exemple, le sont par une association qui en a la garde et la préservation. Lorsque ce n’est pas le cas, ils sont considérés comme le bien du sculpteur, comme nous avons pu le constater à Cove il y a quelques années, ou du porteur comme ce fut le cas à Pobe. Ces différentes personnes, bien connues de toute la communauté, sont prêtes a montrer les pièces dès que cela est nécessaire. Dans ces conditions, il n’est plus nécessaire d’avoir un conservateur de métier ; la fonction de celui-ci, dans une culture qui va vers la modernisation, sans tourner le dos a son passé, change ; il pourrait de façon plus efficace être un conseiller que l’on consulte lorsqu’on se pose un problème et sa présence vigilante devrait contribuer à une conservation in situ des pièces les plus précieuses. L’état est ainsi soulagé de bien des responsabilités et la communauté se prend en charge. Les visites ne doivent plus être organisées sans le consentement des propriétaires des objets. C’est à eux qu’iraient les recettes de tout intérêt pour ce qui est confié à leur garde et que la communauté considère comme important.
Des circuits de visite plus variés dans des « villes-musées »
Tous les musées du monde, parce qu’ils se situent essentiellement dans des espaces clos, organisent leurs circuits de visite dans les contraintes des bâtiments dont ils disposent. Pour le visiteur qui arrive la première fois, cela est plutôt intéressant, puisqu’il découvre. Lorsqu’il revient, l’impression n’est plus la même et il n’est pas rare, quand on l’observe attentivement, et parce que le discours de présentation n’a pas changé, de le voir battre du pied ou plus souvent d’anticiper sur ce qui va être dit pour montrer combien il sait. Le vécu sera tout autre dans une situation ou une seule personne n’est plus détentrice des collections. On aurait ainsi la possibilité de construire des circuits de visite en fonction de l’intérêt du groupe que l’on conduit. Le guide, dans ce cas de figure, ne se contente plus de psittacisme. Sa mission principale est de connaître suffisamment la ville pour conduire les visiteurs de lieu en lieu. Sa connaissance des collections n’est plus un devoir ; il ne pourra plus confisquer la parole puisqu’elle revient d’office aux possesseurs du bien. « Monter une exposition » c’est-à-dire recourir à l’artifice, ne sera plus une contrainte aussi lourde. Chaque lieu pourra concevoir sa mise en scène. Au sein des familles, une autre prise de conscience du patrimoine croîtrait et les enfants pourraient constater par eux-mêmes l’importance des biens légués par leurs ancêtres.
Les villes qui ont des musées d’histoire sont les mieux placées pour expérimenter une telle formule. Au Bénin, Abomey et Ouidah seraient les lieux d’une telle expérimentation puisqu’on pourrait y associer sans beaucoup de difficultés le patrimoine architectural, les objets et l’histoire. Les deux expositions fondées sur les patrimoines familiaux montés à Ouidah dans les années 1995 en sont la meilleure illustration. À Abomey par exemple, l’histoire du peuplement, les palais princiers et royaux, l’administration du royaume et les résidences des différents dignitaires, les routes empruntées par l’armée en campagne, les vestiges liés à l’esclavage, l’implantation de la colonisation, peuvent donner naissance à un nouveau tourisme. Il serait loin de déplaire au visiteur s’il est bien organisé et conduit par un personnel formé et aguerri. Il demande certes une bonne santé physique ou alors un système de transport adapté aux différents âges et à l’intérêt des différents groupes. Le musée peut alors venir en appoint pour présenter une synthèse in vitro de ce que l’on peut expérimenter in vivo. Il devient un refuge en saison pluvieuse.
C’est en libérant les initiatives, en faisant confiance à l’imagination de ses fils que l’Afrique pourra certainement commencer son développement. La culture est le lieu par excellence de l’imaginaire des peuples. Elle est le seul vrai langage et les objets des musées n’en sont qu’un iceberg. L’intégration du musée à la culture locale passe par sa réinvention qui mène d’ailleurs à une réappropriation de la culture et de ses mécanismes. Loin de moi l’idée de la stagnation assassine du progrès. Mais ce dernier est un processus dont personne aujourd’hui ne peut garantir la linéarité. Le développement tant attendu ne passe pas nécessairement par l’imitation de solutions toutes faites, importées d’ailleurs. On aura toujours un peu de mal à greffer une culture sur une autre et les phénomènes de rejet se traduisent toujours par un ralentissement de la croissance. En outre, les solutions importées sont toujours liées à un environnement et à une technologie. Elles ont par conséquent peu de chance d’être maîtrisées en peu de temps et il est plus que probable que dans le domaine culturel, elles ne concordent pas au vécu des populations. Les pays asiatiques dont nous admirons aujourd’hui le développement, n’ont pas fait dos me semble-t-il à leurs traditions, bien au contraire. Peut-être faudrait-il de temps à autre, se tourner vers ces modèles pour les regarder de près et nous en inspirer. Nos ancêtres n’ont peut-être pas créé des musées, mais ils avaient certainement des institutions pour conserver leurs créations et les valoriser. Il faudrait sans doute les connaître et essayer de mieux les exploiter.

Adotevi, Stanislas, Spero, Négritude et négrologues. Paris, 1972, coll. 1018.
ICOM. Quels Musées pour l’Afrique, Patrimoine en devenir. Éditions ICOM, 1991.
Meyerowitz, Eva L.R. The Museum in the Royal Palaces at Abomey, Dahomey, In The Burlington Magazine for Connoisseurs, The Burlington Magazine Publications no 495, pp. 147 à 151. Ltd, 1944.
Wamp. Répertoire des Musées de l’Afrique de l’Ouest, 2000.
Wamp. Répertoire des professionnels de musées en Afrique de l’Ouest, 1993.///Article N° : 6739

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