Alors que les réflexions sur l’institution muséale rebondissent, le directeur du Musée d’Abidjan s’interroge. Y a-t-il eu évolution dans le monde des musées en Afrique ? Constitue-t-il une priorité pour les décideurs ? Les professionnels du patrimoine culturel ont-ils été en mesure de relever les défis depuis les indépendances ? Se sont-ils – enfin – détachés de l’approche coloniale ? Quoi qu’il en soit, une institution muséale repliée sur elle-même aura du mal à décoller et à s’intégrer dans la société qu’elle est censée servir.
Un dossier sur les musées et l’Afrique ne peut que déchaîner les passions des professionnels des musées. Tout en ressuscitant le débat des années 1990, il nous fait revivre les rencontres de Lomé : Quels musées pour l’Afrique ? Il nous renvoie à l’article Musées et Patrimoine en Afrique, prolongement de l’exposition de 1989 des Galeries du Grand Palais : Corps sculptés, Corps parés, Corps masqués. Chefs-d’uvre de la Côte-d’Ivoire. Ces événements culturels, encore vivaces dans la mémoire collective et les réflexions qui en découlaient, intervenaient au moment où un nouveau vent soufflait sur le continent africain. Cette période est aussi marquée par l’effritement du mur de Berlin et par le discours de la Baule. Avec ces donnes, s’agissait-il d’une simple coïncidence ? Nous ne saurons répondre par l’affirmatif. Mais nous pouvons convenir ensemble que le devenir de la société contemporaine n’échappe point aux institutions muséales.
Dix-sept ans se sont déjà écoulés, et les réflexions sur l’institution muséale rebondissent de nouveau, avec des projets de création de musées de types nouveaux, et surtout, avec l’avènement du trop controversé Musée du quai Branly.
Dès lors, une série de questions se posent. Sommes-nous en mesure de noter une certaine évolution dans le monde des musées en Afrique ? Le musée en Afrique constitue-t-il une priorité pour les décideurs ? Les professionnels du patrimoine culturel, les conservateurs, sont-ils en mesure de relever le défi depuis l’avènement des indépendances ? Se sont-ils détachés ou s’éloignent-ils de l’approche ou de la vision coloniale et post-coloniale de la culture africaine ? Quelles portes de sortie pour ces institutions en Afrique ? Quel type de coopération avec les pays du Nord dans le domaine des musées ?
Abordant ces questions brûlantes que soulève le musée, pour notre propre gouverne, il importe d’interroger l’histoire. Sans vouloir faire ici l’histoire des musées en général, c’est l’avènement des musées en Afrique, particulièrement, dans la sous-région ouest-africaine qui demeure au centre de nos préoccupations. Le continent africain pour l’Occident constitue une source de culture matérielle, exotique et ethnographique, dans le passé comme dans le présent. L’accumulation des objets rares : sculptures, insignes de pouvoir, costumes, fétiches, l’atteste. Ces objets rapportés en Europe hier, se retrouvent aujourd’hui, en bonne place dans les cabinets de curiosité, dans les musées d’histoire naturelle et d’ethnographie. L’Afrique continue donc d’alimenter les institutions muséales des pays du Nord avec ses ressources culturelles.
Certains de ces objets au début du siècle ont fini par acquérir le statut d’Art par le simple regard des artistes européens (Matisse, de Vlaminck, Picasso) qui y ont trouvé leur compte. Avec ce nouveau statut, l’art africain se trouve réduit à sa plus simple expression, ignorant et occultant ainsi d’autres aspects de la créativité africaine. Par leur cote artistique, les objets déterminés par un consensus d’experts occidentaux sont ramenés à leur seule dimension marchande. L’attitude occidentale à l’égard de la culture matérielle, du patrimoine africain, est lisible à travers l’histoire des musées en Afrique. Elle continue de nourrir une dichotomie entre Art et Artisanat qui a une répercussion sur les institutions muséales léguées au continent africain. Cette attitude a fini par s’enraciner sur place. Pourquoi séparer donc l’art du reste de la culture ?
Dans bien de pays d’Afrique, l’histoire des musées commence avec l’avènement des musées d’ethnographie à partir desquels se sont développés les autres musées. Est-ce le fait d’un hasard ? Le musée d’ethnographie et la discipline qui le caractérise vont de pair. Il est plus lié à sa matière qu’est l’ethnologie. Cette science s’attache d’abord à l’étude des cultures menacées, des cultures en voie d’extinction, des cultures « attardées » ou « primitives ». Auxiliaires par excellence des sciences ethnologiques, les musées d’ethnographie ont joué le rôle de centres de recherches ethnologiques.
En Côte-d’Ivoire, sous la direction de l’ethnologue et conservateur, Bohumil Holas (1945-1978) qui a marqué l’histoire de la constitution des collections nationales, le Musée d’Abidjan, l’actuel Musée des Civilisations de Côte-d’Ivoire, fonctionnait sous le sceau du Centre des sciences humaines où la recherche sur la culture matérielle, les croyances et les traditions du pays figuraient au centre des préoccupations. C’est aussi le lieu de rappeler l’existence de l’Institut d’ethnosociologie (Université d’Abidjan) dont la vocation rejoignait aussi celle de ce centre-musée servant ainsi en fait de courroie de transmission entre le monde de la recherche et le public. À la légère différence des autres musées, les collections pour le compte du Musée d’Abidjan avaient été constituées plus dans une perspective esthétique qu’ethnographique. Il existe peu de données sur l’histoire, la provenance et les ateliers producteurs de ce patrimoine.
La vocation des musées d’ethnographie créés dans les années 1940 et 1950 dans les colonies françaises, britanniques, portugaises était d’accumuler le plus grand nombre d’éléments possibles de la culture matérielle. Les musées de la sous-région ouest-africaine (Sénégal, Mali, Côte-d’Ivoire), qui n’échappent pas à la règle, proviennent de l’ex-Institut français d’Afrique noire (IFAN), créé dans les années 1930 par les africanistes au service de la connaissance de l’Afrique. L’examen des collections héritées de l’IFAN permet de noter qu’elles ne sont pas représentatives de la culture matérielle et des arts nationaux. Prenant essentiellement en compte les sculptures sur bois avec prédominance des catégories tels que la statuaire, le masque, ces collections donnent une vision réductrice du patrimoine africain. La représentation des masques et des statuettes est si forte dans les collections que la conscience collective ramène le musée à la maison des fétiches. Il est difficile de convaincre nos compatriotes du contraire. Le public européen et les collègues du Nord sont loin de vivre cette réalité.
Que peut nous fournir la lecture de l’histoire de la constitution des collections des musées d’Afrique ? L’identification ethnique systématique des objets en dit assez. Comment comprendre d’ailleurs la résurgence, l’aggravation des conflits ethniques au cours de ce millénaire naissant ? La démarche exclusive des objets n’est pas faite pour améliorer la situation.
Sous le poids de l’histoire, les musées en Afrique ont longtemps négligé d’autres formes d’art en faveur des objets en bois. Dans ces musées, on découvre des objets dépouillés de leurs accessoires et non documentés. Dès l’accession des pays à l’indépendance, dans les années 1960, ces institutions héritées de l’histoire coloniale changent d’épithète et portent désormais le vocable national, porteur d’espoir. Partout, fleurissent ainsi les musées nationaux, de Côte-d’Ivoire, du Mali, de la Guinée. Le Sénégal est une exception pour avoir baptisé son musée : Musée d’art africain Cheick Anta Diop de l’Institut fondamental d’Afrique noire Cheick Anta Diop (IFANCAD). L’étiquette « musée national », à notre sens, ne souffre d’aucune ambiguïté pour les pays concernés. Le fait de rebaptiser ces institutions répondait bien aux préoccupations du moment. Cependant, il faut reconnaître que la nouvelle appellation a toujours posé problème, ou du moins, gêne les professionnels du patrimoine culturel, partagés par la catégorisation des institutions muséales.
Un musée en Afrique est vite assimilé à un musée d’ethnographie en fonction de son contenu. Continuerons-nous toujours de consolider et d’entretenir cette approche, cette perception de la culture africaine ? Les étiquettes de musée d’ethnographie ou d’art ne sont-elles pas des sources de malentendus ?
La tendance qui consiste à mettre l’accent sur les produits particuliers d’un ensemble pour en faire des uvres d’art ou chef-d’uvre est une tendance qui se consolide de plus en plus au fil des années à travers les expositions sur ce qu’il est convenu d’appeler « l’art africain », concept à la fois troublant et révélateur. Vouloir ramener, à tout prix, les manifestations d’une culture des civilisations non occidentales à la seule problématique d’uvres d’art est une manière d’emprisonner le patrimoine africain et de le définir à partir de ses propres références.
Dans ce débat entre musée d’art et musée d’ethnographie, les conservateurs chargés des musées en Afrique sont fort embarrassés : Comment redéfinir la mission et la responsabilité de leur institution ? Sur quoi orienter désormais leurs recherches ? Pour nos musées, que décidons-nous de conserver, d’exposer ? Quel objet peut-il accéder au rang de bien culturel, d’héritage culturel dans nos pays ? La collecte des masques, des statues a-t-elle encore un sens ? Comment s’éloigner de la vision coloniale du patrimoine africain ? Comment présenter désormais la culture de l’autre ? Avons-nous besoin de l’aval de l’autre pour nos choix muséologiques et le devenir de nos musées ? Ces interrogations, toujours d’actualité, ouvrent de nouveau tout un champ à explorer. Serons-nous à la hauteur de relever le défi qui nous attend depuis la prise en main de nos destins ? Il convient de noter que les musées de la sous-région ouest-africaine se débattent à leur manière et tentent, de plus en plus, de répondre à un certain nombre de préoccupations. Au centre de leurs préoccupations respectives, figurent toujours la réorganisation des collections, la documentation et la conservation des collections.
À cet agenda, s’ajoute la formation du personnel qualifié qui est devenue, ces quinze dernières années, le cheval de bataille des institutions internationales gouvernementales, non gouvernementales et nationales. La prolifération des écoles en la matière, si elle n’est pas maîtrisée, si l’action n’est pas coordonnée, peut aboutir, comme il nous a été donné de constater, malheureusement, à la guerre d’écoles entre jeunes générations de muséologues engagés pour la cause du patrimoine africain. C’est le lieu d’évoquer les apports de l’Unesco, de l’ICCROM, de l’ICOM, du Wamp, d’Africom, de l’Efac, de l’université Senghor d’Alexandrie et de l’École du Patrimoine africain (ÉPA).
Le Programme des musées de l’Afrique de l’Ouest, crée en 1982 à Abidjan sous l’initiative du Docteur Philip Ravenhill, est l’une des premières organisations créées et basées en Afrique qui se consacre uniquement aux musées.
En collaboration avec l’ICCROM, le Wamp a été à la base de l’organisation, à Bamako, au Musée national, dans les années 1980, des premiers cours sur le bois et le textile. Le cours universitaire Prévention dans les musées africains (PRÉMA), ouvert à Rome par l’ICCROM en 1986, se situe dans le prolongement des actions de Bamako. L’avènement de ce programme de formation hors du continent a fait des grincements de dents à l’époque. Témoins privilégiés de l’assemblée générale de l’ICCROM, sous Cevat Erder, en 1986, les participants se sont interrogés sur l’opportunité d’un tel cours en Europe : pourquoi un cours de longue durée à Rome pour des conservateurs africains ? Bamako, Dakar, Abidjan, Niamey disposant de collections importantes ne pouvaient-ils pas accueillir ce type de formation en tenant compte, bien entendu, du milieu et des réalités sur place ? Les réponses données par le meneur du jeu, que nous passons sous silence, laissèrent l’auditoire sur sa faim. Les préparatifs étaient avancés pour un recul. L’évaluation des premières promotions sur le terrain a permis de rectifier le tir. L’organisation des cours nationaux PRÉMA, et le transfert effectif de ce cours au Bénin, avec l’avènement de l’EÉPA, ne peuvent que conforter les militants pour la formation sur place.
Bien avant l’avènement de ce cours destiné aux agents des musées en Afrique, le Musée d’Abidjan avait sollicité auprès de l’ICCROM l’organisation d’un séminaire de formation de deux semaines en vue d’initier, sur place, les jeunes diplômés de l’université d’Abidjan. Nous avons fini, avec les ressources locales, par soumettre ces jeunes à un stage de trois semaines qui leur a été bénéfique. Concernant l’épineuse question de la formation, chaque pays est à la recherche d’une solution appropriée. En Côte- d’Ivoire, l’École de formation à l’action culturelle (ÉFAC) a formé pour le compte des institutions culturelles des techniciens de musées, des conservateurs reconnus par le statut de la Fonction publique et qui donnent entière satisfaction. De notre point de vue, aucune formation n’est de trop et la pluralité des écoles est à soutenir. L’acquisition de la connaissance n’a de sens que lorsqu’elle s’adapte à son contexte. Dans un domaine si sensible que le patrimoine culturel, l’état d’esprit d’abord, ensuite la technicité, doivent guider nos actions dans l’exercice de nos fonctions. L’avenir des musées dépend en partie des conservateurs qui les animent.
Les musées ont un rôle déterminant à jouer dans la préservation et la connaissance du patrimoine africain. Cela ne fait l’objet d’aucun doute. Au-delà des fonctions communes qui les caractérisent, chaque musée est à la recherche de son identité.
La vocation du Musée national en Côte-d’Ivoire, l’actuel Musée des civilisations de Côte-d’Ivoire, dans les années 1990, ne souffrait d’aucune ambiguïté. Appelé à être une véritable institution de recherche, il se devait d’apporter au public une vision documentée et didactique de l’histoire de la culture et des arts nationaux. Ses collections et ses expositions se devaient d’être représentatives de son histoire, de son économie, de ses artisanats et de ses technologies. En résumé, il devait répondre aux diverses attentes, avec un public devenant de plus en plus exigeant. Pour ce faire, il fallait en finir avec le poids de l’histoire tout en l’assumant, avec ces archives culturelles que constituent les collections IFAN des années 1940.
Rompant ainsi avec la conception d’hier du mode de collecte, de présentation, les musées, de plus en plus, essaient de s’ouvrir sur le monde. Les conservateurs se doivent de sortir de leurs réserves afin d’explorer de nouvelles pistes en mettant surtout l’homme au centre de leurs préoccupations. Un des objectifs du Musée d’Abidjan, après avoir établi l’état des lieux, était et est toujours d’assurer le développement de ses collections qui passe par l’enrichissement du patrimoine matériel et par la recherche de supports adéquats aux expositions et l’identification de nouveaux centres d’intérêt. L’intérêt de cette institution pour la création plastique contemporaine, continuité de la production humaine, s’inscrit donc dans une démarche, une philosophie, tendant à redéfinir, à repenser l’action muséale.
L’ouverture du musée d’Abidjan sur l’art contemporain remonte aux années 1980. Cette période a été marquée par l’introduction d’une unité d’enseignement en muséologie à l’École des Beaux-arts d’Abidjan et par la mise en dépôt, dans les réserves du Musée d’Abidjan, de dix-neuf uvres majeures de Christian Lattier, lauréat du premier Festival des arts nègres de Dakar, en 1966. Pour la petite histoire, à la découverte de ces uvres dans les réserves, un de nos collègues, un partenaire du Nord, un formateur, s’est indigné de la présence inopportune de tels objets, qui selon son entendement, n’avaient pas leur place ici. Ces uvres, contrairement à la perception de l’autre, font bien partie du patrimoine ivoirien. Ceci nous amène à dire qu’il nous revient de définir notre patrimoine culturel, de déterminer des objets ayant valeur de bien culturel. C’est à juste titre que le Musée des civilisations de Côte-d’Ivoire vient de rendre récemment hommage aux artistes Christian Lattier et Frédéric Bruly Bouabré, en présentant leurs uvres, dans sa nouvelle exposition. Depuis l’intégration des uvres de Lattier aux collections nationales, l’institution continue d’entretenir et de développer des actions en faveur des artistes de la place.
Dans la sous-région ouest-africaine, le mythe, pour un musée, de faire de l’art contemporain, est en train d’être brisé comme en témoignent les actes posés par le Musée national du Mali et le Musée d’art africain Cheick Anta Diop. Ce dernier accueille tous les deux ans la biennale africaine des arts plastiques. De plus en plus, il est question de projets de création de musées d’art contemporain dans les pays de la Sous région. Les musées en Afrique ne sauraient être indifférents à la création contemporaine. Ils se doivent d’assurer leur vocation de structure nationale en rassemblant les données les plus diverses sur la vie quotidienne afin de présenter une image aussi variée que représentative de la vie de nos pays. Une telle ambition passe d’abord par la mise en place, dans nos pays respectifs, d’une stratégie visant à créer des conditions de conservation et d’acquisition des uvres originales de nos créateurs.
Comment expliquer, comprendre encore que, les plus grandes collections d’art africain contemporain durant ces vingt dernières années, se trouvent hors du continent africain ? Oserons-nous, un jour, parler de pillage des biens du patrimoine artistique contemporain et de leur restitution à leur pays d’origine ? Depuis des décennies, la vieille question du retour des biens culturels rebondit chaque fois dans les rencontres nationales, internationales. Elle a tendance à nous détourner des vrais problèmes auxquels le patrimoine africain et les institutions patrimoniales sont confrontés. Qu’avons-nous à réclamer si nous n’avons aucune idée sur le patrimoine de nos pays hors du continent ? Savons-nous de quel patrimoine il s’agit quand il est question de retour des biens culturels ? Ces interrogations nous amènent, dans un premier temps, à constituer dans nos musées une banque de données sur le patrimoine de nos pays respectifs hors de nos frontières. Ce travail préliminaire peut être le début d’une véritable coopération entre musées du Sud et musées du Nord. Nos collègues du Nord ne peuvent qu’accéder à une telle requête liée à l’éthique professionnelle. La restitution documentaire du patrimoine de nos pays est un axe de recherche pouvant permettre d’éclairer la mémoire collective. Avec le concours des partenaires, les archives du Musée des civilisations de Côte-d’Ivoire permettent d’avoir un aperçu sur le patrimoine ivoirien entreposé dans les musées d’Europe, d’Amérique et même d’Afrique.
Le Musée du quai Branly devrait être un excellent outil de coopération. Dès sa mise en uvre, le chantier des collections, à savoir l’inventaire, la numérisation, la restauration des collections d’objets, les photographies, les documents visuels devant servir au quai Branly étaient une occasion entre le Nord et le Sud de partager leurs savoir-faire, leurs visions, leurs préoccupations dans le respect des cultures en présence. Le Musée du quai Branly est aujourd’hui une réalité. Sa gestation n’a pas été si facile. Il est le résultat de tout un combat d’idées amorcé depuis le début du siècle précédent et au cours duquel un regard nouveau a été posé sur l’art africain. C’est aussi le résultat de l’expression d’une volonté politique dénotant, sans doute, d’un nouveau type de relations avec les pays du Sud. Le quai Branly pour terminer n’ouvre-t-il pas une piste de sortie pour les musées d’ethnographie ?
Pour revenir aux musées en Afrique, il est temps qu’apparaissent une nouvelle race, une nouvelle famille de professionnels, de plus en plus engagés pour la cause du patrimoine culturel, capables de cerner les préoccupations de nos sociétés et de les prendre en compte pour un véritable dialogue des cultures. Aussi souhaiterions-nous en Afrique cette nouvelle race de muséologues soucieuse du devenir de l’institution, des préoccupations des communautés. Cette nouvelle race de muséologues africains qui puisse s’affranchir des écoles, des maîtres et se nourrir de l’expérience des détenteurs du patrimoine culturel.
Oui, il existe dans nos pays des monuments vivants qui peuvent trouver des solutions aux problèmes auxquels nous sommes confrontés dans la définition de notre patrimoine culturel. Il nous suffit simplement d’aller à leur rencontre.
Le musée imaginaire de Frédéric Bruly Bouabré ne peut laisser indifférents les Conservateurs en charge des musées en Afrique. Définissant le musée, Frédéric Bruly Bouabré dit et nous citons « Je nomme musée l’Afrique tout entière, et singulièrement l’Afrique noire au sud du Sahara. Dans ce musée, je considère les Africains comme des pyramides vivantes, sur lesquelles l’on découvre des inscriptions étranges et énigmatiques communément appelées tatouages ou scarifications. Je me considère comme l’une de ces pyramides, puisque je porte en parure sur mon bras gauche une telle inscription ». Fin de citation. Sans entrer dans le commentaire de la pensée brulyenne, voilà une autre approche du musée. Le musée devient, pour nous, tout un prétexte. En effet, derrière les collections, il y a une communauté, un message et un savoir-faire.
La question muséale en Afrique devrait se poser désormais en termes de réappropriation du patrimoine culturel au service de la société. C’est la seule porte de sortie pour nos musées d’Afrique qui ne sont plus à exploiter par le politique. C’est dans cette perspective qu’il faut percevoir le thème des assises d’Africom en 1999, à Lusaka, à savoir Construire avec la communauté, un défi pour les musées africains. Voilà tout un programme d’action où chaque musée, en Afrique, a sa partition à jouer.
L’exposition Traditions des Tchaman, initiée par le Musée des civilisations de Côte-d’Ivoire, et réalisée en juin 2001 par la communauté Tchaman d’Abidjan-Santey, commune d’Attiécoubé, à la faveur du forum Unesco Villes et brassages culturels s’inscrivait parfaitement dans cette direction. Et les initiatives allant dans le même sens se rencontrent de plus en plus en Afrique.
Ne disposant pas toujours de moyens pour mener à bien l’immense tâche qui l’attend en Afrique, le musée peut recourir aux ressources locales et aux structures appropriées. Un tel constat a conduit, à l’époque, au Musée d’Abidjan, à solliciter des structures nationales telles que le Centre technique forestier (CTF), l’Institut d’histoire, d’art et d’archéologie africains (IHAAA), la Société d’État des mines (Sodémi), l’Agence nationale des aérodromes et de météorologie (Anam), le Groupement des sapeurs-pompiers militaires (GSPM). L’apport d’autres secteurs dans la préservation du patrimoine culturel et naturel est incontournable. Une institution muséale en Afrique, repliée sur elle-même, refusant toute complicité interprofessionnelle, aura du mal à véritablement décoller et à s’intégrer dans la société qu’elle est censée servir.
Yaya Savané et Philip Ravenhill. À propos d’une exposition éventuelle de l’art ivoirien. Abidjan, 4 janvier 1986.
Philip Ravenhill. Le passé et le futur de la muséologie en Afrique. Conférence prononcée à l’inauguration du cours PRÉMA. Museo Pigorini, Rome, octobre 1986.
Yaya Savané. Musée et Patrimoine en Afrique in Africa International n° 224, février 1990 ou in Bulletin du Wamp n°2, 1991.
Yaya Savané. « Musée et création contemporaine en Afrique : l’expérience du Musée national de Côte-d’Ivoire ». Communication à la Biennale des Arts plastiques. Grapholies, Abidjan, Hôtel Ivoire, 1993.
Yaya Savané. À propos du Musée du quai Branly : Quel type de coopération entre les musées français et les musées africains. Contribution au séminaire de travail : Les actions prioritaires entre musées africains et musées français. Muséum d’histoire naturelle de Lyon, 21-23 mai 2002.
Quels musées pour l’Afrique, Patrimoine en devenir ? Rencontres de Lomé. Conseil international des musées, ICOM, 1991.///Article N° : 6738