Le téléphone portable en furie !

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Kinshasa est l’un des plus gros marché de cellulaires du continent. Historique et ambiance.

La capitale congolaise cuit sous un soleil de plomb, la chaleur est torride et les orages éclatent dans un ciel clair. La ville est dans une espèce de torpeur quand le soleil est au zénith. Pour Zidane (un ado de 16 ans, voleur de portables devant l’Eternel), c’est la meilleure heure pour « opérer ». Avec ses deux amis, deux phaseurs (enfants de la rue) de 11 et 12 ans, il a repéré une voiture de luxe garée devant « le Délice », restaurant du centre-ville à la clientèle huppée. Deux portables sont restés au-dessus du tableau de bord… Mais le chauffeur ne doit pas être loin, même si le bwana (le boss) lui est certainement en train de s’empiffrer à l’intérieur.
Il faut faire vite. Et ce sera vite fait : nos petits lascars ont déjà de l’expérience. Bien plus, ils connaissent comme leur poche le dédale des ruelles du centre-ville, d’un côté comme de l’autre du Boulevard du 30 juin. Ils ont tôt fait de disparaître, au grand désespoir de la victime que les cris des badauds et les vociférations du chauffeur ont attiré. C’est la troisième fois qu’il se fait chiper un portable…
La floraison des téléphones portables est le phénomène marquant des années 90. Tout le monde ou presque semble avoir un appareil, des plus riches aux plus modestes. On a beau dire que la situation du pays est catastrophique, que ses habitants sont de plus en plus pauvres, dans la capitale c’est la furie du portable !
Pourtant, au moment de la chute du Maréchal Mobutu, qui ne remonte qu’à 1997, le « cellulaire » est un objet de grand luxe, de prestige, un attribut de puissance même, réservé aux bonzes du régime et à quelques hommes d’affaires argentés. C’est que les factures à payer sont faramineuses. Une seule entreprise se délecte du pactole : Télécel, société américaine qui a l’essentiel de ses activités en Afrique ; sa branche congolaise a pour patron un homme d’affaires énigmatique qu’on dit lié à tous les réseaux d’espionnage, M. Miko Rwahikare, un sujet rwandais.
Pendant plusieurs années, il sera le seul fournisseur du gouvernement, des services publics et de l’armée dans le domaine du cellulaire. L’Office National des Postes et des Télécommunications Zaïrois, ONPTZ, lui a accordé le monopole de ce service… Et Télécel usera de sa tentaculaire implantation pour bloquer l’expansion des autres opérateurs, notamment en leur refusant l’interconnexion. C’est l’époque où le Kinois trimbale jusqu’à trois appareils portables branchés sur les différents réseaux : une charge encombrante et un véritable sport quand l’un d’eux sonne !
La libéralisation totale du secteur arrive après l’avènement de Laurent Désiré Kabila. Le belge SAIT (qui lance le réseau « oasis ») et le britannique Celtel viennent rejoindre Afritel, GSM, Comcel et Télécel. Bien sûr les prix plongent – même s’ils ne sont pas encore à la portée de toutes les bourses – et le téléphone cellulaire se « démocratise ».
Au grand marché de Kinshasa, les vendeurs exhibent fièrement le leur. Les bongolateurs, ces cambistes de rue de la capitale, ne sont pas en reste. Même dans les auditoires de l’Université de Kinshasa, Unikin, ou de l’Institut National de l’Art, le portable est à toutes les ceintures. Mais à 5 $, la carte prépayée d’Oasis ou de Celtel n’est pas donnée. Et voici une nouvelle race : celle des bippeurs, ces acharnés du portable qui n’ont jamais assez d’unités. Ils ne peuvent que harceler, enquiquiner leurs correspondants pour les amener à les contacter.
L’imagination créatrice du Congolais, roi de la débrouille et de l’informel, a tôt fait de trouver le moyen de « capitaliser » le portable. Des « cabines publiques » s’installent à qui mieux mieux. Si sur les grandes artères, on se donne la peine d’avoir une petite construction, à la Cité (quartiers populaires) deux tabourets font l’affaire. On pourra alors demander directement un peu de fric au grand frère, à la petite nièce ou au papa, libanguiste (débrouillard) à Paris ou à Bruxelles…
Selon les spécialistes, la RD Congo est l’un des meilleurs marchés des télécommunications cellulaires sur le continent, avant l’Afrique du Sud et le Gabon. Mais la « libération » (la chute du régime Mobutu) et la libéralisation du secteur des télécoms n’ont pas fait que des heureux : Télécel a eu les pires difficultés. Avec la rébellion de l’Est, son patron rwandais a dû prendre la poudre d’escampette, et pour faire oublier ses accointances avec l’ancien régime, l’opérateur a changé de nom pour s’appeler « Starcel », mais sans réussir à devenir la star congolaise du cellulaire. Son erreur aura été aussi de ne pas avoir adopté la carte prépayée en même temps que la concurrence.
Les derniers arrivants dans le secteur du téléphone portable en RD Congo seront les Chinois. « Congo China Telecom » avait promis les prix les plus démocratiques, les plus fous même. Mais il semble bien que si ces nouveaux arrivants veulent avoir un peu de place sur la marché, ils devront « coopérer » (à la congolaise) avec les opérateurs en place et futurs concurrents. On le voit, rien de bien rassurant pour les utilisateurs potentiels.
La capitale congolaise voit le soleil se coucher. Une pluie menaçante chasse les Kinois de la rue. José Lotendo, un employé du plus gros transport local, l’Office National de Transport, ONATRA, rentre chez lui. Les avenues sont de plus en plus sombres, l’électricité publique ne marchant plus depuis longtemps dans plusieurs secteurs. Surgissent deux hommes en uniformes qui lui ravissent brutalement son téléphone portable flambant neuf. – Vous n’avez donc pas suivi la télévision ? on ne peut pas se balader avec ces trucs dans les lieux publics pour des raisons de sécurité, affirme pince-sans-rire l’un des militaires…
Le jour suivant, ce portable ainsi dérobé sera vendu à la sauvette 30 ou 50 $… au restaurant du Zoo… ou ailleurs !
Ah ! Kinshasa !…

///Article N° : 2717

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