Léopold Congo Mbemba, entre philosophie et histoire

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Terre de poètes, le Congo cultive trois traditions poétiques : la tradition symbolique marquée par la révolte (Tchicaya U Tam’si), la tradition engagée à la Maïakovski (Maxime N’Debeka) et la tradition intimiste et méditative (Jean-Baptiste Tati-Loutard). Léopold Congo Mbemba alterne avec un bonheur inégal entre les deux dernières, mais sans être réellement influencé par Tati-Loutard ou N’Debeka.
Lorsqu’il publie en 1997 son premier recueil de poèmes Déjà le sol est semé, il montre dès le para texte de son livre qu’il est hanté par le Temps – en tant que catégorie philosophique mais également historique. Ecrit en vers libres, dans une langue classique, Déjà le sol est semé renvoie irrésistiblement à J’ai déjà habité ces mots de Sony Labou Tansi. Il s’organise en quatre mouvements : le premier est une interrogation sur la mémoire ; le second tente de saisir le lien qui unit le réel au rêve et vice-versa ; le troisième est un hommage aux grandes figures historiques de l’Afrique et de sa Diaspora, de Toussaint Louverture à Lumumba, de Malcom X au Coltrane déjà célébré par Emmanuel B. Dongala dans Love Supreme (Jazz et vin de palme) ; le quatrième mouvement est une quête identitaire intimiste du poète.
Présenté tel quel, Déjà le sol est semé peut être lu comme son autobiographie intellectuelle dans la mesure où l’on y retrouve tout ce qui l’a marqué, notamment le marronnage nègre aux Antilles, le panafricanisme initié par Williams E. Dubois, les mouvements noirs aux Etats-Unis avec Martin Luther King, Malcom X, le jazz, etc. Bien qu’il s’agisse de son premier recueil publié, il constitue un livre bilan du point de vue littéraire et de la vision du monde du poète. C’est ce qui explique sans doute la présence dans le titre de l’adverbe de temps déjà, qui donne à voir et/ou à lire une réalisation. Comment ne pas penser à la théorie platonicienne de la métempsycose ?
Par sa thématique, le deuxième recueil de Léopold Congo Mbemba, Le tombeau Transparent diffère du précédent qui tirait sa substance de la culture politique et intellectuelle du poète. Il s’agit là d’un recueil militant, du moins citoyen. Son objet est la guerre civile que vient de connaître le Congo en 1997. Voulant être le témoin de son temps, Léopold Congo Mbemba refuse de jouer au jeu de l’art pour l’art : il veut écrire pour la mémoire. Il s’agit pour lui de donner par les mots une sépulture digne aux sans sépultures : les nombreuses victimes innocentes de cette guerre sans nom. Mais force est de constater que malgré sa générosité, malgré sa compassion, ce livre reste en deçà du premier, sans doute parce qu’écrit dans l’urgence. On pense ici à la célèbre phrase de Gide selon laquelle on ne fait pas de la bonne littérature avec les bons sentiments. Qu’à cela ne tienne, ce recueil, par sa seule existence, sert de matière première à la tragique mémoire congolaise.
Le troisième recueil de Léopold Congo Mbemba, Le chant de Sama N’Deye renoue avec la veine méditative de Déjà le Sol est semé. Son sujet ? La femme, cette muse éternelle des poètes. Sa grande réussite lyrique tient à sa structure. Conçu comme un chant, cet hymne à la belle Sama N’Deye se situe par l’ascèse du verbe et par l’intensité de l’émotion dans la lignée de la célèbre Femme nue, femme noire de Léopold Sedar Senghor. Comme le note si bien son préfacier Babacar Sall,  » en s’inscrivant sur le registre du chant, Léopold Congo Mbemba élève la poésie à un niveau d’exigence que seuls atteignent ceux qui ont déjà achevé d’exprimer « le firmament intérieur » des mots « .
N’Deye est, selon Babacar Sall, à la fois le prénom d’une femme et le vocable qui sert à désigner la mère en wolof : une preuve de plus du panafricanisme de Léopold Congo Mbemba. Poète exigeant, marqué par une vie intérieure soutenue, il s’affirme au fil des recueils comme l’un des auteurs sur lesquels il faudra désormais compter. 
extrait
Les jours qui se lèveront à présent
seront sans lumière.
Ils me trouveront épuisée,
alitée sur la cendre des rêves
consumés.
*
Désormais
Il viendra à la nuit
d’héberger le temps.
*
Ecoute le chant de N’Deye
Ecoute mon chant.
Le Chant de Sama N’Deye suivi de La Silhouette de l’Eclair, p.46

Léopold Congo Mbemba est directeur de collection à L’Harmattan. Il a publié en poésie Déjà le sol est semé (L’Harmattan 1997), Le Tombeau transparent (L’Harmattan 1998), Le chant de Sama N’Deye suivi de La Silhouette de l’éclair (L’Harmattan 1999). Il allie poésie et quête de sens, se voulant parfois engagé.///Article N° : 1161

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