Les disciples de l’école de la vie

Entretien de Julien LeGros avec N'Dongo D et Faada Freddy, membres du groupe sénégalais Daara-J

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A l’occasion de leur passage au festival Africolor, les deux compères de Daara-J, l’école de la vie en wolof, reviennent sur leurs quinze ans de parcours, avec sous le bras un nouvel opus : « School of life ».

Comment avez-vous été amenés vers la culture hip hop ?

N’Dongo D : Notre histoire est très culturelle. On a grandi sous l’influence des musiques traditionnelles en Afrique : le M’balax (1) les musiques mandingues, sud-africaines… Et c’est à travers les médias, la télévision qu’on s’est greffé à la culture hip hop. Il faut savoir que les ressortissants sénégalais voyagent beaucoup. Ils ont ramené dans leurs valises des cassettes de Public Enemy, d’Ice-T, de KRS-One. C’est ça qui a été le déclic pour nous. Et puis on a été interpellé par le premier film sur le breakdance en 1984. Tout cela nous a permis de remettre en question notre regard sur l’Afrique et son rapport avec le monde, les Etats-Unis en particulier, et toute la diaspora africaine… Cette prise de conscience fait qu’on est aujourd’hui sur les routes, qu’on a sorti notre dernier album : « School of life » et que nous sommes des « activistes » de la musique hip hop au Sénégal.
Vous êtes de Dakar. De quel type de quartiers êtes-vous issus ?

N’Dongo D : Plutôt moyens voire très populaires. Je suis de Colobane, C’est entre la ville, le quartier de la Médina et la banlieue dakaroise. Faada Freddy vient des Allées du Centenaire, un quartier collé à Colobane. Il faut préciser que Dakar est en train de s’agrandir. Ces quartiers ont été la première construction après l’ancienne ville qu’était Colobane. C’est un creuset qui rassemble beaucoup de communautés : des chrétiens, des gens du sud, des maliens, des guinéens.
Le fait d’être issus de ces quartiers populaires vous a-t-il éveillé aux problèmes sociaux qui émaillent certains de vos textes ?

Faada Freddy : Absolument, parce que tu as un quotidien différent de celui des gens qui vivent dans le confort et le luxe. Cela nous a permis de voir là où le bât blesse. Tu constates tous les jours quelles sont les plaies de la société car tu es au cœur d’un quartier où il y a des vols, de la délinquance, de la drogue. Faire ces études dans ces quartiers, avoir une carrière normale reste difficile. Quand on grandit là, pour ne pas tremper dans certains « deals » un certain milieu, il faut être récupéré par quelque chose, et nous, ça a été la musique. On a une responsabilité : celle de ne pas donner une image de voyous. Je n’ai pas envie d’un entourage de bandits avec des guns comme dans les clips de gangsta rap…
N’Dongo D : Nous sommes contents de retourner dans ces quartiers pour essayer d’amener les jeunes à acquérir une conscience sociale. On fait des actions, des ateliers, pour aider ces jeunes à traverser les turbulences de l’adolescence.
Est-ce que ça a été difficile d’imposer cette musique dans votre environnement ?

Faada Freddy : La population sénégalaise et africaine de manière générale a cru en nous. Mais ce n’était pas évident dès le départ. Le hip hop était marginal et jugé comme une culture de bandits. Certains disaient que c’était une musique américaine, sans rapport avec l’Afrique. Ils prétendaient qu’on jouait les gangsters, avec nos jeans déchirés. On nous traitait de délinquants. Même pour rentrer en club c’était compliqué. Il a fallu du chemin avant que l’on ait le public d’aujourd’hui, qui comprend aussi des élites, des cadres, de gens de l’ancienne et la nouvelle génération. On a lutté pour faire partager notre avis sur cette musique : le fait que le rap est issu de l’Afrique, que c’est une musique griotte, transportée pendant l’esclavage aux Etats-Unis, pour revenir sous une autre forme.
Cela fait quelques années que le Daara J Family existe. Qu’en est-il des réponses aux problèmes que vous dénoncez dans vos textes ?

N’Dongo D : Je pense que le combat est beaucoup plus important maintenant. Il y a quelques années il y avait un esprit de militantisme et maintenant nous sommes plus tournés vers une révolution intérieure, spirituelle. Les gens ont besoin de comprendre au fond d’eux-mêmes quels sont leurs vrais problèmes. Aujourd’hui, que l’on soit à Dakar, à Paris on est dans le même bateau. Tout le monde parle de la crise. Pour nous, le vrai souci c’est la méconnaissance de soi. L’idée qu’on peut dépasser la haine, les clivages, qu’on peut s’en sortir, qu’il y a une petite note d’espoir. Comme on dit en wolof : « Si tu connais Dieu tu vas soigner tes blessures. »
Faada Freddy : Dans toutes les religions, il est écrit que l’homme a été créé à l’image de Dieu. La connaissance de soi nous permet de nous rapprocher de la divinité et de rentrer dans ce qu’on appelle l’unicité. Dépasser les frontières, les préjugés, tous les amalgames qu’il y a entre les races et les nations.
Quelle est votre vision de l’Histoire africaine ?

Faada Freddy : L’Histoire de l’Afrique a été falsifiée dans les manuels d’Histoire. Il est important que les africains sachent qui ils sont. L’africanité n’est pas une question de couleur, d’ethnie. Nous sommes tous issus de l’Afrique. L’idée du retour aux sources doit nous amener à être un même peuple uni par le respect de cette terre qui nous a tous portés : l’Afrique. Malheureusement l’idée de la nation africaine n’a pas été comprise dès le départ. Certains africains noirs la discréditent en effectuant des massacres pour des questions ethniques. Ces gens-là ne sont pas des africains à nos yeux. Pour nous, un africain est quelqu’un qui part du principe que tout est possible sur ce continent et qui va tenter de se rassembler avec les gens issus des diasporas africaines.
Votre musique combine des styles différents outre le hip hop (reggae, musiques latines, africaines.) D’où vous viennent toutes ces influences ?

Faada Freddy : Avant d’être rappeurs on est musiciens. Le hip hop est en nous c’est vrai, mais d’abord nous sommes dakarois. Dakar c’est une plate-forme avec de multiples influences. On appelle cette ville : la porte de l’Afrique, avec des apports des Caraïbes, de Cuba. On a grandi avec de la salsa. Les gens comme Youssou N’Dour ou Baaba Maal l’ont mélangé avec le M’balax sénégalais. Et puis nos parents écoutaient Billie Holliday ou Aretha Franklin donc on a aussi des influences soul. Je pense que notre génération a compris qu’il ne fallait pas que la musique soit dogmatique. On veut que notre musique soit un instrument qui reflète notre liberté, et particulièrement avec ce disque-là. Nous avons tourné pendant sept ans. C’était l’occasion de rencontrer des maoris, des aborigènes, des américains, des japonais, des coréens, des mexicains. Ce « melting pot » a joué sur nos influences musicales.
N’Dongo D : Dans mon IPhone il n’y a pas que du rap. C’est une bibliothèque musicale et c’est ce concept que nous appliquons avec notre musique. On est en train de recréer le hip hop en Afrique. De la musique afro avec du hip hop : afrohop. On trace des routes avec la soul music : le blues ou le funk sont des connexions directes entre le Mississippi et le Mali. L’afro-beat, les musiques sud-africaines nous appartiennent. On utilise ce bagage pour placer le niveau musical toujours plus haut…
Quel regard portez-vous sur les politiques d’immigration en France et en Europe ?

N’Dongo D : Celui de l’africain qui vit en Afrique. Beaucoup de gens pensent qu’on vit en Europe mais on est à Dakar ! On pense que la nouvelle génération, la diaspora doit bâtir l’Afrique. On ne force personne à revenir mais l’important c’est de faire des actions, de participer à l’avènement d’une nouvelle Afrique. Les problèmes d’immigration sont multiples. L’histoire de la « race » joue. Au niveau des frontières il y a un blocus qui, à mon avis n’est pas normal. Si on remonte dans l’Histoire, l’Afrique a beaucoup contribué au développement de l’Europe et aujourd’hui l’Europe lui est redevable. C’est valable aussi pour d’autres vagues d’immigration. On a vu récemment le sort fait au Roms. L’Homme doit avoir de la considération pour son prochain pour éviter les discours du type : « Moi je suis français, untel est africain : il n’a rien à faire ici. » Alors que pour un français c’est beaucoup plus facile de rentrer au Sénégal. Il devrait y avoir une vraie politique d’échange entre les pays. L’Afrique a besoin de l’Europe mais l’inverse vaut aussi. Les dirigeants européens doivent comprendre que les gens qui viennent d’Afrique ne sont pas des animaux. Il y a des situations très dures en Afrique qui poussent les jeunes à prendre la mer pour aller en Europe. L’Europe doit prendre en main ce problème mais c’est aussi valable pour les dirigeants africains. Ces flux d’immigrants sont la preuve de l’échec des politiques de nos dirigeants depuis vingt ans. Heureusement, il y a une prise de conscience chez nous. Notre groupe soutient des projets en Afrique, par exemple. Certaines personnes nous ont dit : « Qu’est-ce que vous faites en Afrique ? Vous avez de l’argent avec votre musique ! Allez en Europe ou à New York ! » Mais on préfère investir ici. Parfois ça ne marche pas. Alors on recommence à zéro !
Faada Freddy : Les échanges humains c’est le nerf de la guerre. Il n’y a pas longtemps le pays a reçu des étudiants Haïtiens. Il n’y a pas de visa pour venir au Sénégal. Pour moi c’est un exemple d’ouverture et d’hospitalité. En revanche quand on vient en France on est frappé par la présence policière. Il y a quelques années je me suis retrouvé embarqué par quatre ou cinq policiers avec leurs armes braquées sur moi. On m’a conduit au poste, prit ma pièce d’identité, tenu des propos racistes pendant le trajet en voiture. Des comportements comme ça, sont le fait de gens qui ont du mal à concevoir les choses de manière claire ou équilibrée, mais ils ne représentent pas la majorité des français. La droite ne représente pas tous les français non plus. Pour moi, un français c’est un voyageur, quelqu’un qui a un esprit ouvert…
Le festival Africolor se déroule en Seine-Saint Denis, dans un département qui compte de nombreux quartiers populaires. Vous comprenez le malaise des jeunes issus de ces quartiers ?

Faada Freddy : C’est normal que ces jeunes se déchaînent parfois. Pour un jeune français originaire du Maghreb ou de l’Afrique Noire à qui on fait comprendre qu’il n’est pas chez lui parce qu’il est plus basané ça va forcément créer des frustrations. Il y a une trop forte présence des forces de l’ordre en France et surtout en région parisienne et ça ne peut que faire monter en crescendo le stress des jeunes. Cela peut générer une vraie incompréhension. Lorsqu’on a l’habitude de battre quelqu’un il devient entêté. Ces jeunes français se retrouvent dos contre le mur et c’est ce qui explique leur révolte. Au Sénégal on a la chance de vivre en communauté pour apprendre à ne pas répondre par la violence. Mais un jeune qui n’a pas recours à la spiritualité et à qui on met une paire de menottes risque de chercher à se venger…
Pour finir sur une note plus optimiste, à quoi va ressembler votre prochain disque ?

N’Dongo D : On a l’intention de revisiter la culture sénégalaise qui est très riche. Quand on parle du Sénégal on pense au wolof mais il n’y a pas que ça. Il y a la musique sérère, la musique mandingue, le diola en Casamance. On va aller plus loin dans cette direction sur l’album suivant, y compris au niveau des langues. Une fois j’ai été invité par un musicien poular, un Peul qui m’a fait épouser cette langue. Cela m’a vraiment intéressé. On va tenter des lyrics en sérère. L’Afrique est très vaste et si je prends l’exemple de Baaba Maal : sa musique est connue au-delà du Sénégal. Il chante en Peul et sa musique est donc comprise en Afrique de l’Ouest : Mali, Guinée. On est aussi tenté par des collaborations qu’on ne peut pas dévoiler maintenant mais une chose est sûre c’est qu’il y aura des surprises.

1. Le M’balax est une musique traditionnelle du Sénégal.///Article N° : 9835

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Pochette de l'album "School of Life"





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